Construisons ensemble la médecine du XXIème siècle
Le précédent billet (http://www.telemedaction.org/452164786) a fait le point sur la vision française des déserts médicaux depuis 20 ans et sur les solutions mises en place par les pays développés, européens et nord-américains, confrontés depuis le début du 21ème siècle à la même situation.
Nous pensons que la France a fait le bon choix avec la loi Ma Santé 2022, promulguée le 26 juillet 2019. La pandémie de 2020-2021 a gêné sa mise en oeuvre rapide. Elle le sera d'ici la fin 2023 et apportera des réponses concrètes aux difficultés d'accès aux soins de nos concitoyens vivant en zone de sous-densité médicale. C'est l'objet de ce deuxième billet.
Les déserts médicaux peuvent-ils bénéficier des nouvelles organisations professionnelles territoriales mises en place par la loi Ma Santé 2022 ?
Nous le pensons, car la question de l'accès aux soins dans les zones isolées en sous-densité médicale ne peut attendre. Même si les expérimentations art.51 sont nécessaires à la mise en place de nouveaux modes de rémunération dans le secteur libéral, il nous parait possible aujourd'hui d'apporter aux citoyens vivant en zone rurale une amélioration de l'accès aux soins, d'autant que la France s'est dotée, avec la loi Ma Santé 2022, de nouveaux moyens numériques de coordination des soins, lesquels ne peuvent que favoriser la mise en place de ces nouvelles organisations.(http://www.telemedaction.org/447931078) (http://www.telemedaction.org/450202746) (http://www.telemedaction.org/451741841)
Rappelons brièvement les avancées de la loi Ma santé 2022 permettant aux professionnels de santé libéraux de mettre en place de nouvelles organisations.
Les avancées pour les professionnels de santé des soins de ville.
Une volonté de donner la priorité dans un territoire aux soins de proximité (CPTS, maisons et centres de santé, établissements de proximité), des moyens de retrouver du temps médical (assistants médicaux), un renforcement des compétences infirmiers/infirmières (IPA) pour qu'ils/elles participent aux soins primaires. Enfin la loi Ma santé 2022 a créé une nouvelle pratique à distance, le télésoin, pour les pharmaciens et les 17 professions d'auxiliaire médical. Le décret d'application a été publié le 3 juin 2021 et a été enrichi de l'élargissement de la pratique de téléexpertise aux pharmaciens et aux auxiliaires médicaux en étant requérant auprès d'un professionnel médical requis (médecin généraliste, autres spécialités)
Les avancées pour la transformation numérique du système de santé.
Des outils de coordination des soins sécurisés mis à la disposition du patient (Mon Espace Santé avec le DMP, la Messagerie sécurisée santé (MSS), l'agenda des rendez-vous, les applis numériques pour l'éducation des patients et le suivi des maladies chroniques), et des professionnels de santé (solutions numériques permettant d'exercer la télésanté en toute sécurité et avec agilité, interopérabilité des logiciels métiers avec le DMP de MES).
Quelles seraient les nouvelles organisations territoriales dont pourraient bénéficier les déserts médicaux ?
Un Etat, même décentralisé (ARS), a du mal à mettre en place des organisations innovantes décidées par les seuls pouvoirs publics (top down). Et on l'a bien vu avec toutes les solutions décidées au cours de ces dernières années qui n'ont pas eu l'impact escompté sur les déserts médicaux.
Les organisations innovantes, mises en place par les acteurs du territoire ("bottom up"), sont apparues dans la loi Ma Santé 2022. Les Communautés Professionnelles Territoriales de Santé (CPTS), créées à l'initiative des professionnels de santé du terrain exerçant au sein d'un territoire, représentent la principale innovation de cette loi. Les CPTS ont en charge l'amélioration de l'accès aux soins des citoyens au sein du territoire de vie. Les CPTS ont aussi en charge l'amélioration de l'accès aux soins des populations vivant en zones sous-denses. Les CPTS illustrent la démarche "bottom up" souhaitée par les pouvoirs publics. (http://www.telemedaction.org/444086908)
L'indicateur APL devrait évoluer. Initialement réservé à l'évaluation de l'activité médicale (consultations/an/hab.) au niveau d'une commune, il pourrait prendre en compte les activités d'autres professionnels de santé impliqués dans les soins primaires. Un APL intégrant non seulement les médecins mais également les pharmaciens et les infirmiers/infirmières qui participent au parcours pluriprofessionnel de soin primaire serait plus intéressant.
Les infirmiers/infirmières et les pharmaciens d'officine sont déjà autorisés par leurs rôles propres à être les premiers interlocuteurs de personnes relevant d'un soin primaire. Certains le font, d'autres l'ignorent. Ils sont souvent consultés lorsque les citoyens ne peuvent joindre leur médecin traitant ou un médecin tout court s'ils n'ont pas encore de médecin traitant. L'arrivée des IPA dans certaines MSP renforce ce maillage territorial.
L''offre de soin primaire que représentent ces professionnels de santé libéraux dans les zones en sous-densité médicale peut être essentielle. Les CPTS, avec la participation des MSP, des Centres de santé et des établissements de santé, peuvent organiser des interventions dans les zones d'intervention prioritaire. Les pratiques pertinentes de télésanté contribuent à répondre à certaines situations cliniques. Elles ne représentent pas la seule réponse aux problèmes d'accès aux soins dans les déserts médicaux.
L'exemple des demandes de soins non-programmés dans un territoire.
Le décret du 22 mars 2022 a créé la plateforme nationale du "Service d'Accès aux Soins" (SAS)(La plateforme numérique du service d'accès aux soins créée par un décret (ticsante.com).
Il faut saluer la création de cette plateforme qui devrait décharger le centre 15 et aider à mieux orienter les patients au sein d'un territoire de santé. Bien évidemment chaque CPTS a accès à la plateforme SAS chaque fois qu'elle doit gérer une demande de soin non-programmé. Le pharmacien d'officine ou l'infirmier/infirmière libéral (IPA), sollicité par le citoyen, aura aussi accès à cette plateforme, ce qui l'aidera à gérer la demande du patient et à l'orienter dans le territoire de santé auprès d'un médecin pour réaliser une consultation présentielle ou une téléconsultation. On mesure l'intérêt majeur pour un citoyen d'avoir ouvert son "MES" pour bénéficier d'une consultation ou d'une téléconsultation de qualité, en conformité avec les recommandations de bonnes pratiques. (http://www.telemedaction.org/449536030)
Le succès de SAS dépendra aussi de l'organisation territoriale mise en place par les CPTS. Nous avons rapporté l'expérience d'Urgence Chrono, solution qui a montré la nécessité de bien penser le parcours de soin non-programmé au sein d'un territoire de santé. Cette application est une coconstruction professionnel de santé/industriel. Cette solution séduit aujourd'hui des CPTS et des établissements de santé. Elle est typiquement une initiative de type "bottom up". (http://www.telemedaction.org/448750163).
L'exemple du patient atteint de maladies chroniques, qui n'a plus de médecin traitant après le départ en retraite de son médecin.
Il s'agit souvent de patients âgés qui ont besoin de renouveler régulièrement leur traitement, de vérifier certains indicateurs cliniques et/ou biologiques de suivi de leur(s) maladie(s) chronique(s). Le pharmacien est autorisé depuis le 31 mai 2021 à effectuer directement un renouvellement d'ordonnance. Il peut éventuellement utiliser la téléexpertise avec le médecin traitant si nécessaire. (http://www.telemedaction.org/449726934)
Mon Espace Santé (MES) apporte aussi une simplification du suivi des patients atteints de maladies chroniques. Comme l'a montré l'expérience des infirmiers/infirmières Asalée depuis plus de dix ans, une IDE formée au suivi des maladies chroniques et à l'éducation thérapeutique peut décharger le médecin traitant du suivi régulier de ces patients chroniques. Ce dernier revoit les patients une fois par an ou plus souvent si l'IDE Asalée le demande. C'est la mission aujourd'hui d'un(e) IPA spécialisé(e) dans le suivi des maladies chroniques. (http://www.telemedaction.org/page:4277B904-7305-4C26-BF88-F6735BB46C26"443339538.html" style="padding: 0px; text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0); font-family: Georgia, serif; font-size: 16px; letter-spacing: 0px; font-weight: normal; font-style: normal; text-decoration: underline solid rgb(0, 0, 0); text-shadow: none; text-transform: none; direction: ltr;" class="textnormal">http://www.telemedaction.org/443339538)
L'IPA spécialisée en maladies chroniques, en charge des patients d'un territoire, peut prendre l'initiative parmi les onze prévues par l'arrêté du 22 octobre 2021. (https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000044293333)
En matière de télésanté, l'IPA peut organiser une téléconsultation avec un médecin du territoire disponible au sein même de son cabinet infirmier (cf. l'expérimentation réussie pilotée par l'ARS de Normandie, https://actu.fr/normandie/villedieu-les-poeles-rouffigny_50639/un-reportage-sur-telemedecine-tourne-dans-manche-diffuse-sur-france-2_22151968.html) L'IPA a accès à MES, avec l'accord du patient, pour connaitre les données de santé du consultant. L'PA assiste le patient lors de la téléconsultation et pourra utiliser à la demande du médecin des objets connectés pour compléter l'examen clinique virtuel.
La patient isolé ou illectronique peut aussi s'adresser au pharmacien de l'officine de proximité du domicile pour réaliser uen téléconsultation avec un médecin du territoire de santé qui pratique la téléconsultation. Les outils numériques pour prendre des rendez-vous figurent dans MES auquel le pharmacien a accès avec l'accord du patient. Tous les pharmaciens d'officine exerçant dans les zones en sous-densité médicale peuvent organiser des téléconsultations depuis l'arrêté du 2 septembre 2019. (https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000039050631)
Dans le cadre de l'avenant 9 à la Convention nationale médicale (http://www.telemedaction.org/450710673), l'Assurance maladie vient de publier le 8 avril 2022 une Charte des bonnes pratiques de la téléconsultation. (Charte-bonnes-pratiques-teleconsultation.pdf (ameli.fr). Cette Charte précise, entre autres, que "la territorialité de la réponse à la demande de soins d’un patient, par le recours à la téléconsultation, est un principe général, qui s’applique tant aux téléconsultations organisées sur orientation du médecin traitant qu’aux téléconsultations proposées par les organisations territoriales coordonnées ou le service d’accès aux soins (SAS)".
L’exigence du respect du principe de territorialité pour recourir à la téléconsultation ne s’applique pas pour les patients résidant dans les zones les plus fragiles en offre de soin médicale, soit en pratique dans les zones dites « zones d’intervention prioritaire » (ZIP)1, n’ayant pas de médecin traitant ou en l’absence d’organisation territoriale coordonnée de télémédecine.
Toutefois, même en l’absence d’organisation territoriale de téléconsultation, les sociétés d’offre de téléconsultation sont tenues d’orienter prioritairement les patients qui les consultent vers des praticiens pouvant les recevoir dans des délais adaptés en proximité de leur résidence.
Le principe de territorialité ne s’applique pas pour les patients orientés par le régulateur du service d’accès aux soins (SAS) en cas d’échec d’une prise de rendez-vous en présentiel sur le territoire.
L'IPA peut aussi répondre à une demande de soin primaire en réalisant une téléexpertise auprès du médecin traitant ou d'un médecin spécialiste libéral ou hospitalier de la maladie chronique du patient. Le patient âgé sera ainsi conforté dans sa prise en charge. Il n'y a pas toujours besoin d'une consultation ou une téléconsultation immédiate pour répondre à une demande de soin primaire. Tous les actes réalisés à distance sont tracés dans le DMP de MES, permettant ainsi au médecin traitant, s'il existe, de retrouver les différents éléments du parcours de soin assuré par l'IPA et/ou le pharmacien d'officine.
Enfin, l'IPA et le pharmacien d'officine peuvent accompagner par télésoin un patient résidant dans une zone isolée ou rurale ou une personne handicapée. Pouvoir dialoguer avec ces professionnels de santé peut régler certaines angoisses et prévenir des consultations médicales, voire des venues aux urgences hospitalières. L'IPA et le pharmacien d'officine ont la possibilité d'être soutenus par les médecins grâce à la téléexpertise.
En résumé, on n'a pas suffisamment mesuré jusqu'à présent ce que la loi Ma Santé 2022 apportait à l'amélioration de l'accès aux soins des personnes isolées ou vivant dans des zones en sous-densité médicale. La pandémie à la Covid-19, dont nous allons sortir seulement dans quelques semaines (fin de l'état d'urgence sanitaire), n'a pas encore permis aux professionnels de santé de s'approprier toutes les avancées organisationnelles apportées par cette loi. Les CPTS sont les chefs d'orchestre des nouvelles organisations qui naitront au niveau de chaque territoire avec les professionnels de santé du terrain (bottom up).
Les pratiques de télésanté sont des solutions complémentaires et non substitutives
aux actions présentielles. Il ne faut pas reproduire l'erreur commise précédemment, lorsque certains élus locaux ont pensé que la télémédecine pouvait se substituer à la présence
d'un professionnel médical. Il faut désormais bâtir des organisations pluriprofessionnelles (IPA, pharmaciens, médecins) à l'image de que d'autres pays ont réalisé avec succès. La télésanté
(téléconsultation, téléexpertise, télésurveillance et télésoin) permet aujourd'hui en France à toutes les professions de santé concernées par les soins primaires de compléter
leurs actions présentielles par des séquences distancielles. La France dispose de tous les moyens légaux et réglementaires qui ont permis à d'autres pays de répondre efficacement
au problème des déserts médicaux.
16 avril 2022