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Après un accident ischémique cardio-vasculaire, comme l'infarctus du myocarde (IDM) ou un accident vasculaire cérébral (AVC), le pronostic fonctionnel à court terme peut dépendre de la dynamique engagée pour rééduquer les patients touchés par cet accident ischémique. Les centres de réadaptation fonctionnelles sont souvent surchargés et les patients doivent attendre parfois plusieurs semaines avant de bénéficier de cette rééducation. En cas de prise en charge tardive, les résultats sont moins bons que si celle-ci avait été quasi-immédiate après la phase aigüe de l'accident ischémique. Le pronostic vital et fonctionnel à moyen et long terme est moins bon. La téléréadaptation fonctionnelle post AVC, dès la sortie de l'hôpital, pourrait-elle être une solution alternative à la prise en charge en centres de réadaptation, en particulier lorsque ces derniers manquent de place ?
Nous rapportons dans ce billet une revue de la littérature médicale scientifique, réalisée une équipe australienne, sur la téléréadaptation fonctionnelle des patients touchés par un AVC.
Laver KE, Adey-Wakeling Z, Crotty M, Lannin NA, George S, Sherrington C. Telerehabilitation services for stroke. Cochrane Database Syst Rev. 2020 Jan 31;1:CD010255. doi: 10.1002/14651858.CD010255.pub3. Review.
CONTEXTE
La téléréadaptation fonctionnelle est une manière de fournir à distance des prestations de rééducation. Les technologies de l'information et de la communication (TICs) sont utilisées pour faciliter la communication entre le professionnel de santé spécialiste en réadaptation et le patient qui est à distance, à son domicile ou dans un substitut. L'utilisation de la téléréadaptation fonctionnelle devient plus en plus efficace avec l'amélioration de la performance des TICs, en particulier pour obtenir une videotransmission. Cependant, la preuve scientifique de l'efficacité de la téléréadaptation par rapport à la réadaptation dispensée en présentiel ou par rapport à des soins habituels n'est pas encore bien connue.
OBJECTIFS
Les objectifs primaires de l'étude étaient de rechercher les preuves en faveur de la téléréadaptation fonctionnelle sur l'amélioration des capacités à réaliser des activités de la vie quotidienne chez les "survivants" d'un AVC par rapport à (1) la réadaptation en présentiel (lorsque le clinicien et le patient sont dans un même lieu physique et que la réadaptation est exercée en face à face) ou (2) à l'absence de réadaptation, mais avec des soins habituels.
Les objectifs secondaires étaient de déterminer si l'utilisation de la téléréadaptation fonctionnelle conduisait à une plus grande autonomie dans les soins personnels et dans la vie quotidienne, illustrée par une meilleure mobilité, un meilleur équilibre, une meilleure qualité de vie, un état dépressif moindre, une meilleure récupération des membres supérieurs, une meilleure fonction cognitive ou de communication, selon que la personne touchée par un AVC bénéficiait ou non d'une réadaptation. De plus, l'étude rendait compte de la présence ou non d'événements indésirables au cours de la téléréadaptation, de la rentabilité de cette méthode à distance et de sa faisabilité, ainsi que des niveaux de satisfaction des patients qui bénéficiaient des interventions par téléréadaptation.
MÉTHODOLOGIE
Les recherches bibliographiques ont été effectuées dans le registre Cochrane Stroke Group Trials Register (juin 2019), le registre Cochrane Central of Controlled Trials (Cochrane Library, numéro 6, 2019), MEDLINE (Ovid, 1946 à juin 2019), Embase (1974 à juin 2019), et huit bases de données supplémentaires.
Les critères de sélection étaient les suivants : essais contrôlés et randomisés (ECR), des études qui comparent la téléréadaptation à la réadaptation en présentiel ou à l'absence de réadaptation . De plus, étaient également pris en compte les résultats d'ECR qui ont comparé deux méthodes de téléréadaptation fonctionnelle sans groupe contrôle. Ont été aussi inclus des programmes de réadaptation qui utilisaient une combinaison de téléréadaptation et de réadaptation en présentiel à la condition que la plus grande partie de l'intervention était fournie par téléréadaptation.
Deux auteurs de la revue ont relu et évalué en toute indépendance les différents essais sur la base des critères d'inclusion prédéfinis, en ont extrait les données et évalué les risques de biais. Un troisième auteur de la revue modérait tout désaccord entre les deux reviewers. Les auteurs de la revue ont également contacté les auteurs d'ECR pour leur demander des informations manquantes. La méthode GRADE (Grading of Recommendations, Assessment, Development and Evaluation) a été utilisée pour évaluer la qualité des preuves et pour interpréter les résultats.
RESULTATS
22 essais ont été retenus dans cette revue de la littérature. Les essais rassemblaient un total de 1937 participants. La taille des études variait de 10 participants à 536 participants, et la qualité des rapports était souvent insuffisante, en particulier pour ce qui concerne la génération de séquences aléatoires et l'évaluation des coûts engagés.
Des rapports sélectifs sur les résultats et des données incomplètes caractérisaient plusieurs études. Les interventions et les comparaisons variaient, ce qui signifie que, dans de nombreux cas, il n'était pas possible de réaliser une métanalyse. Les approches interventionnelles comprenaient plusieurs programmes sélectifs de soutien après la sortie de l'hôpital, tels qu'une rééducation ciblée seulement sur les membres supérieurs, ou sur la mobilité des membres inférieurs, ainsi qu'une rééducation ciblée à la récupération du langage auprès d'orthophonistes pour les personnes souffrant d'aphasie post-AVC. Les études ont été menées à la sortie de l'hôpital ou auprès de personnes en phase subaiguë ou chronique après un AVC.
Les résultats sur les objectifs primaires.
Des preuves de qualité moyenne étaient retrouvées pour une non-infériorité de la téléréadaptation fonctionnelle à la sortie de l'hôpital dans les activités de la vie quotidienne par rapport à une intervention de soins habituels sans rééducation en présentiel (sur la base de 2 études avec 661 participants (différence moyenne normalisée (SMD) 0,00 , Intervalle de confiance (IC) à 95% -0,15 à 0,15)). De plus, des preuves de faible qualité en faveur d'une non-infériorité de la téléréadaptaion fonctionnelle sur les activités de la vie quotidienne en comparaison avec les programmes de physiothérapie (sur la base de 2 études avec 75 participants: SMD 0,03, IC 95% -0,43 à 0,48).
Les résultats sur les objectifs secondaires.
Des preuves de faible qualité étaient retrouvées en faveur d'une non-infériorité de la téléréadaptation fonctionnelle par rapport à la réadaptation en présentiel concernant l'impact des interventions sur l'équilibre des patients AVC (sur la base de 3 études avec 106 participants: SMD 0,08, IC 95% -0,30 à 0,46). La mise en commun de trois études avec 569 participants a montré des preuves de qualité moyenne sur la non-infériorité entre ceux qui ont reçu des interventions de soutien après la sortie de l'hôpital et ceux qui ont reçu des soins habituels sur la qualité de vie (SMD 0,03, IC à 95% -0,14 à 0,20 ). De même, la mise en commun de six études (avec 1145 participants) a permis de trouver des preuves de qualité moyenne sur la non-infériorité de la téléréadaptation fonctionnelle pour les patients avec états dépressifs par rapport aux programmes de soins habituels (SMD -0,04, IC à 95% -0,19 à 0,11).
Aucune différence significative n'était trouvée pour l'amélioration fonctionnelle des membres supérieurs (sur la base de 3 études avec 170 participants: différence moyenne (DM) 1,23, IC à 95% -2,17 à 4,64, preuves de faible qualité) entre un programme informatique utilisé pour améliorer l'usage des membres supérieurs et la rééducation en présentiel.
Les preuves étaient insuffisantes pour tirer des conclusions significatives sur les effets de la téléréadaptation sur la mobilité ou la satisfaction des participants vis à vis de cette nouvelle méthode de prise en charge à distance. Aucune étude n'a évalué le rapport coût-efficacité de la téléréadaptation. Cependant, cinq études ont rapporté des résultats sur l'utilisation des services de santé ou sur les coûts des interventions fournies dans le cadre de l'étude. Deux études ont signalé des événements indésirables, mais aucun événement indésirable grave était lié à la télérédaptation fonctionnelle.
CONCLUSIONS
Bien qu'il existe un nombre croissant d'ECR testant l'efficacité de la téléréadaptation, il est difficile de tirer des conclusions sur les effets de ces nouvelles interventions, car les comparateurs varient considérablement d'une étude à l'autre. De plus, il y a peu d'études correctement alimentées de données objectives et plusieurs études incluses dans cette revue avaient des risques de biais.
À ce stade, il n'existe que des preuves de niveau faible ou modéré permettant de conclure que la téléréadaptation est un moyen tout aussi efficace d'assurer la réadaptation post AVC que la réadaptation en présentiel. Il n'a pas été démontré que les programmes de téléréadaptation à court terme après la sortie de l'hôpital réduisaient les états dépressifs, amélioraient la qualité de vie ou amélioraient l'autonomie dans les activités de la vie quotidienne par rapport aux soins habituels.
Les études comparant la téléréadaptation fonctionnelle et la réadaptation en présentiel n'ont pas trouvé de résultats significativement différents entre les différents groupes, ce qui suggère que la téléréadaptation fonctionnelle est non-inférieure à la rééducation en présentiel.
Certaines études ont indiqué que la téléréadaptation fonctionnelle était moins coûteuse que la réadaptation en centre, mais les informations manquaient sur le niveau de rentabilité. Seuls deux essais ont indiqué si des événements indésirables s'étaient produits ou non; ces essais n'ont révélé aucun événement indésirable grave au cours de la téléréadaptation fonctionnelle.
Le domaine de la téléréadaptation fonctionnelle est encore en état d'émergence et d'autres études sont nécessaires pour tirer des conclusions plus définitives. De plus, bien que cette revue ait examiné l'efficacité de la téléréadaptation lorsque les critères étaient testés dans des essais randomisés, les études qui utilisent des méthodes mixtes pour évaluer l'acceptabilité et la faisabilité des interventions de télésanté en général sont incroyablement plus précises pour mesurer les résultats.
COMMENTAIRES. Une belle revue de la littérature sur la téléréadaptation fonctionnelle post-AVC, conduite avec toute la rigueur scientifique souhaitée, conclut que la téléréadaptation fonctionnelle post-AVC est non-inférieure à la réadaptation en centre. Il n'est pas nécessaire en télémédecine, du moins pour l'instant, de rechercher une plus grande efficacité des prestations de soins à distance par rapport aux prestations en présentiel. La non-infériorité est déjà une information importante dans une période où les systèmes de santé se réorganisent et où les pratiques de télémédecine et de télésoin au domicile vont représenter des solutions alternatives aux soins en institutions, sans que des risques de pertes de chance soient pris vis à vis des patients qui peuvent en bénéficier. Dans un prochain billet nous ferons un point plus large sur les solutions de téléréadaptation fonctionnelle, non seulement dans la période post-AVC, mais également dans la période post-IDM et dans d'autres situations. A côté de la télémédecine, les solutions de télésoin pour les masseurs kinésithérapeutes spécialisés en réadaptation neurologique, ainsi que pour les orthophonistes, ont toute leur place.
15 février 2020