Construisons ensemble la médecine du XXIème siècle
La télépsychiatrie fut une des premières applications de la télémédecine aux USA au début des années 70. C'est la pratique de la télémédecine la plus développée à travers le monde. Les auteurs californiens de cet article ont réalisé depuis 3 ans une étude comparative de la télépsychiatrie asynchrone (ATP) avec la prise en charge habituelle par des téléconsultations de psychiatre dénommées dans ce papier "télépsychiatrie synchrone" (STP).
L'objectif des auteurs est de vérifier si la diversification des modes de prises en charge en santé comportementale est possible, notamment si une coopération étroite avec les professionnels de santé de soins primaires par téléexpertise asynchrone pourrait améliorer cette prise en charge en la rendant plus rapide et plus efficace. L'étude sera poursuivie pendant 5 ans, mais les auteurs font part de leurs premiers résultats à 3 ans.
Yellowlees P, Burke Parish M, González Á, Chan S, Hilty D, Iosif AM, McCarron R, Odor A, Scher L, Sciolla A, Shore J, Xiong G. Asynchronous Telepsychiatry: A Component of Stepped Integrated Care Telemed J E Health. 2018 May ;24(5) :375-378.
INTRODUCTION
La santé comportementale intégrée est une approche globale des soins qui comprend une équipe de professionnels de soins primaires (PCPS) et de professionnels de la santé comportementale, qui travaillent ensemble dans le cadre des soins primaires pour la prise en charge des patients et de leurs familles, et en utilisant une approche systémique et rentable pour fournir des soins dans une population prédéfinie.
L'amélioration des flux de travail cliniques à travers les soins primaires et spécialisés en utilisant des choix gradués de solutions numériques peut rendre les soins en santé comportementale plus efficaces.
Les technologies digitales telles que les dossiers médicaux numériques (DMN), le courrier électronique, le téléphone et la messagerie numérique sécurisée par le biais de portails web pour les patients ont créé une série de choix de pratiques de la télémédecine pour les patients et les professionnels de santé.
Lorsque les PCPS sont en mesure de combiner des soins directs avec des options de consultation synchrones et asynchrones, une multitude de possibilités de soins devient disponible, ce qui permet d'avoir une structure de soins plus souple et plus graduée.
METHODOLOGIE
Le protocole d'essai clinique a été approuvé par le Conseil d'examen institutionnel de l'UC Davis. Les PCPS ont été informés de l'étude par des présentations du projet au sein de leur clinique et/ou par courrier direct/courrier électronique et/ou par appel téléphonique. Les professionnels de santé participant ont été invités à identifier les patients de soins primaires souffrant de troubles psychiatriques (généralement la dépression, l'anxiété ou l'usage de drogues) qui, selon eux, bénéficieraient d'une évaluation et d'un suivi en consultation psychiatrique tous les 6 mois pendant 2 ans. Les patients dangereux pour eux-mêmes ou d'autres personnes ou ceux qui avaient une déficience cognitive significative étaient exclus de l’étude. Après le consentement, les patients ont été randomisés dans l'un des deux groupes de traitement (ATP pour la télépsychiatrie asynchrone ou STP pour la télépsychiatrie synchrone) avec une stratification à partir du diagnostic primaire de trouble comportemental après la première entrevue clinique.
Les entretiens des patients dans le bras ATP ont été conduits par un clinicien formé à cette pratique à la clinique de PCPS du patient, en utilisant des éléments de base et des concepts clés de l'entretien psychiatrique. Cette interview était enregistrée par vidéo. En plus de fournir l'intégralité de la vidéo de l'entretien, les intervieweurs ont noté les segments de vidéo qu'ils jugeaient pertinents sur le plan clinique, où des signes importants devaient être discutés avec le psychiatre. Après avoir examiné la vidéo du patient (en général d'une durée moyenne de 30 à 45 min), toutes les données écrites fournies par l'intervieweur ATP étaient mises dans le dossier digital du patient, le psychiatre fournissait alors une évaluation écrite et un plan de traitement psychiatrique également dans le dossier digital du patient, que le PCPS pouvait ensuite consulter pour sa discussion avec le patient avant de prendre les décisions thérapeutiques sur la base des recommandations fournies. Le PCPS avait un accès continu au psychiatre par la messagerie, le téléphone ou le courriel du dossier numérisé entre chaque consultation. Comparativement, dans le bras STP, le processus de téléconsultation et de communication avec le PCP était le même que pour les consultations ATP, mais les patients étaient directement évalués par le psychiatre qui pratiquait la STP au lieu de l'être après l'ATP. Dans les deux bras, les patients ont été suivis pendant 3 ans, chacun recevant cinq ATP ou cinq consultations de STP à 6 intervalles mensuels avec le résultat clinique, la satisfaction, et les données économiques collectées. L'étude se poursuit jusqu'à la fin de la 5ème année.
RESULTATS
Après trois ans d'inclusion et de suivi, les deux groupes étaient correctement appariés selon le nombre (ATP =77, STP = 81), l'âge moyen (ATP : 52,9+/-14,8 ans, STP : 51,8 +/- 15,1 ans), le sexe H/F (ATP : 55/22, STP: 53/28), l'ethnicité, et selon le diagnostic de maladie comportementale ; trouble de l'humeur ATP/STP (53/53), trouble de l'anxiété (14/16), toxicomanie (2/2), autres troubles (9/10). Il s'agit de résultats intermédiaires à trois ans.
La collaboration avec les professionnels des soins primaires qui transmettaient leurs observations au psychiatre référent a été aussi efficace que la prise en charge directe par le psychiatre. Aucune différence significative dans la qualité du suivi était observée. Le principal avantage pour les patients était que le délai de prise en charge adéquat dans le bras ATP était significativement réduit par rapport à celui des patients pris en charge par STP.
CONCLUSIONS
C'est l'utilisation d'un dossier médical numérique commun aux équipes de soins primaires et aux psychiatres qui est considérée comme le facteur le plus structurant dans la prise en charge asynchrone des patients ayant des troubles comportementaux, le dossier médical partagé pouvant véhiculer les enregistrements video de l'interview. L'ATP était non inférieure à la prise en charge STP. De plus, l''action des associations de patients pour les troubles addictifs (intoxication alcoolique chronique) n'a pas montré d'efficacité supérieure à l'ATP.
COMMENTAIRES. Le choix de cette publication pourrait étonner dans un pays où la psychiatrie a été marquée par l'école psychanalytique lacanienne qui a interdit pendant plusieurs décennies aux médecins psychiatres la pratique de la télépsychiatrie, alors qu'elle était la première indication de télémédecine aux USA. Cette publication de l'Université californienne Davis présente pour la première fois l'usage de ce que nous appelons en France "la téléexpertise asynchrone", dans le domaine de la psychiatrie, c'est à dire la coopération entre les professionnels médicaux de soins primaires et les psychiatres grâce à un dossier médical numérique partagé. En clair, pour réduire le délai de la téléconsultation psychiatrique (il était important sur le plan méthodologique de comparer deux méthodes de télémédecine), les auteurs de l'étude ont montré la non-infériorité de la téléexpertise psychiatrique asynchrone, comparée à l'accès direct au psychiatre par téléconsultation. Les troubles psychiatriques sévères avaient été exclus, de même que les patients porteurs de troubles cognitifs. La télépsychiatrie rejoint donc les autres spécialités médicales qui utilisent la téléexpertise asynchrone pour faire un premier tri des pathologies qui doivent être pris en charge en face à face par le médecin spécialiste. Le rôle des professionnels de santé de soins primaires est donc renforcé par le conseil diagnostic et thérapeutique du psychiatre donné par le moyen d'un dossier médical partagé. De plus, la téléexpertise joue un rôle apprenant dans des domaines spécialisés non maitrisés par les professionnelsu de soins primaires.
La téléexpertise psychiatrique asynchrone, s'appuyant sur un dossier médical partagé, devrait permettre de réduire le délai de la prise en charge de certaines pathologies comportementales et de favoriser le développement d'un parcours de soins coordonné en psychiatrie grâce à la collaboration des professionnels de santé de soins primaires.
16 juin 2018