De quelles questions faut-il débattre lors de la journée de consensus sur la télémédecine du 9 mars 2023 à l'Académie Nationale de Médecine  ?

Une journée de consensus sur la télémédecine se tiendra le 9 mars 2023 à l'Académie Nationale de Médecine. Un consensus sur cette forme de pratique médicale apparaît nécessaire pour au moins trois raisons.

Une première raison est une réflexion scientifique sur le service médical rendu (SMR) aux patients ou attendu (SMA) des patients par cette forme de pratique médicale à distance, en particulier pendant la pandémie à la Covid-19 où elle s'est imposée pour prévenir les contaminations. De nombreux pays ont publié les leçons qu'ils tiraient de cette période (https://telemedaction.org/432098221/450415051). La France a également fait ce bilan (https://telemedaction.org/422016875/453185455). Il importe au cours de cette journée de consensus de confronter les principales conclusions sur l'usage de la télémédecine pendant cette période exceptionnelle, qui pourrait se reproduire.

Une deuxième raison est l'évolution indiscutable des solutions et technologies numériques pendant la pandémie. Comme d'autres pays, la France a réalisé une transformation numérique du système de santé en mode "accéléré" entre 2019 et 2022, en développant en particulier un écosystème de la santé numérique garanti par l'Etat, centré sur la santé des citoyens avec la création d'un espace santé qui leur est dédié (Mon Espace Santé ou MES). Celui-ci peut devenir un "sanctuaire" des pratiques de télésanté (télémédecine et télésoin), thème chapeau de la journée de consensus. MES peut être considéré comme la réalisation française d'un dossier numérique de santé centré sur le patient, dénommé dans la littérature internationale les "ePROMs" (electronic patients-reported outcome measures), lesquels ont été développés au cours des derniers années par plusieurs pays européens et nord-américains (https://telemedaction.org/422021881/452585514). La France rejoint ces pays avec MES.

Une troisième raison est de rappeler les recommandations élaborées par la Haute autorité en santé (HAS) en 2019 sur les pratiques de la téléconsultation et de la téléexpertise, encore méconnues de nombreux professionnels médicaux, comme le révèlent les audits cliniques réalisés dans le cadre des formations de l'ANDPC. Comment former les professionnels de santé afin que les pratiques de télémédecine respectent les droits des patients, que les comptes-rendus des actes médicaux soient tracés dans le dossier professionnel informatisé (DPI) et dans le DMP des patients ? La collecte des données de santé doit être la plus exhaustive possible à l'heure de leur traitement par l'Intelligence Artificielle (IA) (https://telemedaction.org/422021881/444543626). Comment convaincre les professionnels médicaux que ces pratiques à distance doivent compléter les activités médicales en présentiel et non pas les remplacer, en particulier chez les patients atteints de maladies chroniques (https://telemedaction.org/422021881/452702488) ?

Toutes ces questions et d'autres seront débattues lors de cette journée de consensus.


Quel service médical rendu (SMR) aux patients la téléconsultation doit-elle assurer ?


Pendant la pandémie

Comme cela est souligné dans la plupart des articles publiés dans la littérature internationale (Etats-Unis, Canada, Australie, Chine) en 2021 et 2022, la téléconsultation par téléphone ou par videotransmission a permis pendant les confinements de maitriser le risque de contamination virale pour les personnes et les professionnels de santé. Mais la téléconsultation a surtout bénéficié à des jeunes adultes qui étaient souvent en télétravail pendant les confinements, parfaitement à l'aise pour naviguer sur le web. A l'inverse, elle a peu bénéficié aux personnes âgées atteintes de maladies chroniques, souvent touchées d'illectronisme. La téléconsultation assistée d'un professionnel de santé était plus difficile à organiser pendant cette période à cause du risque de contamination. La téléconsultation a été plus développée dans les zones urbaines que dans les zones rurales. Elle a ainsi peu contribué à améliorer l'accès aux soins dans les déserts médicaux. La plupart des articles concluent que le SMR aux patients par la téléconsultation pendant la pandémie n'a pas concerné les personnes âgées, isolées et handicapées.


Après la pandémie

L'expérience de la téléconsultation pendant la pandémie n'ayant pas apporté de SMR aux patients âgés, isolés dans des zones à basse densité médicale ou résidant dans des établissements pour handicapés (Ehpads, autres), ne faut-il pas redéfinir les priorités de la téléconsultation ? Curieusement, l'expérience de la téléconsultation en France pendant la pandémie a conduit l'Assurance maladie et le CNOM à réduire cette pratique chez les professionnels médicaux libéraux à 20% de leur activité médicale annuelle (https://telemedaction.org/437100423/450710673). Il fallait certainement empêcher que la téléconsultation devienne un exercice exclusif de la médecine pour une petite minorité de jeunes médecins ou une activité de surconsommation médicale. Il fallait recadrer certaines plateformes commerciales de téléconsultation (https://telemedaction.org/437100423/453459149). Mais fallait-il pour autant limiter cette pratique pour tous les professionnels médicaux ? Ne fallait-il pas plutôt reconsidérer les objectifs du SMR par la téléconsultation aux personnes âgées, isolées, handicapées qui n'avaient pas été concernées pendant la pandémie ? Pour qu'e ces objectifs deviennent une priorité de santé publique comme le souhaitait un amendement parlementaire à la LFSS 2023 ? Cet amendement prônait avec raison le développement des téléconsultations assistées de professionnels de santé pour les personnes touchées d'illectronisme et souvent handicapées ou atteints de maladies chroniques (https://telemedaction.org/423570493/453424995) ? N'y a-t-il pas là une réflexion éthique à conduire pour que les téléconsultations servent en priorité les personnes qui ont le plus de difficultés à accéder aux soins médicaux ?

A la demande de la présidence de la République (https://telemedaction.org/423570493/t-l-sant-dans-la-strat-gie-territorial), l'Assurance maladie proposait dans la nouvelle convention nationale médicale de passer le quota des téléconsultations de 20% à 50% de l'activité annuelle médicale. Les représentants des syndicats de la médecine libérale s'y sont opposés. Un compromis serait que des autorisations dérogatoires pour dépasser les 20% seraient données par l'Assurance maladie après avis favorable du Conseil National Professionnel de la spécialité concernée.


L'intérêt de la téléexpertise est-il bien compris des professionnels de santé et des patients ?


Disons-le d'emblée, la téléexpertise financée dans le droit commun de la sécurité sociale depuis le 11 février 2019, dont le financement a été clarifié dans l'avenant 9 de la convention médicale, n'a pas pris chez les médecins libéraux comme le démontrent les audits cliniques réalisés dans le cadre des formations DPC sur la télésanté, alors qu'elle commence à se développer dans les établissements de santé pour structurer les filières de soins territoriales des GHT, et aider à mieux coopérer entre les médecins hospitaliers et les médecins de ville. C'est pourtant la pratique de télémédecine qui a le mieux démontré un SMR aux patients dans les années 90, en particulier dans la région Midi-Pyrénées où elle fut initiée par le Pr Louis Lareng du CHU de Toulouse pour éviter des transferts inutiles de patients vers les services spécialisés du CHU. Ce visionnaire de la médecine (créateur en 1968 du SAMU) montrait que le simple échange à distance par videotransmission entre le professionnel médical requérant et le spécialiste hospitalier requis évitait un transfert au CHU une fois sur deux et une perte de chance une fois sur cinq (https://telemedaction.org/422783742/422886029).

Le SMR aux patients dans certaines spécialités médicales (dermatologie, cardiologie, néphrologie, ophtalmologie, etc.) est indéniable et évite des consultations en présentiel dont les délais ne sont pas toujours compatibles avec la nécessaire continuité des soins assurée par le médecin traitant, en particulier chez les patients atteints de maladies chroniques. Là aussi on peut s'interroger sur les raisons de limiter son usage dans l'avenant 9 de la convention médicale, alors que l'accès aux soins spécialisés est de plus en plus difficile dans certaines régions de l'hexagone.


La télésurveillance médicale sera-t-elle opérationnelle à compter du 1er juillet 2023 ?


Rien n'est moins sûr après la parution des décrets d'organisation les 30 et 31 décembre 2022. Les cinq pathologies chroniques concernées par le programme ETAPES (Expérimentation de télémédecine pour l'amélioration des parcours de santé) sont reconduites à compter du 1er juillet 1023. Selon le SNITEM, certains textes sont encore en attente rendant les délais serrés pour que les patients du programme ETAPES basculent dans le droit commun de la sécurité sociale (file:///C:/Users/pierr/Votre%20%C3%A9quipe%20Dropbox/Pierre%20Simon/PC/Documents/Downloads/SI-228-Telesurveillance%20(1).pdf). L'arrêté précisant le financement des activités de télésurveillance (forfait opérateur pour l'organisateur et forfait technique pour le fournisseur de DMN) n'est pas encore publié. Dans les négociations entre les industriels qui fournissent les DMN et la Direction de la Sécurité Sociale des divergences subsistent. Selon les représentants des fournisseurs de DMN, "ce qui est proposé actuellement comme forfait technique ne permettra pas de faire émerger une filière “télésurveillance”, aux startups de se développer et aux entreprises de se positionner sur le plan mondial ».


MES pourrait-il devenir le nouveau "sanctuaire" des bonnes pratiques de la télémédecine ?


Il est certain que l'absence d'interopérabilité entre les logiciels métiers des professionnels de santé et des établissements de santé a été en France un frein majeur au développement des bonnes pratiques de télémédecine depuis 2010 (1er décret de télémédecine). Il faut saluer à nouveau le remarquable travail de la Délégation du Numérique en Santé (DNS) qui a mis fin à ce "serpent de mer" de près de 20 ans. Nous pensons que la télésanté en général, la télémédecine en particulier, peut être totalement rénovée par MES (https://telemedaction.org/422021881/449536030). Nous sommes au début de son appropriation par les citoyens français (8 millions de MES actifs un an après son lancement). Il faut que les pouvoirs publics aient la volonté d'en faire réellement un dossier numérique de santé centré sur le patient, permettant à ce dernier de s'engager dans la surveillance de sa propre santé et de dialoguer avec les professionnels de santé par la messagerie sécurisée santé (MSS) qui lui est fournie avec le DMP, l'agenda des rendez-vous médicaux et le catalogue des applications numériques pour l'éducation thérapeutique et le suivi de certaines maladies chroniques, comme l'hypertension artérielle, l'asthme, le diabète de type 2, l'obésité, etc..

MES peut devenir l'ePROMs français (https://telemedaction.org/422021881/452585514) et contribuer ainsi à une prise en charge plus efficace de leur santé par les patients eux-mêmes. Il pourrait avoir un impact positif sur l'évolution des maladies chroniques et prévenir les complications comme cela commence à être publié dans la littérature médicale internationale  (https://telemedaction.org/422021881/le-patient-acteur-de-sa-sant).

Enfin, nous avons montré dans un billet précédent comment MES pouvait devenir le nouveau "sanctuaire" des pratiques de télésanté (https://telemedaction.org/423570493/mes-santuaire-de-la-t-l-sant).


En résumé, une journée de consensus sur la télémédecine est nécessaire au décours de la pandémie. Elle aura lieu le 9 mars 2023 à l'Académie Nationale de Médecine. Le visiteur de ce blog, intéressé par l'évènement, peut s'inscrire en distanciel ou en présentiel à partir du lien suivant :  bit.ly/3k2HFVR. L'inscription est gratuite.


25 février 2023