Construisons ensemble la médecine du XXIème siècle
A partir du 1er août 2023, la télésurveillance médicale des patients atteints de maladies chroniques sera rémunérée en France dans le droit commun de la Sécurité sociale, comme le sont depuis septembre 2018 et février 2019 la téléconsultation et la téléexpertise, respectivement.
L'expérience allemande rapportée ici a été conduite par une équipe de l'Université de Hambourg.
Effectiveness of a home telemonitoring program for patients with chronic obstructive pulmonary disease in Germany: Evidence from the first three years. Hofer F, Schreyögg J, Stargardt T.PLoS One. 2022 May 12;17(5):e0267952. doi: 10.1371/journal.pone.0267952. eCollection 2022.PMID: 35551546
CONTEXTE
La bronchopneumopathie chronique obstructive (BPCO) touche plus de 6 millions de personnes en Allemagne. La surveillance à distance des paramètres vitaux des patients atteints de BPCO grâce à la télésurveillance peut aider les médecins et les patients à prévenir et à traiter les décompensations aiguës de la BPCO, à améliorer la qualité de vie des patients et à réduire les coûts pris en en charge par les assureurs.
En Allemagne,13,2 % des personnes âgées de plus de 40 ans ont une BPCO, soit environ 6,2 millions de personnes. Les coûts médicaux directs et indirects de la BPCO ont été estimés entre 1 212 et 3 492 € par patient et par an.
METHODES
Une étude rétrospective de cohorte a été réalisée. L'inclusion de 909 patients s'est faite d’octobre 2012 à décembre 2015. L'assureur allemand (AOK Bayern), à l'origine de l'étude, a utilisé les données administratives des patients. Après avoir construit un groupe témoin (personnes assurées chez AOK Bayern mais ne faisant pas partie du programme) à l’aide de la technique d’équilibrage, nous avons tenu compte de l’hétérogénéité invariante dans le temps. Nous avons estimé les différences dans les taux de mortalité à l’aide de la régression de Cox et effectué des analyses de sous-groupes et de sensibilité pour vérifier la robustesse des résultats du scénario de référence. Nous avons suivi chaque patient inclus dans le programme pendant 3 ans à partir du moment de son inclusion. Certaines comorbidités ont été exclues de l'étude (cancer, trouble cognitif, traitement par dialyse, etc.)
Les mesures d’accompagnement visaient à prévenir la décompensation aiguë de la BPCO. Ces mesures consistaient, soit en des informations supplémentaires fournies aux patients sur la meilleure façon de gérer leur maladie, soit en les initiant aux critères d’une prise en charge en urgence par la plateforme. Toutes les mesures prises étaient communiquées au médecin généraliste ou au médecin spécialiste responsable du patient. Toutes les informations recueillies auprès du patient, telles que celles sur les paramètres vitaux ou les contacts avec la plateforme étaient hébergées dans un dossier patient électronique accessible à la fois par la plateforme de télésurveillance, le patient et le médecin généraliste ou le médecin spécialiste responsable du patient, avec l’accord du patient.
L’équipement de télésurveillance de base se composait d’un décodeur et d'un spiromètre. De plus, un oxymètre était fourni à la place ou en plus du spiromètre si le volume expiratoire maximal en 1 seconde (VEMS1) était inférieur à 35 % au début du programme ou tombait en dessous de 35 % par la suite. Il n'était donc pas disponible pour tous les patients ayant le statut GOLD 3 ou 4 (Global Initiative for Chronic Obstructive Lung Disease). Les données mesurées par oxymètre ont également été recueillies deux fois par semaine. Enfin, les patients ont été invités à remplir un questionnaire sur leur bien-être général et à passer un test d’évaluation de la BPCO deux fois par semaine. À des intervalles prédéfinis de deux à trois semaines, les patients ont reçu du contenu éducatif par téléphone sur le sevrage tabagique et sur la façon de suivre un mode de vie plus sain.
RESULTATS
L’étude visait à évaluer les coûts directs de la télésurveillance, l’utilisation des soins de santé et la mortalité sur une période de trois ans. 909 patients étaient inclus dans la cohorte de télésurveillance, avec un âge moyen de 63 ans et elle était composée de 55% d'hommes.
Les coûts directs et utilisation des soins de santé.
Nous avons examiné non seulement les coûts médicaux directs totaux, mais aussi les coûts du traitement hospitalier, du traitement ambulatoire, de la réadaptation et des produits pharmaceutiques.
Les patients ont été invités à utiliser un spiromètre deux fois par semaine pour recueillir des informations sur leur fonction pulmonaire de manière non invasive, informations transmises automatiquement à un centre de télémédecine. Les données des patients étaient surveillées par des médecins et des infirmières qui pouvaient être contactés par téléphone 24 heures sur 24, 7 jours sur 7. Les patients ont été contactés par la plateforme chaque fois que leur fonction pulmonaire s’était détériorée en dessous d’un seuil prédéfini par leur pneumologue.
Parmi les patients de la cohorte de télésurveillance, nous avons observé des coûts hospitaliers significativement plus élevés dus à la BPCO (524,2 €, p< 0,05 ; 0,7260, p < 0,05 ; 3,3170, p < 0,01) et un nombre plus élevé de contacts ambulatoires au cours des deux premières années (0,945, p<0,001). Par rapport à la population témoin, les coûts étaient plus élevés dans la cohorte télésuivie pendant la 1ère année, dus à une augmentation des hospitalisations programmées et des venues aux urgences. Le nombre de médicaments prescrits était significativement plus élevé dans la cohorte télésuivie, et cela pour chacune des trois années de télésuivi.
Mortalité
La télésurveillance médicale était associée à une survie plus longue selon le modèle de Cox (p<0,001). Le bénéfice de survie était encore significatif lorsque les biais d'observation étaient pris en compte.
Une analyse des sous-groupes selon la classification GOLD.
Le sous-groupe GOLD 1 ou 2 regroupait 222 patients, le sous-groupe GOLD 3 : 212 et le sous-groupe GOLD 4 : 317. Par rapport à la population témoin également en sous-groupes, les coûts étaient moindres dans le sous-groupe GOLD 1 ou 2 et plus élevés dans le sous-groupe GOLD 4 au cours des deux premières années. La consommation de médicaments était plus élevée dans les 3 sous-groupes.
CONCLUSIONS
La télésurveillance était associée à des dépenses de santé plus élevées, surtout au cours de la première année du programme. Par exemple, nous avons pu identifier une augmentation statistiquement significative des coûts des patients hospitalisés en raison de leur BPCO, des séjours ambulatoires et des prescriptions de médicaments chez les personnes participant au programme de télésurveillance. Le programme de télésurveillance était associé à une meilleure survie, possiblement liée à une meilleure observance du suivi, à un traitement médicamenteux plus intensif ou à une meilleure compréhension de la maladie chez les patients.
COMMENTAIRES Cette étude est intéressante pour au moins trois raisons. 1) Les résultats confirment les études médico-économiques antérieures publiées entre 2010 et 2014 (https://www.telemedaction.org/423570493/429367907), la télésurveillance médicale génère des coûts globaux plus importants que l'absence de télésurveillance. Dans toutes les études, l'excès de coûts est dû à des hospitalisations et des recours aux services d'urgences plus fréquents, une consommation médicamenteuse plus élevée. 2) La télésurveillance sur trois ans permet de voir apparaître des bénéfices sur le plan de la survie et de la qualité de vie, que n'avaient pu démontrer des études contrôlées et randomisées limitées à 12 ou 18 mois. 3) Enfin l'analyse en sous-groupes de gravité, lorsque la cohorte est suffisante, fait apparaître, comme dans l'insuffisance cardiaque chronique (https://www.telemedaction.org/422885857/452274576), des bénéfices de qualité de vie chez les patients les plus gravement atteints par BPCO.
10 décembre 2022