Les conséquences imprévues des pratiques de télésanté : une revue des études réalisées en Australie (2)


Nous présentons ici le deuxième billet de la série consacrée à l'étude australienne sur les conséquences imprévues des pratiques de télésanté. Le lecteur pourra lire ou relire le premier billet dédié au contexte et à la méthodologie utilisée par les auteurs australiens (https://telemedaction.org/422885857/telemedecine-77).

The Unintended Consequences of Telehealthin Australia: Critical Interpretive Synthesis. Osman S, Churruca K, Ellis LA, Luo D, Braithwaite J.J Med Internet Res. 2024 Aug 27;26:e57848. doi: 10.2196/57848.PMID: 39190446.


Dans ce nouveau billet, nous présentons les résultats dans les trois domaines de l'AHPF (Australian Health Performance Network) où des conséquences imprévues de la télésanté ont été recensées dans les 94 études de la littérature qui ont permis cette synthèse. ces trois domaines concernent l'impact de la télésanté 1) sur l'état de santé des patients australiens, 2) sur les déterminants de leur santé, 3) sur l'environnement du système de santé australien.


COMMENT ONT ÉTÉ CHOISIES LES ÉTUDES RETENUES DANS LA REVUE DES CHERCHEURS AUSTRALIENS ?


Sélection des études

Sur les 4241 études récupérées dans la littérature, 2340 (55,18 %) ont été examinées, après que 1901 (44,82 %) aient été éliminées. Après l'examen des titres et des résumés, 2125 (90,81 %) des 2340 études de la première sélection ont été exclues, ce qui a permis à 215 études (9,19 %) de passer à l'examen intégral du texte. Les études pour lesquelles les résumés n'étaient pas disponibles sont passées directement à l'examen du texte intégral. De plus, les études d'enquête qui remplissaient les critères d'inclusion sont passées au criblage du texte intégral, car elles pouvaient comporter des sections ouvertes contenant des données pertinentes sur les conséquences imprévues de la télésanté. Après l'examen du texte intégral, sur les 215 études, 121 (56,3 %) ont été exclues, ce qui laissait in fine 94 (43,7 %) études conformes aux critères d'inclusion de la revue. Toutes les études retenues évaluaient les programmes de télésanté en Australie et étaient éligibles à l'extraction et à l'analyse des données. Plus de la moitié des études retenues ont été publiées dans les trois dernières années, après la pandémie.


Localisation géographique des études réalisées en Australie

Près d'un tiers des études (29/94, 31 %) ont été menées dans plusieurs États ou territoires d'Australie, le reste étant mené dans le Queensland (23/94, 24 %), le Victoria (18/94, 19 %), la Nouvelle-Galles du Sud (14/94, 15 %), l'Australie-Méridionale (5/94, 5 %), l'Australie-Occidentale (3/94, 3 %), la Tasmanie (1/94, 1 %) et le Territoire du Nord (1/94, 1 %). Moins d'études ont été menées dans un cadre métropolitain (18/94, 19 %), la plupart ayant été menées dans des contextes ruraux ou régionaux (32/94, 34 %) ou dans des contextes mixtes (31/94, 33 %). Sur les 94 études, 13 (14 %) manquaient de données indiquant si l'étude avait été menée dans des contextes métropolitains, ruraux ou régionaux.


Caractéristiques des études

La plupart des études incluses (79/94, 84 %) ont évalué un modèle synchrone de télésanté uniquement (téléconsultation), tandis que 16 % (15/94) ont évalué un modèle en utilisant à la fois des modalités synchrones et asynchrones (téléconsultation et téléexpertise).

Près d'un tiers des études incluses (28/94, 30 %) ont examiné la télésanté dans divers secteurs paramédicaux, le reste étant menée dans d'autres secteurs, soit de soins primaires (8/94, 9 %), soit de santé mentale (14/94, 15 %), soit d'autres spécialités (oncologie 7/94, 7 % ; soins palliatifs 4/94, 4 % ; rhumatologie 3/94, 3 % ; médecine d'urgence 3/94, 3 % ; chirurgie 3/94, 3 % ; hématologie 2/94, 2 % ; gériatrie 2/94, 2%; gynécologie et médecine de la reproduction 2/94, 2 % ; pneumologie 1/94, 1 % ; hépatologie 1/94, 1 % ; néphrologie 1/94, 1 % ; endocrinologie 1/94, 1 % ; cardiologie 1/94, 1 % ; anesthésie 1/94, 1 % ; radiologie 1/94, 1 % ; multiple 11/94, 12%).

La majorité des études incluses ont évalué un modèle de télésanté de patient à professionnel de santé, soit la téléconsultation (71/94, 76 %), tandis que les autres études ont évalué des modèles de professionnel à professionnel, c'est à dire la téléexpertise, (11/94, 12 %), soit une thérapie de groupe (3/94, 3%). Dix pour cent (8/94) étaient des modèles combinées de télésanté.

La moitié des études ont examiné les points de vue des professionnels de santé avec un éventail de métiers différents (46/94, 49%), près d'un quart ont examiné les points de vue des patients et ceux des soignants (23/94, 24%) et 23% (22/94) ont inclus à la fois les points de vue des patients et des professionnels de santé.


LES CONSÉQUENCES IMPRÉVUES DES PRATIQUES DE TÉLÉSANTÉ.


Sur l'état de santé des patients australiens.

Dans ce domaine, près d'un quart des études (23/94, 24 %) ont signalé des conséquences imprévues de la télésanté associées à l'état de santé, la plupart des études (17/23, 74 %) faisant état de conséquences positives. Par exemple, 71 % (12/17) de ces études ont rapporté que la télésanté améliorait le bien-être mental et physique des patients, principalement parce que les patients étaient dans le confort de leur domicile où ils se sentaient plus détendus, moins vulnérables et en état de contrôle par rapport à un environnement inconnu des soins en présentiel.

Certaines des études (6/17, 35%) ont mis en évidence d'autres facteurs contribuant à l'amélioration du bien-être, tels que la réduction de l'anxiété et de la fatigue induites par les déplacements sur le lieu de consultation présentielle, ainsi que le soutien social résultant de la connexion avec des personnes ayant des expériences ou des problèmes similaires révélées au cours de la thérapie de groupe.

Cependant, plusieurs des études (10/23, 43%) ont mis en évidence certaines conséquences négatives involontaires de la télésanté, telles que des réactions comportementales chez les enfants et des émotions négatives en voyant son image à l'écran, y compris pour les personnes souffrant, par exemple, de troubles de l'alimentation ou portant des appareils auditifs. Dans certaines des études (5/23, 22%), la télésanté a provoqué de l'anxiété et de l'inconfort chez les patients.


Sur les déterminants de leur santé.

Sur les 94 études, 6 (6 %) ont signalé un impact négatif potentiel de la télésanté sur le statut socio-économique des individus et d'autres déterminants de santé. Plus précisément, 5 de ces 6 études ont fait état de préoccupations concernant le potentiel de la télésanté à accroître le fossé numérique en raison du fardeau financier accru des usagers, lié aux coûts d'Internet et de l'équipement. Dans 2 (33 %) des 6 études, le manque de littératie numérique, en particulier chez les populations âgées, a été mis en évidence comme un autre facteur susceptible d'accroître cette fracture numérique.


Sur l'environnement du système de santé australien.

Les résultats de 4 (4 %) des 94 études menées dans le contexte du système de santé ont mis l'accent sur l'impact de la télésanté sur des facteurs externes au système de santé. Bien que 2 de ces 4 études aient rapporté des résultats positifs de la télésanté associés à ce domaine, tels que les gains de productivité et les avantages environnementaux dus à la réduction des déplacements, 2 études ont souligné l'impact négatif sur la possibilité d'une exploitation financière des patients par la télésanté.


COMMENTAIRES. Les innovations en matière de santé visent généralement à réduire, voire supprimer, les conséquences involontaires d'un acte médical qui parait réussi "techniquement", mais qui a induit des effets secondaires imprévus, lesquels peuvent altérer de façon durable la qualité de vie du patient. Prenons l'exemple de la chirurgie cardiaque qui nécessite encore dans certaines indications une circulation extracorporelle (CEC). La technique avec CEC qui permet de réussir un quadruple pontage chez une personne âgée peut entrainer une souffrance cérébrale, voire un AVC, qui laissera des séquelles définitives, alors que l'acte chirurgical sera jugé comme un succès "technique". Pour éviter ces effets secondaires graves de la CEC, les techniques opératoires en chirurgie cardiaque continuent de progresser afin de pouvoir se passer de la CEC.

La France a introduit dans le Code de la santé publique le 4 mars 2002 (loi Kouchner) l'obligation légale pour le professionnel de santé d'informer le patient qu'il prend en charge des bénéfices et des risques de l'acte médical qu'il propose avant de recueillir son consentement "éclairé" dont il gardera la trace médico-légale.

La télésanté est à la fois une innovation technologique et organisationnelle qui permet de réaliser des parcours de santé alternant des soins distanciels et des soins présentiels, ce que nous appelons la médecine hybride du 21ème siècle (https://telemedaction.org/422021881/m-decine-hybride-au-21-me-si-cle). Encore faut-il que les bénéfices et les risques d'un parcours de santé hybride soient clairement expliqués pour obtenir le consentement du patient. Nous avons vu en France que lorsque la téléconsultation n'est pas régulée (https://telemedaction.org/423570493/le-far-west-de-la-t-l-consultation), elle peut générer des effets indésirables chez les patients (https://telemedaction.org/423570493/un-coup-de-gueule-salutaire). Les autorités sanitaires ont du intervenir pour qu'une régulation des pratiques et des organisations assure la qualité de la téléconsultation (https://telemedaction.org/437100423/r-f-rentiel-has-pour-les-soci-t-s-de-t-l-consultation)(https://telemedaction.org/437100423/lieux-et-environnement-d-une-tc-ou-t-l-soin).

Comme le rappellent les auteurs australiens, peu d'études jusqu'à présent se sont intéressées aux "conséquences imprévues des applications de la télésanté" dans un parcours de santé, que ces conséquences soient positives, négatives ou neutres. La revue qui nous est présentée reprend les 4 domaines qui permettent en Australie de juger la performance d'une innovation technique et organisationnelle au sein d'un système de santé. Les auteurs estiment que l'analyse qualitative de la télésanté est aussi importante que l'analyse quantitative, notamment médico-économique.

Plusieurs points méritent d'être soulignés. Tout d'abord que les conséquences imprévues de nature positive sont largement majoritaires dans les études australiennes qui ont étudié le bien-être mental et physique chez les patients bénéficiant des soins par télésanté. L'anxiété et la fatigue paraissent moindres lorsqu'on évite des consultations en présentiel. Toutefois, cet effet positif n'est pas retrouvé lorsque la télésanté s'applique à des enfants. Ensuite, dans un pays où  la santé n'est pas financée par la solidarité nationale, la fracture numérique liée notamment à l'illectronisme des personnes âgées, mais aussi aux conditions de ressources, peut être aggravée par les coûts qui peuvent être générés par la télésanté. Enfin, la télésanté peut améliorer les gains de productivité en évitant des déplacements de plusieurs heures, lesquels contribuent également à améliorer le bilan carbone (https://telemedaction.org/423570493/sant-et-empreinte-carbone). Toutefois, des pratiques de télésanté non régulées pourraient déboucher sur une exploitation financière des patients.


11 septembre 2024


Le prochain billet traitera du 4ème domaine, c'est à dire des conséquences imprévues de la télésanté sur le système de santé australien lui-même.