Construisons ensemble la médecine du XXIème siècle
Après la communication de la CNAM faisant état d'un million de téléconsultations/semaine (TLC) au cours du mois d'avril, les médias et certains leaders d'opinion du monde médical ont rattaché cette explosion des pratiques de TLC pendant la pandémie à la levée du carcan administratif et juridique qui empêchait, selon eux, le développement de la télémédecine en France. La période de la Covid-19 avait libéré l'usage de la télémédecine grâce aux mesures dérogatoires (http://www.telemedaction.org/445748795).
Les mesures dérogatoires visaient à maintenir l'accès aux soins pendant la période de confinement (http://www.telemedaction.org/445512961). Tous les moyens de communication pouvaient être utilisés, y compris le téléphone en mode audio. Et ce dernier a été largement utilisé, beaucoup de médecins traitants n'ayant pu ou ne voulant pas s'approprier l'une des quelque 150 solutions dédiées et sécurisées, recensées par le Ministère de la santé au début mars 2020 (http://www.telemedaction.org/page:18C06A7E-74D1-435D-8ECE-1115C04AACA4"text-align: justify; padding: 0px 0px 22px; margin-bottom: 0px; color: rgb(0, 0, 0); font-family: Georgia, serif; font-size: 16px; letter-spacing: 0px; line-height: 1.2; font-weight: normal; font-style: normal; text-decoration: none solid rgb(0, 0, 0); text-shadow: none; text-transform: none; direction: ltr;" class="textnormal">Maintenant que nous sommes sortis de l'Etat d'urgence sanitaire, depuis le 10 juillet 2020, et que certaines mesures dérogatoires n'ont pas été reconduites, comme le remboursement de la téléconsultation par téléphone, il sera intéressant de connaître dans les prochaines semaines l'activité réelle de TLC utilisant la videotransmission. L'Assurance maladie devrait voir le nombre de TLC remboursées diminuer. Jusqu'à quel niveau ? Si celui-ci reste très élevé par rapport à l'avant-Covid-19, cela signifiera que les professionnels de santé se sont appropriés cette nouvelle pratique pendant la crise sanitaire.
C'est d'ailleurs ce qu'on entend ici et là, notamment dans les établissements de santé où les téléconsultations et les téléexpertises vont être introduites dans les pratiques des médecins hospitaliers grâce à la mise en place de plateformes de télémédecine .Le réseau des acheteurs hospitaliers (Resah) vient de faire des propositions. (https://www.ticsante.com/documents/202007291101090.Guide_Garantir_les_soins_de_proximite_grace_a_la_telemedecine_du_Resah.pdf.)
L'arrêt du remboursement des TLC par téléphone est-elle justifiée ? Nous avions, dans un récent billet, apporter des arguments en faveur du retour à la videotransmission à la fin de l'Etat d'urgence sanitaire, notamment pour une harmonisation des moyens demandés pour réaliser un télésoin (http://www.telemedaction.org/446583038).
Certains médecins de la twittosphère s'en offusquent et pensent que le téléphone 'est très utile pour garder un lien avec des personnes âgées démunies de smartphone ou de tablette, vivant dans des zones où le réseau numérique est insuffisant. Pendant le confinement, ils estiment que l'usage du téléphone a permis d'éviter certaines conséquences dommageables chez les patients fragiles et isolés. Le recours possible à l'aide d'un infirmier au domicile ou d'un pharmacien en officine pour réaliser une TLC par videotransmission n'emporte pas leur adhésion.
Lorsque le réseau numérique le permettait, le smartphone était utilisé avec les solutions de Visio grand public comme WhatsApp, Messenger ou Face Time. On en revient alors au débat de l'avant Covid-19 où certains médecins, notamment du Grand Est, défendaient cet usage en contradiction avec le RGPD. Ils étaient soutenus par leur ARS. Certains médecins n'hésitent pas à intégrer le RGPD dans les contraintes juridiques qui ont été levées pendant le confinement (http://www.telemedaction.org/422925638). Dans l'évaluation de la période Covid-19 qu'il sera nécessaire de faire, connaître la part d'utilisation de la Visio grand public serait utile.
Alors que les pratiques de TLC remboursées à 100 % étaient de l'ordre du million chaque semaine jusqu'au 10 mai, la téléexpertise n'a pas eu le même succès (3000 pendant la période de confinement) confirmant ainsi le manque d'intérêt ou de connaissance des médecins de soin primaire pour cette pratique rémunérée sans limitation du nombre pendant cette période. La téléexpertise est pourtant la pratique de télémédecine la plus prometteuse du XXIème siècle (http://www.telemedaction.org/446370112). Les médecins spécialistes libéraux la boudent car ils la considèrent insuffisamment rémunérée. Pourtant les médecins de soin primaire appellent chaque jour des correspondants spécialistes pour obtenir un avis diagnostic ou thérapeutique, et ce temps passé au téléphone n'est pas rémunéré.
Quant à la télésurveillance médicale et au télésoin, aucun chiffre sur ces pratiques pendant la période Covid-19 n'a été encore communiqué par la DGOS (programme ETAPES) et l'Assurance maladie. Ainsi, quand on parle d'explosion de la télémédecine, il vaudrait mieux parler d'explosion des pratiques de TLC pendant la période d'urgence sanitaire. Est-ce le bon indicateur du développement de la télémédecine ?
Quelle télésanté voulons-nous ?
Nous pouvons poser trois questions que certains trouveront trop simplistes, voire provocatrices : le développement de la télésanté dépendrait-elle du choix des professionnels de santé, de celui des patients ou de la volonté des pouvoirs publics ?
1ère hypothèse, il ne dépendrait que du choix des professionnels. C'est ce qu'ont voulu les représentants des médecins libéraux lorsqu'ils ont signé l'avenant 6 de la convention médicale.
Pour les professionnels médicaux, le recours à la TLC est à leur initiative, mais ils doivent obtenir le consentement préalable des patients. En clair, ils ont la liberté de considérer cette pratique comme pertinente ou non pour leurs patients. Nous avons déjà abordé la question de la pertinence du recours à une TLC (http://www.telemedaction.org/434596548). A part les sages-femmes qui ont été autorisées de façon dérogatoire à suivre des femmes enceintes par TLC pendant le confinement, cette profession médicale et les chirurgiens-dentistes n'ont pas encore obtenu les arrêtés précisant les conditions d'exercice de la télémédecine dans leur spécialité. Dans les conclusions du Ségur de la santé, il est demandé que des négociations conventionnelles se tiennent en 2021 (http://www.telemedaction.org/page:E2551DF8-15A3-4433-B37F-6F2475D7B2CA"text-align: justify; padding: 0px 0px 22px; margin-bottom: 0px; color: rgb(0, 0, 0); font-family: Georgia, serif; font-size: 16px; letter-spacing: 0px; line-height: 1.2; font-weight: normal; font-style: normal; text-decoration: none solid rgb(0, 0, 0); text-shadow: none; text-transform: none; direction: ltr;" class="textnormal">Pour les professionnels paramédicaux, le recours au télésoin est pour l'instant dérogatoire en lien avec la période Covid-19. Tous les arrêtés publiés pour les 8 professions autorisées (les diététiciens le sont depuis le 10 juillet 2020) précisent que le télésoin ne peut être pratiqué que si le professionnel de santé paramédical l'estime pertinent pour le malade concerné (http://www.telemedaction.org/446173613).
Le Ségur de la santé prévoit le lancement des négociations conventionnelles avec l'Assurance maladie en 2021 en priorisant les infirmiers, les masseurs-kinésithérapeutes, les orthophonistes et les orthoptistes (http://www.telemedaction.org/446681650).
Il n'y a donc aucune ambiguïté, que ce soit pour la télémédecine ou le télésoin, c'est le professionnel de santé qui estime cette pratique à distance pertinente ou pas pour son patient.
2ème hypothèse, il ne dépendrait que du choix des patients. Nous voyons que cette hypothèse n'est pas possible dans l'état actuel des textes réglementaires en vigueur dans notre pays. Cependant, on ne peut ignorer que pendant la période de confinement, beaucoup de patients ont pris eux-mêmes l'initiative d'appeler un professionnel de santé, en particulier leur médecin traitant. Ils l'appelaient par téléphone et savaient que cet appel était assimilé à une téléconsultation, prise en charge à 100% par l'Assurance maladie. Cela explique que 80% des TLC remboursées par l'Assurance maladie étaient faites avec le médecin traitant, que ce soit à l'initiative de ce dernier ou à l'initiative du patient.
Lorsque le médecin traitant n'était pas disponible ou n'était pas joignable, les personnes appelaient l'une des plateformes des entreprises de télémédecine (LET), soit de type "B to C" (relation directe de l'entreprise avec le citoyen demandeur), soit de type "B to B" (relation de l'entreprise avec les complémentaires santé) (http://www.telemedaction.org/446513908). De façon dérogatoire, toutes ces TLC ont été remboursées à 100% par l'Assurance maladie pendant l'Etat d'urgence sanitaire et cette prise en charge à 100% est poursuivie jusqu'au 30 octobre 2020, seulement pour les patients touchés par la Covid-19.
Les patients ont pris l'habitude d'appeler leur médecin traitant et continuent à le faire depuis la fin de l'Etat d'urgence sanitaire, en particulier les personnes fragiles qui craignent d'être contaminées si elles se rendent au cabinet puisque l'épidémie n'est pas terminée. Certains médecins traitants continuent donc de répondre au téléphone, mais ils ne peuvent plus facturer à l'Assurance maladie cette TLC par téléphone, Certains choisissent de canaliser ces appels de leur patientèle en pratiquant la TLC avec une solution numérique dédiée et sécurisée de type SaaS (Software as a service), possédant la fonctionnalité de prise de rendez-vous. Le médecin peut alors intégrer dans son planning de travail des plages de TLC qui seront remboursées aux patients.
3ème hypothèse, il ne dépendrait que de la volonté des pouvoirs publics. On ne peut pas nier aujourd'hui que les pouvoirs publics ont la volonté de développer la télémédecine et le télésoin en s'appuyant sur les résultats encourageants observés pendant la crise sanitaire. Dans les conclusions du Ségur de la santé, la télémédecine et le télésoin ont été souvent cités.
Les pouvoirs publics disposent de leviers pour que cette volonté se traduise rapidement en actes : permettre à la HAS d'élaborer les recommandations sur le bon usage du télésoin, favoriser la mise en place rapide des négociations conventionnelles entre les représentants des différentes professions et l'UNCAM, élaborer un cadre juridique de relais avec la période dérogatoire, intégrer un financement des pratiques professionnelles dans la LFSS 2021. On peut néanmoins douter que ces mesures soient suffisantes au regard de ce qui s'est passé avec la télémédecine en 2019.
La formation aux pratiques de télésanté des professionnels de santé doit être poursuivi dans le cadre du DPC. Pour les futurs professionnels médicaux, le programme de télémédecine et d'e-santé élaboré par la conférence de doyens de faculté de médecine doit être mis en oeuvre dès la rentrée universitaire 2020 ( Rapport de la CDD e-sante_ Janvier 2020[124134].pdf).
Accompagner les professionnels de santé dans le choix et l'appropriation des solutions numériques dédiées
Bien que les prestataires de solutions numériques dédiées à la TLC ont été fortement mobilisés par la demande des professionnels de santé au moment du confinement, force est de reconnaître que parmi les quelques 150 solutions numériques recensées par le Ministère de la santé, un grand nombre de ces solutions se sont révélées inopérantes, soit parce que la solution était insuffisamment agile et ergonomique, soit parce que les prestataires n'avaient pas les ressources humaines suffisantes pour accompagner les premiers pas des professionnels de santé. La réponse est probablement dans les deux raisons. Non seulement ces solutions doivent être agiles et intuitives, mais il est nécessaire que les prestataires proposent un plan d'accompagnement pendant quelques jours et qu'une permanence technique existe.
Le choix est à notre avis trop important pour que le professionnel de santé, en particulier celui qui n'a pas reçu de formation à la télémédecine, puisse choisir la solution qui convient à ses attentes. On peut, par exemple, regretter que les coûts de l'abonnement mensuel aux différentes plateformes Web n'apparaissent pas dans le tableau fourni par le Ministère. Ces coûts peuvent varier de 1 à 3 pour des prestations comparables sur le plan des fonctionnalités. Si les fonctionnalités de chaque solution, autodéclarées par le prestataire, sont bien répertoriées, l'évaluation de la sécurité vis à vis des données de santé échangées varie de 3 à 10 (évaluation faite par l'ANS) (http://www.telemedaction.org/445424795).
On peut enfin se demander si les difficultés de développement de la téléexpertise ne sont pas en partie dues au fait que les solutions dédiées à cette pratique sont rares ou méconnues. Les solutions dédiées à la téléconsultation programmée peuvent également réaliser des téléexpertises synchrones programmées puisque le principe de ces solutions Web est l'échange entre deux personnes, le patient lorsqu'il s'agit de TLC, un professionnel de santé requis lorsqu'il s'agit de téléexpertise. Il faut reconnaître que la téléexpertise asynchrone par messagerie sécurisée (MSS) n'a donné pour l'instant aucun résultat probant. Les professionnels médicaux préfèreraient-ils des solutions dédiées à la téléexpertise synchrone ?
31 juillet 2020