Quel est l'environnement visuel du médecin que préfèrent les patients lors d'une téléconsultation ?

L'environnement du médecin lors d'une téléconsultation a un impact sur la relation de confiance du patient avec le médecin qui réalise cette téléconsultation. C'est un sujet que nous avons déjà abordé sur ce site au décours de la pandémie Covid-19 (https://telemedaction.org/432098221/450415051).

L'étude que nous présentons aujourd'hui a été publiée par le JAMA (Journal of American Medical Association) dans son numéro de mai 2024. Il rapporte les résultats d'une enquête conduite par des médecins chercheurs de l'université du Michigan auprès de patients qui avaient l'expérience de la téléconsultation. La question qui leur était posée concernait les environnements visuels du médecin qu'ils préféraient.  Selon les auteurs, cette étude serait la première à aborder ce sujet dans la littérature médicale scientifique.

Patient Preferences for Telemedicine Video Backgrounds. Houchens N, Saint S, Kuhn L, Ratz D, Engle JM, Meddings J. JAMA Netw Open. 2024 May 1;7(5):e2411512. doi: 10.1001/jamanetworkopen.2024.11512.PMID: 38748425.

CONTEXTE

La pandémie de COVID-19 a entraîné l'adoption rapide de la télémédecine, en particulier de la téléconsultation. La plupart des médecins n'avaient aucune formation préalable sur la manières de réaliser une téléconsultation qui optimise la relation humaine, en particulier par l'environnement physique du médecin. Les stratégies reposant sur les éléments visuels lors d'une téléconsultation ont reposé sur l'expertise professionnelle et non sur des données empiriques. L'environnement préféré des patients à partir duquel un médecin effectue une téléconsultation reste à ce jour méconnu. Ainsi, nous avons évalué les préférences des patients vis à vis de plusieurs arrière-plans visuels du médecin lors de la téléconsultation.

MÉTHODES

Cette étude transversale a été approuvée par les comités éthiques de l'Université du Michigan et du système de soins de santé d'Ann Arbor des anciens combattants. La réalisation de l'enquête impliquait le consentement préalable. Nous avons suivi les directives STROBE (Statement guidelines for reporting observational studies).

La collecte des données a eu lieu entre le 22 février et le 21 octobre 2022. Les participants comprenaient un échantillon aléatoire d'adultes de 18 ans ou plus qui avaient effectué une consultation présentielle ou distancielle au cours de l'année précédente dans l'un ou l'autre établissement. Les données sur la race et l'origine ethnique ont été recueillies, mais n'ont pas été déclarées pour protéger la confidentialité (étant donné que la majorité des participants étaient blancs) et parce que cette étude n'était pas habilitée à utiliser ces données dans les analyses. Parmi les autres participants figuraient des inscrits à une plateforme de recrutement de recherche en santé numérique.

Le sondage par papier envoyé ou par voie numérique comprenait des photographies d'un médecin modèle dans différents environnements. Les patients choisissaient leur environnement préféré et un score composite a été calculé dans 6 domaines (le degré de connaissance, de confiance, de bienveillance, d'accessibilité et de professionnalisme du médecin, ainsi que le degré de confort du médecin). Les scores variaient de 1 à 10, les scores les plus élevés indiquant une plus grande préférence.

Des statistiques descriptives ont été utilisées pour compiler les résultats. Les différences moyennes des scores composites ont été évaluées à l'aide d'une régression linéaire, avec un fond de couleur unie comme catégorie de référence. Les différences dans l'environnement préféré pour tous les types de médecins ont été évaluées à l'aide d'une régression logistique multinomiale. Les questions évaluaient 4 types de médecins distincts (soins primaires nouveaux et établis et spécialités nouvelles et établies) ; Ces questions ont été analysées ensemble et les erreurs-types ont été ajustées par des mesures répétées chez les participants. Les analyses statistiques ont été effectuées à l'aide de SAS, version 9.4 (SAS Institute Inc). Un P sur 2 faces  < 0,05 a été considéré comme significatif.

RESULTATS

Au total, 1213 patients ont répondu à cette enquête (taux de réponse : enquête sur papier universitaire, 30 % ; enquête sur papier auprès des anciens combattants, 27 % ; enquête numérique universitaire, inconnue) ; 637 patients (54,1 %) étaient âgés de 65 ans ou plus ; 626 (53,3 %) se sont identifiés comme femmes et 544 (46,3 %) comme hommes ; et 28 (2,4 %) se sont identifiés comme asiatiques, 91 (7,9 %) comme noirs, 978 (84,7 %) comme blancs et 57 (4,9 %) comme multiraciaux ou autres (y compris les Amérindiens,  Natif de l'Alaska, Arabe ou Arabo-Américain, Hawaïen natif et autre). L'arrière-plan de couleur unie a obtenu un score composite moyen (ET) de 7,7 (2,1). D'autres milieux professionnels (figures ci-dessus) ont obtenu des scores similaires. Le cabinet de médecin affichant les diplômes a obtenu la note la plus élevée dans 5 domaines (score composite moyen [ET], 7,8 [1,9]). Des scores moyens (ET) significativement inférieurs ont été calculés pour la chambre à coucher (7,2 [2,3] ; P = 0,02) et cuisine (7,0 [2,5] ; P = 0,002).

Le cabinet de médecins affichant les diplômes a obtenu les scores les plus élevés pour tous les types de médecins. En considérant tous les types de médecins ensemble (un seul répondant pouvait choisir un arrière-plan préféré différent pour différents types de médecins) et en comparant avec un arrière-plan de couleur unie (14,4 %), les répondants préféraient significativement le cabinet du médecin (18,4 % ; P = 0,007) et les cabinets de médecins affichant des diplômes (34,7 % ; P < 0,001), beaucoup moins préféraient la chambre à coucher (3,5 % ; P < 0,001) et cuisine (2,0 % ; P < .001).

DISCUSSION

Dans cette étude, les deux tiers des participants préféraient un environnement de soins de santé traditionnel pour les téléconsultations avec n'importe quel type de médecin, le cabinet de médecin affichant les diplômes étant le mieux noté. Ce contexte a obtenu un score similaire à celui des autres environnements traditionnels, tandis que la chambre à coucher et la cuisine étaient nettement moins préférées.

De nombreuses études ont montré que la communication non verbale est un déterminant essentiel de la confiance et de la satisfaction des patients. À notre connaissance, il s'agit de la première étude à examiner les préférences des patients pour le fond visuel du médecin. Les limites de cette étude sont les faibles taux de réponse aux sondages envoyés par la poste, l'accent mis sur un seul aspect des rencontres en téléconsultation et l'accent mis sur seulement 2 établissements dans une même région géographique, ce qui peut affecter le caractère généralisable de ces résultats. Néanmoins, ils suggèrent que les patients peuvent avoir des préférences spécifiques concernant l'environnement de fond utilisé lors des téléconsultations. Les systèmes de soins de santé devraient donner la priorité aux téléconsultations réalisées dans un environnement médical traditionnel de bureau ou de salle d'examen.

COMMENTAIRES. Il s'agit d'une enquête s'appuyant sur l'expérience patient en téléconsultation, selon laquelle la nature du fond visuel utilisé par le médecin a un impact sur la qualité de la relation du médecin avec le patient. La portée d'une telle étude, unique dans la littérature médicale, est importante dans la mesure où elle contribue à corriger certaines dérives possibles de la téléconsultation (par exemple la téléconsultations réalisée au domicile privé du médecin). Cette étude démontre qu'un médecin qui réalise une téléconsultation en dehors de son lieu de travail (cabinet libéral ou hospitalier) n'obtient pas la même relation de confiance avec le patient que s'il la réalise dans un environnement professionnel.

Le fond visuel, au cours d'une téléconsultation, participe à la communication "non verbale" du patient avec le médecin. Un fond visuel inattendu pour le patient (chambre à coucher, cuisine) peut modifier la communication "non verbale" du patient. Ce sujet est étudié depuis plusieurs années, notamment par les chercheurs en psycho-sociologie (Henry SG, Fuhrel-Forbis A, Rogers MA, Eggly S. Association between nonverbal communication during clinical interactions and outcomes: a systematic review and meta-analysis. Patient Educ Couns. 2012;86(3):297-315. doi: 10.1016/j.pec.2011.07.006)(https://telemedaction.org/422783742/449684373).

Savoir communiquer à travers un écran ne s'improvise pas. A la suite de ces différents travaux scientifiques montrant l'importance de l'environnement visuel en téléconsultation (https://telemedaction.org/432098221/450415051), le Think Tank Santé Numérique et Télésanté élaborera en septembre prochain des préconisations sur ces aspects essentiels qui peuvent avoir un impact sur la qualité de la relation humaine en téléconsultation. Cette question du fond visuel utilisé par le médecin qui télé consulte est, de notre point de vue, insuffisamment abordée dans les recommandations de la HAS (les bonnes pratiques publiées en mai 2019, les recommandations sur les lieux et environnement pour une téléconsultation publiées en février 2024) (https://www.has-sante.fr/upload/docs/application/pdf/2024-03/recommandations_-_lieux_et_conditions_denvironnement_pour_la_realisation_dune_teleconsultation_ou_dun_telesoin.pdf), ainsi que dans la Charte des bonnes pratiques en téléconsultation publiée par l'Assurance maladie en avril 2022 (https://telemedaction.org/432098221/452395661)(https://telemedaction.org/432098221/452419586).

La préconisation qu'il serait bon de faire, à la suite de cette étude convaincante par sa méthodologie rigoureuse (à confirmer néanmoins par une enquête plus importante), serait que la téléconsultation, comme la consultation en présentiel, ne peut qu'être réalisée dans un environnement professionnel et que l'environnement privé doit être exclu.

31 mai 2024