Le référentiel HAS sur la téléconsultation organisée par les sociétés commerciales :  une occasion manquée de promouvoir l'usage du DMP de Mon Espace Santé ?


La Délégation du Numérique en Santé (DNS) se félicite régulièrement et à juste titre de la progression constante du volume des données personnelles de santé versées dans le DMP de l'Espace numérique des citoyens (MES). A la fin de 2023, plus de 250 millions de documents de santé ont été versés dans MES par les professionnels de santé. Un rythme annuel de 400 millions de documents est attendu d'ici 2026 (https://esante.gouv.fr/sites/default/files/media_entity/documents/dns-feuille-de-route-2023-2027.pdf).

Grâce à l'interopérabilité des logiciels métiers avec le DMP de MES, financée par le Ségur de la santé d'ici la fin 2023 (https://telemedaction.org/423570493/446681650), l'obligation de réaliser un compte-rendu après chaque téléconsultation et de le déposer dans le DPI du médecin traitant et/ou le DMP de MES est désormais possible à compter de 2024 pour plus de 12 millions de citoyens (https://www.has-sante.fr/upload/docs/application/pdf/2019-07/fiche_memo_teleconsultation_et_teleexpertise_mise_en_oeuvre.pdf).

Les pouvoirs publics ont souhaité dans la LFSS 2023 que les sociétés de téléconsultation soient agréées par les ministres de la Santé et de la Sécurité sociale pour que les actes qu'elles réalisent soient remboursées par l'Assurance maladie obligatoire (AMO). Parmi les conditions d'agrément figure l'obligation de respecter le parcours de soin territorial, coordonné par le médecin traitant (lorsque l'usager en a un) (https://telemedaction.org/437100423/453459149). Le référentiel HAS des bonnes pratiques de téléconsultation à l'attention des professionnels médicaux, publié en mai 2019, recommande l'enregistrement du compte-rendu de téléconsultation dans le propre dossier patient dont dispose le médecin traitant ainsi que dans le DMP de MES du patient. Le référentiel HAS de bonnes pratiques de la téléconsultation à l'attention des sociétés de téléconsultation vient compléter le référentiel pour les professionnels de santé (https://www.has-sante.fr/upload/docs/application/pdf/2023-12/referentiel_de_bonnes_pratiques_et_methodes_devaluation_applicables_aux_societes_de_teleconsultation.pdf)


Dans un interview réalisé dans le journal numérique Hospitalia, à l'occasion de la sortie du livre intitulé "Télémédecine et télésoin, l'essentiel pour pratiquer "(l https://telemedaction.org/422783742/448384187)), il était rappelé par les auteurs que seul un médecin pouvait juger la pertinence d'un acte de télémédecine, notamment d'une téléconsultation (https://www.hospitalia.fr/%C2%A0Seul-un-medecin-peut-juger-de-la-pertinence-d-un-acte-de-telemedecine%C2%A0_a2889.html). Ce rappel s'appuyait sur l'analyse juridique du décret relatif à la télésanté du 3 juin 2021, dont l'article R.6316-2 du code de la Santé publique (CSP) précisait que "la pertinence du recours à la télémédecine ou au télésoin est appréciée par le professionnel médical, le pharmacien ou l'auxiliaire médical" (https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000043596730).

En clair, s'agissant d'un décret réglementaire opposable, le professionnel de santé, médical ou non-médical, doit assumer la responsabilité pleine et entière de son acte distanciel. En cas de préjudice porté à un usager de la santé par l'acte de télémédecine ou de télésoin, le professionnel de santé devra apporter les preuves, s'il est mis en cause dans le cadre d'une procédure en recherche de responsabilités, que cet acte de télémédecine ou de télésoin était bien pertinent.


Qu'est-ce que la pertinence d'un acte de télémédecine selon la HAS ?


La Haute Autorité en Santé (HAS), dans ses recommandations de mai 2019 (https://www.has-sante.fr/upload/docs/application/pdf/2019-07/fiche_memo_teleconsultation_et_teleexpertise_mise_en_oeuvre.pdf) précise que  "le professionnel médical qui va réaliser la téléconsultation doit juger de la pertinence d’une téléconsultation au regard :

1) de la situation clinique du patient. Le professionnel médical peut estimer que la téléconsultation n’est pas adaptée à la situation clinique du patient. Par exemple, si le professionnel considère qu’un examen physique direct du patient est indispensable, si le patient est en urgence médicale, s’il s’agit d’une consultation d’annonce d’un mauvais pronostic.

2) de la disponibilité des données du patient. Les données médicales et les informations administratives nécessaires à la réalisation de l’acte doivent être accessibles au professionnel médical. L’utilisation du volet de synthèse médicale est recommandée pour structurer les données médicales du patient. Le patient indique s’il a désigné un médecin traitant.

3) de la capacité du patient à communiquer à distance et à utiliser les outils informatiques. Si l’organisation le permet (ex. : patient qui consulte depuis une maison de santé ou un EHPAD), en cas de besoin et avec l’accord du patient, le patient pourra être accompagné par un professionnel de santé, un proche ou un interprète qui l’assistera pendant la téléconsultation. Dans ce cas, la personne présente doit s’engager à respecter la confidentialité des échanges."


Le cas particulier de la téléconsultation organisée par les sociétés de téléconsultation.


Contrairement à la téléconsultation programmée avec un médecin traitant, lequel connaît le patient et dispose dans son dossier patient informatisé (DPI) des données de santé nécessaires à la réalisation de l'acte (https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000043600534), le médecin salarié d'une plateforme de téléconsultation ne connaît pas l'usager qui demande une téléconsultation, considérée souvent comme "ponctuelle", c'est à dire sans un suivi ultérieur par le même médecin (https://telemedaction.org/422021881/t-l-consultation-et-smr). Il ne dispose pas du DPI du médecin traitant (si l'usager en a un). Il peut aujourd'hui disposer des données personnelles de santé qui figurent dans le DMP de Mon Espace Santé (MES), après avoir obtenu l'accord du patient pour y accéder (https://telemedaction.org/422021881/le-patient-acteur-de-sa-sant), et il doit déposer le compte-rendu de la téléconsultation dans ce DMP de MES (https://www.has-sante.fr/upload/docs/application/pdf/2019-07/fiche_memo_teleconsultation_et_teleexpertise_mise_en_oeuvre.pdf).

Le médecin salarié d'une plateforme ne peut recueillir que les données personnelles apportées par l'interrogatoire du patient, lesquelles peuvent être suffisantes chez un jeune adulte qui télé consulte pour une affection bénigne.

Ces données de l'interrogatoire médical peuvent être insuffisantes chez un patient âgé atteint de maladies chroniques, notamment celui qui, n'ayant plus de médecin traitant (700 000 en France), consulte le médecin d'une société de téléconsultation pour renouveler une ordonnance. Nous pensons que dans une telle situation, le médecin qui ne connait pas ce patient doit avoir accès à son DMP de MES pour réaliser cette téléconsultation et renouveler l'ordonnance. Il nous semble même que le jeune adulte, qui demande une téléconsultation auprès d'un médecin qu'il ne connaît pas, devrait faire connaître à ce médecin ses données personnelles de santé qui figurent dans le DMP afin que ce dernier puisse réaliser une téléconsultation pertinente (https://telemedaction.org/423570493/mes-santuaire-de-la-t-l-sant) et mettre en place, si nécessaire, des actions de prévention.


Le référentiel HAS applicable aux sociétés de téléconsultation


Mis en ligne sur le site de la HAS le 22 décembre 2023, le référentiel de bonnes pratiques professionnelles applicable aux sociétés de téléconsultation (https://www.has-sante.fr/jcms/p_3470126/fr/teleconsultation-referentiel-de-bonnes-pratiques-professionnelles-applicable-aux-societes-de-teleconsultation) apporte la réponse suivante à la question du recours aux données personnelles de santé nécessaires à la réalisation d'une téléconsultation.

Il est précisé à l'objectif 2.2.1 que si l'usager (qui demande la téléconsultation) refuse de donner son consentement à l’échange et l’accès de ses données de santé aux professionnels de santé, dans les conditions définies règlementairement, alors la société de téléconsultation ne doit pas refuser la réalisation de la téléconsultation. 

Au chapitre consacré à la consultation des parties prenantes, la HAS précise que la question a été débattue et que certaines parties prenantes soulignent que le refus de l’usager de la transmission de ses données ou documents de santé dans les conditions prévues règlementairement ne doit pas lui être discriminant. Ces parties prenantes considèrent ainsi que ce refus ne devrait pas entraîner un refus de la réalisation de la téléconsultation.

En face de l'objectif 2.2.1 figure le commentaire suivant : le patient doit avoir la possibilité d’exercer son droit à s’opposer à l’échange des informations qui lui sont relatives, sans que cela impacte l’accès aux services fournis dans le cadre de la téléconsultation.

Ce même commentaire s'applique au troisième paragraphe de l'objectif 2.2.1 : lorsque l'usager refuse de donner son consentement au recueil et à la transmission au médecin salarié de sa localisation lors de la téléconsultation, alors la société de téléconsultation ne doit pas refuser la téléconsultation. Ce dernier point nous semble être en contradiction avec la Charte des bonnes pratiques érigée par l'AMO, laquelle promeut la territorialité de la téléconsultation pour que l'usager puisse être orienté dans le parcours de soin territorial si le motif de la téléconsultation le nécessite. On mesure la difficulté que recontrera le médecin salarié s'il s'avère que le patient ne réside pas dans le territoire où il doit t recevoir des soins présentiels ou aux urgences hospitalières s'il s'agit d'une téléconsultation d'orientation dans le parcours de soins du territoire de santé (https://telemedaction.org/422021881/t-l-consultation-et-smr).


Quelle est la nature de l'information que la société de téléconsultation peut donner à l'usager avant que ce dernier rencontre le médecin ?

Le référentiel précise que c'est à la société de téléconsultation de  délivrer à l’usager, dans un format et une terminologie adaptés, une information sur ses droits en matière de consentement avant que la téléconsultation débute.

L'information porte sur les modalités de traitement de ses données dans les conditions prévues aux articles 12 à 14 du RGPD ; ainsi que sur les mesures pour assurer la confidentialité et la sécurité des données à caractère personnel, en particulier des données de santé.

L'information porte aussi sur les droits de l'usager et sur les modalités lui permettant de les exercer, notamment l’accès à ses données personnelles, son dossier patient et ses documents médicaux dans les modalités prévues par la règlementation en vigueur ; d’opposition à la réutilisation des données collectées dans le cadre de l’activité de téléconsultation pour une finalité ultérieure (par exemple, les traitements de données secondaires pour la recherche ou pour l’amélioration des services) ; de rectification, si elles sont inexactes, et d’effacement de ses données sous réserve des conditions d’exercice de ce droit en application des dispositions de l’article 17 du RGPD.


Quelle est la nature de l'information que le médecin salarié, qui réalise la téléconsultation, doit donner à l'usager ?

A l'évidence, le consentement que l'usager donne à la société de téléconsultation vis à vis de la protection de ses données personnelles de santé nous semble différent du consentement que doit recueillir le médecin avant de débuter la téléconsultation, afin qu'il puisse juger la pertinence ou non de l'acte médical.

Si la société de téléconsultation s'est chargée de recevoir le consentement de l'usager sur l'acte à distance via les technologies de l'information et de la communication, ainsi que la confidentialité de ses données personnelles de santé avant que débute la téléconsultation, il revient au médecin de recueillir le consentement à l'acte médical de téléconsultation, lequel ne peut être obtenu que lorsque le médecin aura eu connaissance du motif de la téléconsultation, motif que ne peut connaître la société de téléconsultation (https://www.has-sante.fr/upload/docs/application/pdf/2019-07/guide_teleconsultation_et_teleexpertise.pdf). 

Le médecin doit informer le patient en respectant l'article R.4127-35 du CSP qui précise que "le médecin doit à la personne qu'il examine, qu'il soigne ou qu'il conseille, une information loyale, claire et appropriée sur son état, les investigations et les soins qu'il lui propose", et respecter l'article R.4127-36 du CSP : "le consentement de la personne examinée ou soignée doit être recherché dans tous les cas...".


Ainsi, le médecin, éclairé par le motif de la téléconsultation, estime s'il doit ou non consulter le DMP du patient pour que la téléconsultation soit pertinente. Comment procédera-t-il alors si avant d'être mis en relation avec le patient, ce dernier aura notifié à la société de téléconsultation son refus de donner son consentement à l'échange et l'accès de ses données de santé au professionnel médical ?  D'un côté, la société de téléconsultation, avant la mise en relation avec le médecin, aura informé l'usager que, malgré son refus de consentir à l'échange et l'accès de ses données personnelles, elle ne doit pas refuser la réalisation de la téléconsultation, de l'autre côté, le médecin, sur la base du motif de la téléconsultation que lui-seul peut connaître, se verra obligé de convaincre le patient qu'il a besoin d'accéder à ses données personnelles pour que cette téléconsultation soit pertinente.


MES doit devenir le sanctuaire d'une bonne pratique de la téléconsultation organisée par les sociétés commerciales


En l'état actuel du texte du référentiel HAS opposable aux sociétés de téléconsultation, l'usager qui ne consent pas à l'échange et l'accès à ses données personnelles de santé dans la réalisation de la téléconsultation, peut empêcher que l'acte de téléconsultation, qu'il sollicite auprès d'un médecin qu'il ne connaît pas, ne soit pas pertinent. Ce n'est bien évidemment pas acceptable pour le médecin, lequel pourra refuser de poursuivre l'acte médical à distance au nom de son indépendance professionnelle (art. R.4127-5 et art. R.4127-95 du CSP) et de sa responsabilité pleine et entière vis à vis de la pertinence de son acte.

Il faut toutefois reconnaître que la HAS a pris la précaution de préciser, dans l'introduction du document, que ce référentiel qui définit les actions qui doivent être réalisées et les moyens mis à disposition par la société de téléconsultation pour que le médecin salarié et l’usager réalisent une téléconsultation dans le respect des bonnes pratiques de qualité et d’accessibilité, ne se substitue pas mais s’ajoute aux exigences légales, règlementaires, déontologiques et conventionnelles en vigueur.

Cette précaution juridique rappelle que le professionnel médical qui réalise une téléconsultation sur une plateforme est tenu de respecter les exigences en vigueur de nature légale (par exemple, être autorisé à pratiquer la médecine en France), réglementaire (par exemple, le décret relatif à la télésanté, notamment l'article R.6316-2 du CSP sur l'obligation de pertinence de l'acte de téléconsultation), déontologique (les art. R.4127-35 et R.4127-36 du CSP sur l'obligation d'informer le patient et de recueillir son consentement pour l'acte médical qu'il réalise) et conventionnel (par exemple, l'arrêté du 22 septembre 2021 portant approbation de l'avenant 9 à la convention nationale médicale et la Charte de bonnes pratiques de la téléconsultation publiée par l'AMO le 1er avril 2022).

On mesure dans ce rappel "implicite" des exigences qui s'ajoutent au référentiel HAS, l'importance d'une formation préalable des médecins salariés des sociétés de téléconsultation (objectif 1.3) pour qu'ils maitrisent toutes les conditions explicites et "implicites" à leur exercice sur une plateforme. 

Pour être en conformité et recevoir l'agrément, la société de téléconsultation devra apporter les preuves que tous les objectifs explicites et implicites du référentiel sont bien respectés.


Si dans l'objectif 1.1.1. du référentiel, il est précisé que la société de téléconsultation doit mettre à la disposition du médecin salarié un SI lui permettant, entre autres, de consulter et inscrire dans le dossier du patient et, le cas échéant, dans le dossier médical partagé (DMP) les éléments prévus par la règlementation en vigueur, et dans l'objectif 1.1.2. d'accéder à ses données personnelles, son dossier patient et ses documents médicaux dans les modalités prévues par la règlementation en vigueur, on peut regretter que l'existence de MES pour chaque citoyen français depuis près de deux ans ne soit pas davantage mis en exergue et nommer dans le document. N'aurait-il pas fallu recommander l'accès au DMP de MES si le médecin le demande pour réaliser une téléconsultation de qualité et pertinente ? Une occasion manquée pour promouvoir l'usage de ce dossier "centré sur le patient" (https://telemedaction.org/422021881/le-patient-acteur-de-sa-sant), lequel doit permettre d'améliorer les pratiques de télésanté, notamment de la téléconsultation ponctuelle à l'initiative du citoyen (https://telemedaction.org/423570493/mes-santuaire-de-la-t-l-sant). Les usagers, à travers leurs représentants, réclament avec insistance que cette forme de téléconsultation ponctuelle, à l'initiative du citoyen, soit améliorée et que les effets indésirables, trop souvent constatés en 2022, soient prévenus (https://telemedaction.org/423570493/un-coup-de-gueule-salutaire). MES peut y contribuer.


8 janvier 2024