Quelles leçons devrions-nous tirer des expérimentations de télémédecine conduites auprès des personnes âgées ?

Le webinaire organisé par le Think Tank Santé Numérique et Télésanté le 30 mai 2024 à 19h30 traitera de la téléconsultation programmée et non programmée chez les résidents d'Ehpads. Il fera un point sur un des aspects les plus importants de la télémédecine chez les personnes âgées : améliorer l'accès aux soins primaires et au second recours. Les lecteurs intéressés par le thème de ce webinaire peuvent y accéder librement par le lien zoom suivant : https://us02web.zoom.us/j/83952135345?pwd=QmVNOXNSa05aVkh3T00zV1Q4Y0hhQT09.


L'amélioration de l'accès aux soins primaires et aux spécialistes des personnes âgées a toujours été une priorité des Pouvoirs publics depuis la légalisation de la télémédecine en juillet 2009. La progression constante des patients touchés par les maladies chroniques liées au vieillissement, amplifiée par l'allongement de l'espérance de vie, s'est heurtée depuis le début du 21ème siècle aux changements de pratique et d'organisation professionnelles (diminution du temps d'exercice médical, regroupement des professionnels en équipes de soins, baisse de la démographie médicale, apparition de "déserts médicaux", etc.). Beaucoup d'espoirs furent mis dans les organisations de  télémédecine pour tenter de corriger le déséquilibre entre une demande de soins qui progresse et une offre de santé publique devenue insuffisante (https://telemedaction.org/423570493/425553255)(https://telemedaction.org/422021881/425559007).

L'usage de la télémédecine dans les établissements médico-sociaux et chez les patients âgés atteints de maladies chroniques faisaient partie des priorités du premier programme quinquennal de télémédecine (2012-2016), lancé après la publication du décret de télémédecine du 19 octobre 2010 et la décision du conseil des ministres du 9 juin 2011 (https://telemedaction.org/437100423/452925167).

L'Assurance maladie s'opposa à cette époque au financement des actes de télémédecine dans le droit commun de la Sécurité sociale. La conséquence fut l'exclusion de la médecine de ville du programme quinquennal et de toute activité de télémédecine rémunérée à l'acte par l'assureur national.

Il fallut attendre septembre 2018 pour que la médecine libérale puisse conventionner avec l'Assurance maladie l'exercice de la télémédecine. Nous voulons souligner qu'à cette époque le pouvoir de l'assureur national était plus puissant que celui du politique dans les programmes de santé publique. En 2011, le pouvoir politique voulait promouvoir la télémédecine à la fois dans le secteur libéral et le secteur hospitalier afin d'améliorer la coopération entre la ville et l'hôpital et l'accès aux soins primaires et spécialisés des patients âgés atteints de maladies chroniques.

Sans financement dans le droit commun de la Sécurité sociale, ce premier programme quinquennal fut essentiellement financé par des fonds propres du ministère de la Santé, gérés par les ARS. Chaque agence régionale de santé reçut à partir de 2012 une enveloppe financière annuelle dédiée aux expérimentations régionales de télémédecine, à la condition qu'elles soient conformes au programme national, qu'elles fussent hospitalières ou à l'initiative de la médecine de ville.

Les quelque expérimentations du secteur libéral bénéficièrent ensuite, à compter du 15 septembre 2018 pour la téléconsultation et du 11 février 2019 pour la téléexpertise, du financement dans le droit commun de la Sécurité sociale, à la suite des engagements pris par le Président actuel dans sa campagne présidentielle de 2016.

Les expérimentations de télésurveillance médicale chez les patients atteints de maladies chroniques, financées par les ARS jusqu'en 2017, constitueront le corpus du programme ÉTAPES lancé fin décembre 2016 (https://telemedaction.org/422016875/432585384), et ne rejoindront le financement dans le droit commun de la Sécurité sociale qu'à compter du 1er août 2023.

La période d'urgence sanitaire liée à la pandémie Covid-19 (20 mars 2020-1er septembre 2022), si elle contribua au développement de la téléconsultation et de la santé numérique en général (https://telemedaction.org/422016875/453185455), impacta aussi les organisations professionnelles liées aux expérimentations lancées avant la pandémie.


Nous retraçons dans ce billet l'histoire de la télémédecine française chez les personnes âgées avant la pandémie Covid-19 pour en tirer des leçons

Certains s'interrogeront sur l'intérêt de faire connaître aujourd'hui les résultats d'expérimentations déjà anciennes dont certaines datent de plus de 15 ans, la plupart n'ayant pas bénéficié des progrès actuels de la santé numérique. Ces expérimentations ont été essentiellement à l'initiative de professionnels hospitaliers. Elles ont fait l'objet de publications dans la littérature médicale internationale et représentent ainsi la part française de l'evidence-based telemedicine, c'est à dire du service médical rendu (SMR) par la télémédecine aux patients, en particulier aux personnes âgées.

Il n'est pas certain que ces travaux publiés dans la littérature médicale scientifique aient été pris en compte par les autorités sanitaires (aucune évaluation nationale n'a été faite de cette période), ou par l'Assurance maladie, ainsi que par la Cour des Comptes qui ne cita aucune de ces publications dans le rapport qu'elle fit en 2017 sur cette période. Elle s'interrogeait sur la mise en œuvre de la télémédecine en France eu égard aux financements publics importants donnés aux expérimentations de télémédecine : "une action publique dispersée aux résultats modestes" concluait-elle (https://www.ccomptes.fr/sites/default/files/2017-09/20170920-rapport-securite-sociale-2017-telemedecine.pdf).

Nous pensons que ce jugement sévère de la part de la Cour prenait surtout en compte les insatisfactions des industriels du numérique en santé qui estimaient à l'époque ne pas avoir de vision suffisante de leur business model à moyen et long termes, sans prendre en compte le nécessaire accompagnement au changement des professionnels de santé qui préféraient travailler sur des organisations professionnelles innovantes, sans donner forcément la priorité aux technologies.


LA TÉLÉSURVEILLANCE DE L'INSUFFISANCE CARDIAQUE CHEZ LES PERSONNES ÂGÉES.


De nombreuses équipes cardiologiques hospitalières s'investirent très tôt dans cette application de la télémédecine, convaincues par les premiers résultats d'études internationales montrant que la télésurveillance à leur domicile de patients atteints de maladies chroniques pouvait réduire la fréquence des hospitalisations. Young Y., Barhydt N.R., Broderick S., et al. Factors associated with potentially preventable hospitalization in nursing home residents in New York state: A survey of directors of nursing. J. Am. Geriatr. Soc. 2010;58:901–907. 


L'étude SEDIC (Suivi Educatif à Domicile des patients avec Insuffisance Cardiaque), menée en Basse-Normandie par le CHU de Caen et dont nous avons déjà rapporté les résultats (https://telemedaction.org/think-tank/t-l-surveillance-de-l-insuffisance-cardiaque-exp-riences-pionni-res) (https://telemedaction.org/think-tank/webinaire-28-mars) étudia la pertinence d'un programme de télémédecine dans le cadre du suivi clinique à domicile (SCAD), à partir de 2007. La prise en charge du suivi distanciel des patients à la sortie de l’hospitalisation était confiée à une équipe infirmière formée à la surveillance cardiologique. Cette télésurveillance reposait sur la collecte des données de santé saisies par le patient lui-même et envoyées au centre de surveillance. Le dialogue du patient avec l'équipe infirmière était assuré par une simple console qui avait fait ses preuves d'efficacité au Québec.

Dans l'étude SEDIC, 20 % des patients ont eu un ou plusieurs événements cardiovasculaires dans les trois mois (décès ou ré hospitalisation) résultats similaires à ceux de la littérature. Ces résultats obtenus après les trois premiers mois, bien que non statistiquement significatifs, renforcèrent l'idée que la télémédecine présentait un intérêt pratique dans le suivi des patients âgés souffrant d'insuffisance cardiaque.

Coutance G., Belin A., Targat-Biannic C., et al. a randomized trial of educational telemedicine in elderly heart failure patients. 6 th European Congress of ANTEL; Paris: 2013. Nov, Characteristics of non-responder patients in educational telemedicine in the SEDIC study


Une étude en cardiologie de ville mise en place en 2012 dans le Limousin (St Yrieix) visait à utiliser la télésurveillance à domicile pour évaluer l'optimisation du traitement comme alternative possible à l'hospitalisation (Dary P. Remote monitoring in heart failure: Feasibility and results of a limited 14-day follow-up of 83 patients. Eur Telemed Res. 2014;3:125–132). Les auteurs ont pu offrir ainsi une alternative à l'hospitalisation pour 31 patients (37 %), plus précisément la prise en charge pendant les poussées d'œdème et de dyspnée pour éviter l'hospitalisation. Au cours des 30 premiers jours suivant leur sortie de l'hôpital, 4,4 % des patients sont décédés tandis que 5 % ont été réadmis pour récidive de la décompensation. Ce chiffre est passé à 20 %, toutes causes confondues.


L'étude E-Care, conduite par les Hôpitaux Universitaires de Strasbourg, fut dédiée à « la détection précoce des situations à risque chez les patients insuffisants cardiaques ». Elle fut mise en place en 2014.  Cette détection précoce reposait sur une tablette tactile connectée à Internet, sur des capteurs non intrusifs (pression artérielle, fréquence cardiaque, saturation en oxygène, poids), sur un questionnaire; et déjà sur un algorithme de l'intelligence artificielle (IA). Andrès E., Talha S., Benyahia A., et al. Experimentation of an e-platform to detect situations at risk of cardiac impairment (platform E-care) in an internal medicine unit. Rev. Med. Interne. 2016;37:587–593.

Le projet E-Care fut le premier programme de ce type déployé chez les patients âgés atteints d'insuffisance cardiaque (âge moyen : 72 ans), ayant des affections médicales multiples et appartenant à la population gériatrique (indice de comorbidité de Charlson : 4,1), utilisant une solution de télémédecine pour la détection précoce des situations pouvant conduire à une décompensation aiguë.

Aucun des patients ou professionnels de santé impliqués dans l'expérience n'a signalé de difficultés à utiliser le système E-Care. Pour l'étude des patients non autonomes, le système était utilisé soit par une infirmière - en plus des autres tâches (lavage, injection de divers médicaments, etc.), soit par la famille, les amis ou les aides-soignants du patient. Il est à noter que le système et ses outils ont été testés et développés en amont par des patients et des professionnels du Centre d'Expertise National des Technologies de l'Information et de la Communication pour l'autonomie (Centich, Angers). Dans cette expérience, l'âge ne semblait pas être un facteur limitant à l'acquisition et à l'utilisation de ces nouvelles technologies.


Les études PIMPS (Plateforme Interactive Médecins Patients Santé) lancée par le CH de Pontoise, et OSICAT (Optimisation de la Surveillance des insuffisants cardiaques par télécardiologie) lancée par le CHU de Toulouse,  débutèrent en 2014 et formèrent le corpus de la partie cardiologique du programme ÉTAPES prévu dans la LFSS 2014 et mis en place par un arrêté de décembre 2016.

Les investigateurs d'OSICAT publièrent à partir de 2020 les principaux résultats cliniques et médico-économiques de leur étude. Leurs conclusions étaient que la télésurveillance au domicile n'avait pas entraîné de taux significativement plus faible de décès toutes causes confondues ou d'hospitalisations non planifiées chez les patients atteints d'insuffisance cardiaque. Toutefois, les résultats de sous-groupes suggèrent que la télésurveillance améliore les résultats cliniques dans certaines populations.

L'étude médico-économique révélait que les frais d'hospitalisation et de soins infirmiers ambulatoires pour insuffisance cardiaque représentaient la plupart des coûts liés à cette maladie. Aucun avantage de coûts n'était observé pour la télésurveillance par rapport au suivi en présentiel pour une éventuelle réduction des coûts sur 18 mois. Les patients atteints d'insuffisance cardiaque sévère ont montré une réduction non significative de 15 % des coûts, en grande partie liée à l'hospitalisation pour décompensation aigüe, aux honoraires du personnel infirmier et au transport médical.

(Healthcare costs of a telemonitoring programme for heart failure: indirect deterministic data linkage analysis. Pathak A, Levy P, Roubille F, Chatellier G, Mercier G, Alami S, Lancman G, Pasche H, Laurelli C, Delval C, Ramirez-Gil JF, Galinier M.ESC Heart Fail. 2022 Dec;9(6):3888-3897. doi: 10.1002/ehf2.14072. Epub 2022 Aug 10.PMID:35950267) ((Telemonitoring versus standard care in heart failure: a randomised multicentre trial. Galinier M, Roubille F, Berdague P, Brierre G, Cantie P, Dary P, Ferradou JM, Fondard O, Labarre JP, Mansourati J, Picard F, Ricci JE, Salvat M, Tartière L, Ruidavets JB, Bongard V, Delval C, Lancman G, Pasche H, Ramirez-Gil JF, Pathak A; OSICAT Investigators.Eur J Heart Fail. 2020 Jun;22(6):985-994. doi: 10.1002/ejhf.1906. Epub 2020 Jun 15.PMID:32438483)


Cardiauvergne assure le suivi distanciel depuis plus d'une décennie des patients de la région Auvergne atteints d'insuffisance cardiaque chronique. La technologie est limitée à une balance connectée et toute la performance repose sur l'organisation professionnelle. Nous avons déjà rapporté sur ce site les résultats très significatifs sur la prévention des ré hospitalisations obtenus par cette organisation mise en place en décembre 2011 par le service de cardiologie du CHU de Clermont-Ferrand (https://telemedaction.org/think-tank/t-l-surveillance-de-l-insuffisance-cardiaque-exp-riences-pionni-res).


LA TÉLÉSURVEILLANCE DES PERSONNES ÂGÉES PRÉSENTANT DES ARYTHMIES CARDIAQUES


Une étude de la cardiologie de ville sur la télésurveillance de la fibrillation auriculaire chez les personnes âgées a été conduite en 2011-12 dans le département de la Haute-Vienne (Saint Yrieix) sur 200 patients (Dary P. Telemonitoring of atrial fibrillation: Feasibility study and results on 200 patients. Eur Res Telemed. 2013;2:113–120). La télésurveillance était de nature ambulatoire et effectuée tous les jours de 8 à 12 heures, en alternance jour/nuit. Le moniteur fut utilisé en moyenne 11 heures par jour pendant 11 jours, pour la détection des arythmies et les transmissions ECG étaient automatiques. Pour 33% des patients de cette étude, la télésurveillance a amélioré le diagnostic et le traitement de la fibrillation auriculaire, permettant d'adapter le traitement en fonction du rythme, de la fréquence et du temps de conduction.


Les études E-COST du CHU de Lille et EVATEL du CHU de Rennes ont été les premières études à télésurveiller en France les patients porteurs d'un pacemaker ou d'un défibrillateur implantable (Current clinical evidence for remote patient management. Guédon-Moreau L, Mabo P, Kacet S.Europace. 2013 Jun;15 Suppl 1:i6-i10. doi: 10.1093/europace/eut119.PMID:23737234).

Les résultats cliniques et médico-économiques de E-COST ont été rapportés récemment sur ce site (https://telemedaction.org/think-tank/webinaire-du-25-avril). Les études E-COST et EVATEL, menées respectivement chez 433 et 1 501 patients, ont confirmé l'innocuité des défibrillateurs de télésurveillance sur la base de critères composites « durs », notamment la mortalité, les hospitalisations cardiovasculaires et les dysfonctionnements du système. La télésurveillance a permis aux professionnels de santé de réduire l'incidence des chocs inappropriés de 52 % dans E-COST et de 37 % dans EVATEL.

L'étude E-COST a montré que la télésurveillance des défibrillateurs implantables peut avoir un impact médico-économique positif, avec une réduction des chocs inappropriés due à une intervention précoce et une réduction des hospitalisations liées à ces chocs. En réduisant les coûts ambulatoires et les coûts de suivi (consultations et transports), les économies moyennes s'élèvaient à 315 euros par patient et par an. Une telle économie n'est pas négligeable eu égard au nombre important de patients qui bénéficient de ce suivi.


L'étude COMPAS (COMPArative Follow-up Schedule with Home Monitoring), initiée par le CHU de Rennes, impliquait le suivi de stimulateurs cardiaques chez 538 patients randomisés en deux bras (transmission à distance vs surveillance traditionnelle). Cette étude a démontré l'innocuité du suivi des patients par télécardiologie sur une période de 18 mois. Cette étude est parvenue aux mêmes conclusions pour le suivi des stimulateurs cardiaques que les autres études françaises, avec une réduction de 56% des consultations de suivi et une réduction des hospitalisations pour arythmie auriculaire ou AVC (Mabo P., Victor F., Bazin P., et al. A randomized trial of long-term remote monitoring of pacemaker recipients (the COMPAS trial). Eur. Heart J. 2012;33(9):1105–1111).


L'étude SETAM (Strategy of Early Detection and Active Management of Supraventricular Arrhythmia with Telecardiology) est une étude randomisée portant sur deux groupes de patients porteurs de stimulateurs cardiaques. Elle a montré que la télémédecine favorisait la détection précoce des événements, avec une réduction de 66 % des hospitalisations liées aux arythmies auriculaires et la prévention des AVC. L'étude a montré également que la télécardiologie permettait un diagnostic et un traitement plus précoces des patients atteints d'arythmies auriculaires, et une réduction des effets de la fibrillation auriculaire après neuf mois de surveillance chez les patients en rythme sinusal lors de l'inscription avec un score de CHA2DS2-VASc>= 2. Au total, 595 patients ont été inscrits dans 57 hôpitaux généraux (CHG) de France, pour une durée moyenne de 12,8 +/- 3,3 mois et un âge moyen de 79 +/- 8 ans. (Amara W., Montagnier C., Cheggour S., et al. Early detection and treatment of atrial arrhythmias alleviates the arrhythmic burden in paced patients: The SETAM study. Pacing Clin. Electrophysiol. 2017;40(5):527–536).


LES SOINS DISTANCIELS EN NÉPHROLOGIE


La télésurveillance médicale des patients en insuffisance rénale chronique terminale traités par hémodialyse chronique (ou télé dialyse) fut une des premières applications de la télémédecine au télésuivi des maladies chroniques (Bull. Acad. Natle Méd., 2018, 202, nos 3-4, 559-571, séance du 6 mars 2018).

Initiée au début des années 2000, quasi simultanément au Canada (région du Nouveau Brunswick), en Norvège (région du Nord-Halogaland) et en France (région Bretagne)

(Simon P. La télé dialyse Une application de la télémédecine a la surveillance médicale de séances d’hémodialyse réalisées à distance. Tech Hosp. 2005;692:60-4)., elle fit la preuve d’un service médical et social rendu aux patients souvent très âgés (Teledialysis in satellite hospital: 5-year practice in Saint-Brieuc.  Charasse C, Boulahrouz R, Leonetti F, Potier J, Stanescu C, Le Cacheux P, Ang KS, Baluta S, Simon P. .Nephrol Ther. 2013 Jun;9(3):143-53. doi: 10.1016/j.nephro.2013.01.002. Epub 2013 Feb 12.PMID:23410948).

Dans ces trois régions pionnières, la principale raison du développement de la télé dialyse fut d’éviter aux patients de plus en plus âgés les longs trajets fatigants qu’ils devaient effectuer trois fois par semaine pour effectuer les séances de traitement dans un centre ambulatoire d’établissement de soins.

En janvier 2010, le concept de télé dialyse fut adopté en France dans un rapport de la HAS, intitulé ‘‘ les conditions de mise en œuvre de la télémédecine dans les unités de dialyse médicalisées ’’. La définition était la suivante : la télé dialyse consiste à mettre en œuvre un système communicant entre un centre principal où se trouve l’équipe de médecins néphrologues et une unité satellite ou UDM où se trouvent les patients et l’équipe soignante.

Pour la HAS, le système de télé dialyse est composé de plusieurs briques : la visualisation et le stockage des paramètres générés par les moniteurs d’hémodialyse et destinés à la télésurveillance médicale ; la visioconférence pour la téléconsultation néphrologique de fin de séance, la téléassistance des infirmiers pendant la séance et la téléexpertise éventuelle d’une autre spécialité ; les applications support nécessaires à la réalisation d’actes médicaux à distance. A la suite de ce rapport, le décret de télémédecine du 19 octobre 2010 fut intégré aux décrets no 2002-1197 et 2002-1198 du 23 septembre 2002 relatifs à l’activité de traitement de l’insuffisance rénale chronique par la pratique de l’épuration extra-rénale et aux conditions techniques de mise en œuvre. Ce nouveau décret no 2012-202 du 10 février 2012 modifiait les conditions techniques de fonctionnement des établissements de santé qui exercent l’activité de traitement de l’insuffisance rénale chronique par la pratique de l’épuration extrarénale en permettant aux néphrologues et aux établissements de santé publics et privés de développer la télé dialyse dans des conditions légales et réglementaires. Toutefois, l’absence de financement de ces nouvelles pratiques professionnelles par l’Assurance maladie obligatoire a retardé leur mise en œuvre. Il faudra attendre la mise en place du programme ETAPES pour que les conditions de mise en œuvre de la télésurveillance médicale des patients hémodialysés soient possibles et financées, ce qui permit aux néphrologues des établissements privés (ESPIC et commerciaux) d'utiliser cette solution alternative à l’hémodialyse en centre ambulatoire. La télé dialyse bénéficie depuis le 1er août 2023 du financement dans le droit commun.

D'autres expérimentations de soins distanciels en néphrologie suivirent les publications princeps des néphrologues bretons : l'expérimentation Diatelic pour le suivi des patients en dialyse péritonéale à domicile lancée au début des années 2000 par l'Association ALTIR de Vandoeuvre-les Nancy (Durand PY, Chanliau J, Kessler M, Romary L, Thomesse JP, Charpillet F, et al. DIATELIC : A new intelligent telemedicine system to avoid hydratation disorders in CAPD patients. Perit Dial Int. 2000 ; 20 : S77) et l'expérimentation Transplantélic lancée par le service de néphrologie du CHU de Nancy en 2012 (Kessler M, Erpelding ML, Empereur F, Rose C. Transplantelic : an application of telemedicine in kidney transplantation. Eur Res Telemed. 2013 ; 2 :5–10.).


L'APPORT DE LA TELECONSULTATION ET DE LA TELEEXPERTISE CHEZ LES PERSONNES ÂGÉES PORTEUSES DE PLAIES CHRONIQUES.


En 2012, le service de Gériatrie du CHU de Bordeaux lance une expérimentation de téléconsultation auprès de six Ehpads d'Aquitaine, avec 19 patients d'âge moyen de 82,4 ans, 51 téléconsultations portant sur le suivi des escarres (57,9%), des ulcères vasculaires trophiques (26,3%) et des plaies traumatiques (15,8%). La téléconsultation a considérablement amélioré le processus de cicatrisation des plaies et réduit les dépenses en bandages en réduisant le taux de changement de pansements (p <0,005). Ce travail a montré un excellent niveau de suivi, avec un taux de recommandations proche de 100%. L'information et l'aide offertes lors des téléconsultations ont permis d'offrir une formation théorique et pratique remarquable au personnel des soins infirmiers. Sur le plan économique, cette étude a montré que les consultations à distance ont permis d'éliminer le besoin de consultations en présentiel ou d'hospitalisation pour 79 % des patients inclus (Salles N., Baudon M.P., Caubet C., et al. Telemedecine consultations for the elderly with chronic wounds, especially pressure sores. Eur Telemed Res. 2013;2:93–100.).


En 2009, au centre de traitement ambulatoire des plaies chroniques du service de dermatologie du CHU de Besançon, 240 patients ont reçu 820 pansements des services ambulatoires. La plupart de ces cas concernaient des patients fragiles, âgés et à mobilité réduite. Le service de dermatologie a décidé de mettre en place un service de téléconsultation pour assurer le suivi et le diagnostic à distance des plaies. Les objectifs étaient d'améliorer le suivi des patients en limitant le nombre de consultations au centre de traitement du CHU, en réduisant le coût des soins et en offrant aux hôpitaux locaux, aux cabinets libéraux et aux maisons de retraite un réseau d'accompagnement structuré. (Bonnans V., Droz-Bartholet L., Garcia E., et al. Implementation of a teledermatology department in the Franche-Comté region, France. Eur Telemed Res. 2012;1:96–103.)


Conduite par le CHU de Limoges, l'expérience de traitement des plaies chroniques chez des sujets âgés résidant en EHPAD par télé-expertise a été menée en Haute-Vienne à partir d'avril 2010. L'objectif était d'éviter le déplacement de patients âgés (souvent à mobilité réduite) et de réduire les coûts générés par le transport en ambulance. Sur les 40 EHPAD de la Haute-Vienne invités à participer, 22 ont accepté, mais seuls les 10 premiers ont été retenus pour l'expérimentation. Entre avril 2010 et avril 2012, des photographies numériques de 34 patients sélectionnés par 10 Ehpads ont été envoyées à la messagerie sécurisée mise en place spécifiquement pour le CHU. Le nombre moyen de télétransmissions par ces maisons de retraite était de 3,4 en 2 ans. Ces 34 cas représentaient 26 plaies chroniques chez 24 patients. Il y avait 10 escarres, 2 ulcères perforants du pied et 14 ulcères de jambe. 20 allers-retours ambulatoires ont été évités. La télé-expertise a permis à 20 patients de mieux soigner leurs plaies chroniques sans être transférés à l'hôpital (Sparsa A., Doffoel-Hantz V., Bonnetblanc J.M. Assessment of tele-expertise among elderly subjects in retirement homes. Ann. Dermatol. Venereol. 2013;140:165–169.).


Les réseaux de prise en charge des plaies chroniques CICAT en Occitanie et TELAP en Normandie se sont réunis dans l'étude Domoplaies, financée à partir de 2012 par l'ASIP santé, et, dans le droit commun de la Sécurité sociale, à partir de 2018 et 2021.

Selon l'analyse médico-économique du réseau CICAT-Occitanie, le service de télémédecine (téléconsultation et téléexpertise) Domoplaies a permis un taux de cicatrisation des plaies complexes et/ou des maladies chroniques à la moitié du coût d'un traitement classique (Sood A., Granick M.S., Trial C., et al. The role of telemedicine in wound care: A review and analysis of a database of 5,795 patients from a mobile wound-healing center in languedoc-roussillon, France. Plast. Reconstr. Surg. 2016;138(3) Suppl.:248S–256S).

L'analyse médico-économique de la partie Domoplaies du réseau TELAP faisait état d'un coût moindre de 4583 euros par patient sur 9 mois. (REAL-WORLD CLINICAL EVALUATION AND COSTS OF TELEMEDICINE FOR CHRONIC WOUND MANAGEMENT. Le Goff-Pronost M, Mourgeon B, Blanchère JP, Teot L, Benateau H, Dompmartin A.Int J Technol Assess Health Care. 2018 Jan;34(6):567-575. doi: 10.1017/S0266462318000685. Epub 2018 Oct 29.PMID:30369340).


LA TELEMEDECINE DANS LES SOINS GERIATRIQUES A DOMICILE ET EN EHPAD


L'expérimentation ESOPPE, mené en Corrèze, est unique en Europe. Il s'agit d'une évaluation économique, sociale et environnementale de la domotique et de la téléassistance avancée (ATD) chez des sujets âgés vivant à domicile avec une autonomie limitée. Le programme comprenait 194 adultes âgés de 65 ans et plus vivant à domicile et inscrits sur une liste de personnes âgées fragiles, exposées à des chutes à domicile.

L'utilisation de trajets lumineux, couplée à la téléassistance, était significativement associée à la réduction des chutes à domicile (valeur p = 0,0012). Il y avait également une réduction des hospitalisations après une chute dans le groupe exposé (valeur p = 0,009). En effet, une diminution de 30 % des chutes a été constatée chez les personnes utilisant le forfait domotique et téléassistance. En termes de chutes, l'ATD a considérablement amélioré les résultats, tant en nombre qu'en gravité. À la fin de l'expérience, les personnes âgées étaient significativement moins déprimées que les sujets témoins. En termes de dépendance, la tendance semble positive, avec une nette amélioration selon l'indice français de mesure de l'autonomie (GIR), mais ces résultats restent à valider sur une plus longue période (Tchalla A.E., Lachal F., Cardinaud N., et al. Efficacy of simple home-based technologies combined with a monitoring assistive center in decreasing falls in a frail elderly population (results of the Esoppe study). Arch. Gerontol. Geriatr. 2012;55:683–689).


L'étude DETECT utilise la télémédecine pour la prise en charge des troubles psychocomportementaux dans 20 maisons de retraite. Lancée par le CHU de Toulouse, il s'agit d'une étude d'intervention randomisée, ouverte et multicentrique, avec un groupe témoin recevant les soins habituels et un groupe d'intervention recevant des téléconsultations d'experts à distance. L'objectif principal est d'évaluer l'acceptabilité de la téléconsultation experte, avec pour objectif secondaire de tracer et de comparer des paramètres spécifiques dans les deux groupes de maisons de retraite, tels que le taux d'hospitalisations et de consultations pour des symptômes comportementaux et psychologiques de démence (SCPD), le taux de prescriptions de neuroleptiques et de psychotropes, les coûts des soins aux patients et la qualité de vie des patients (Piau A., Nourhashemi F., De Mauléon A., et al. Telemedicine for the management of neuropsychiatric symptoms in long-term care facilities: the DETECT study, methods of a cluster randomised controlled trial to assess feasibility. BMJ Open. 2018;8(6):e020982).


Le réseau TELEGERIA fondé en 2004 déploie des soins distanciels de l'hôpital Européen Georges Pompidou vers l'hôpital gériatrique Vaugirard et d'autres hôpitaux gériatriques de la région d'Île de France. Ce système propose des téléconsultations avec des experts, ainsi que de la téléassistance pour les patients âgés résidant dans les hôpitaux gériatriques et les maisons de retraite. Télégéria apporte des conseils d'experts grâce à des téléconsultations avec l'HEGP. Le réseau est basé sur l'observation de la polypathologie chez les personnes âgées, ce qui nécessite l'apport de spécialistes multidisciplinaires. L'objectif médical est d'évaluer l'intérêt et le potentiel de l'utilisation de la télémédecine par des séances cliniques dans plus de 20 domaines d'expertise, dont l'orthopédie, la dermatologie, la cardiologie, la prise en charge des escarres, la médecine vasculaire, les soins palliatifs, la pneumologie, la neurologie et l'urologie, ainsi que des séances entre gériatres hospitaliers et médecins coordonnateurs des maisons de retraite (Espinoza P., Gouaze A., Bonnet B., et al. Deployment of telemedicine in health territory. Tele-geria, a precursor experimental model. Telemed Health. 2011;725:9–17).


QUELLES LEÇONS TIRER DE CES EXPÉRIMENTATIONS CONDUITES DANS LA POPULATION ÂGÉE ?


Ces expérimentations n'ont jamais été évaluées ensemble par les autorités sanitaires qui les ont financées. Le Think Tank Santé Numérique et Télésanté souhaite lors de son prochain webinaire faire un point sur la façon dont les personnes âgées, en 2024, bénéficient de solutions apportées par la santé numérique et la télésanté, en particulier la télémédecine.

Rappelons que pendant la pandémie, les personnes âgées ont très peu bénéficié de la téléconsultation, notamment dans les Ehpads (https://telemedaction.org/422016875/453185455). On peut regretter que le débat médiatique actuel sur la télémédecine soit encore accaparé par la téléconsultation des adultes (jeunes) réalisée sur les plateformes des sociétés de téléconsultation (https://telemedaction.org/423570493/le-far-west-de-la-t-l-consultation). On parle de façon insuffisante des besoins de télémédecine chez les personnes âgées atteints de maladies chroniques, lesquelles doivent aujourd'hui pouvoir bénéficier de parcours de soins hybrides alternant des soins distanciels et des soins présentiels, de la manière la plus personnalisée possible (https://telemedaction.org/422021881/m-decine-hybride-au-21-me-si-cle).


Une première leçon serait le constat que la plupart des expérimentations démontrent que les soins distanciels ne sont pas inférieurs aux soins présentiels et, que sur le plan éthique, il n'est pas anormal de proposer de telles organisations de soins aux personnes âgées, en particulier lorsqu'elles sont handicapées, surtout lorsque le service médical et social rendu est démontré. Bien évidemment les droits des patients doivent être respectés et le consentement préalable obtenu.

Une deuxième leçon est que les soins distanciels, dans la plupart des études conduites, apportent la preuve que des hospitalisations peuvent être évitées lorsque le suivi à domicile est bien organisé. Le rôle des équipes de soins composées d'infirmier(e)s, d'aides-soignant(e)s et de médecins était déjà essentiel dans ces études anciennes. Cela conforte la vision actuelle.

Une troisième leçon est que la personne âgée s'adapte parfaitement aux nouvelles organisations de soins hybrides à la condition que les soins distanciels soient de qualité.

Une quatrième leçon est que le champ des possibles de la télémédecine et du télésoin dans la population âgée est beaucoup plus large que ce que pensent certains professionnels ou institutionnels aujourd'hui. Il est vrai que les soins distanciels doivent relever d'une équipe de soins qui assiste le patient, condition essentielle de réussite dans toutes les expérimentations que nous avons présentées.

Une cinquième leçon est que le bénéfice financier pour l'assureur national est incontestable (moins de transport sanitaire, moins d'hospitalisation). Certaines études l'ont montré. De même, le bénéfice pour l'environnement est démontré dans de nombreuses études récentes (https://telemedaction.org/423570493/sant-et-empreinte-carbone).

Enfin, une dernière leçon, ces expérimentations dans les divers domaines qui les ont caractérisées (cardiologie, néphrologie, gérontologie, dermatologie, neuropsychiatrie, etc.) apportent un réel service rendu médical au patient, très souvent associé à une meilleure vie sociale.

 

25 mai 2024