Construisons ensemble la médecine du XXIème siècle
La sobriété énergétique est le thème de la rentrée 2022 après un été qui a vu le changement climatique exister, l'inflation s'envoler et le bouleversement géopolitique dû à la guerre en Ukraine se concrétiser. Les pouvoirs publiques travaillent sur des "écogestes" pour réduire de 10% notre consommation d'énergie afin d'éviter des coupures d'électricité et de gaz au cours de l'hiver prochain.
Ne faudrait-il pas aussi parler de sobriété en matière de dépenses de santé, en faisant la promotion d'"écogestes" dans nos comportements au sein du système de santé ? Parler de sobriété dans les dépenses de santé peut fâcher ceux qui estiment que la "santé n'a pas de prix". C'est vrai, mais elle a un coût et certaines dépenses pourraient être évitées sans pour autant altérer la qualité des soins. Nous allons en donner quelques exemples à partir de faits réels, vérifiables...
Un déplacement en voiture particulière, pris en charge par l'Assurance maladie, pour une consultation préopératoire d'anesthésie qui a duré moins de 5mn.
C'est un grand journal régional qui rapporte le témoignage d'une citoyenne, témoignage qui peut paraître ahurissant, mais qui n'est malheureusement pas si rare...
Devant subir une intervention orthopédique programmée pour le début septembre, j'ai été convoquée par l'établissement de santé pour me présenter à la consultation d'anesthésie, préalable à l'opération. Je demeure à 150 km de cet établissement et je me suis rendu à cette consultation avec ma voiture personnelle.
Dès mon arrivée dans le service concerné, j'ai été reçue par le médecin anesthésiste qui, après avoir lu le dossier médical établi préalablement par le chirurgien, prend ma tension artérielle et m'annonce que la consultation est terminée. Elle aura duré moins de 5 minutes. Il s'enquiert même de savoir si j'ai besoin d'un bon de transport de type VSL...
Bilan de cette visite de quelques minutes : 300 km de trajet en voiture personnelle avec la consommation d'essence y afférant, une perte d'une journée de travail et une certaine fatigue due à la longueur du trajet...Je ne peux m'empêcher de prendre la plume et de dénoncer une pratique médicale totalement irresponsable, particulièrement injustifiée sur le plan de la sobriété énergétique qui est préconisée et également injustifiée pour les dépenses de transports que remboursent l'Assurance maladie.
Ce déplacement coûteux pour l'Assurance maladie était évitable, puisque cette consultation d'anesthésie préopératoire pouvait être réalisée en téléconsultation programmée, selon les recommandations de la SFAR (Société Française d'Anesthésie-Réanimation). (https://www.telemedaction.org/446011609) Elle aurait coûté 10 fois moins chère à l'Assurance maladie. Ce cas n'est pas isolé et on pourrait recenser les milliers de consultations hospitalières en présentiel qui génèrent des déplacements coûteux.
Ces dépenses pourraient être évitées si les établissements de santé mettaient en place des téléconsultations pour des indications que le médecin hospitalier jugerait pertinentes. Outre la consultation d'anesthésie préopératoire, beaucoup de patients consultent les médecins hospitaliers spécialistes pour le suivi de leurs maladies chroniques, à la demande ou non de leur médecin traitant. Les consultations présentielles pourraient être alternées avec des téléconsultations, ce qui éviterait plusieurs millions d'euros de transport sanitaire. De plus, l'alternance de téléconsultations et de consultations présentielles chez les patients atteints de maladies chroniques est recommandée par la HAS. (https://www.has-sante.fr/upload/docs/application/pdf/2019-07/guide_teleconsultation_et_teleexpertise.pdf)
Les déplacements évitables vers les établissements de santé de patients atteints de maladies chroniques.
On peut citer les consultations de suivi des patients greffés dont certains font de longs trajets, perdent une journée de travail, pour ne voir le médecin transplanteur que quelques minutes après un long délai d'attente des résultats d'examens, ces derniers pouvant être aujourd'hui réalisés dans un laboratoire proche du domicile des patients. Là encore d'autres organisations professionnelles moins coûteuses pour l'Assurance maladie existent avec un suivi aussi efficace et une meilleure qualité de vie.(https://www.telemedaction.org/447621250)
Le télésuivi des patients greffés du rein fait aujourd'hui partie des référentiels de la télésurveillance médicale au domicile, financée dans le droit commun de la Sécurité sociale à compter du 1er janvier 2023. (https://www.telemedaction.org/448316348)(https://www.telemedaction.org/450445207) On verra si les médecins néphrologues adhèrent à ces nouvelles organisations qui ont été boudées pendant l'expérimentation ETAPES.
On peut citer les patients insuffisants rénaux dialysés qui pourraient être traités dans des structures proches de leur domicile ou même à leur domicile grâce à la télémédecine qui sécurise leur traitement, ce qui éviterait des coûts de transport en VSL ou ambulance vers l'établissement de santé.
Les pionniers de ces organisations nouvelles ont montré depuis plus de 20 ans que la qualité des soins n'était pas altérée et qu'elle était au moins équivalente à celle offerte par les centres de dialyse lourds des établissements de santé. En revanche, la qualité de vie de ces patients est nettement améliorée (https://www.telemedaction.org/432585208). Si cette pratique était mieux adoptée par les médecins néphrologues, ce sont plusieurs centaines de millions d'euros qui seraient économisées, les coûts de transport sanitaire représentant 20% du coût du traitement en centre lourd.
On peut citer les quelque 700 000 résidents d'Ehpads qui cumulent en moyenne 7 à 8 maladies chroniques lorsqu'ils ont 80 ans et plus, responsables souvent d'une perte d'autonomie qui rend difficile leur déplacement aux cabinets des médecins traitants et spécialistes. Insuffisamment suivi, un résident sur deux est hospitalisé chaque année, souvent en urgence, dans les hôpitaux publics où la durée de l'hospitalisation est en moyenne de 15 jours.(https://www.telemedaction.org/437554004)
Les avenants 3 et 4 de la Convention médicale nationale, signés en 2017, n'ont pas eu les résultats attendus et les résidents des Ehpads viennent toujours aux urgences de l'hôpital public (https://www.telemedaction.org/434279820), même si certaines organisations nouvelles de télémédecine, fondées sur la mobilité de paramédicaux libéraux vers les Ehpads ((https://www.telemedaction.org/453068582) ou sur la prérégulation par le médecin régulateur du SAMU des venues aux urgences hospitalières (https://nomadeec.com/wp-content/uploads/2019/12/teleregulation-permanence-soins-ehpad-reduction-passage-urgences-Nomadeec_compressed.pdf) ont amélioré le service médical rendu aux résidents.
Les dépenses induites par les hospitalisations évitables des résidents d'Ehpads peuvent s'élever à plusieurs milliards d'euros chaque année. Si on pouvait prévenir 50% des 300 000 hospitalisations annuelles, la dépense évitée serait proche de 5 milliards d'euros. La prévention de l'hospitalisation évitable passe par un suivi plus régulier de ces résidents très âgés. La télémédecine, avec les organisations nouvelles qu'elle permet, peut réduire certaines dépenses évitables. On ne saurait dénoncer la recherche de "rentabilité" qui marquerait le fonctionnement de l'hôpital public selon certains médecins hospitaliers, sans parler aussi des hospitalisations qui pourraient être évitées par de nouvelles organisations professionnelles. (https://www.lemonde.fr/idees/article/2022/05/19/la-prochaine-ou-le-prochain-ministre-de-la-sante-saura-t-il-entendre-le-cri-des-soignants_6126745_3232.html)
On peut citer les patients en insuffisance cardiaque chronique, hospitalisés chaque année pour une décompensation de leur maladie chronique, laquelle aurait pu être prévenue par une meilleure surveillance médicale en amont. Une partie de ces hospitalisations évitables est représentée par les résidents d'Ehpads. Les patients insuffisants cardiaques qui sont hospitalisés chaque année coutaient à l'Assurance maladie (entre 2009 et 2011) 1,9 milliards d'euros. (https://assurance-maladie.ameli.fr/sites/default/files/2013-11_insuffisance-cardiaque-parcours-soins_assurance-maladie.pdf)
L'insuffisance cardiaque fait partie des pathologies chroniques qui bénéficient désormais d'une télésurveillance médicale au domicile ou substitut, prise en charge dans le droit commun de la Sécurité sociale. L'expérimentation ETAPES a montré que ces nouvelles organisations étaient pertinentes, d'efficacité non inférieure à la prise en charge traditionnelle et permettaient de réduire le coût global de cette maladie chronique au niveau de l'Assurance maladie.
La transformation numérique du système de santé peut-elle aider à la sobriété dans les dépenses de santé ?
La plateforme "Mon Espace Santé" (MES), par les services qu'elle offre, peut aider à mettre en place des organisations de soins plus efficientes, c'est à dire moins coûteuses pour une qualité des soins équivalente.
Le nouveau DMP, qui reçoit désormais, de manière automatique, toutes les données de santé personnelles du citoyen, permet d'éviter la redondance d'examens inutiles. Avant de prescrire un nouvel examen biologique ou radiologique, le professionnel médical, en particulier lorsqu'il n'est pas le médecin traitant du patient, aura la possibilité de consulter, avec l'accord du patient, les examens qui figurent déjà dans le DMP. Ainsi, la nouvelle prescription ne peut être que plus pertinente.
D'ici le 31 décembre 2023, toutes les données personnelles de santé d'un citoyen, générées par les médecins, les laboratoires d'analyses médicales, les cabinets de radiologie, les établissements de santé, devront être versées dans le DMP. (https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000045726627) Pour parvenir à cet objectif, tous les logiciels "métiers" devront avoir été rendus interopérables avec MES et le DMP, cette mise à jour réalisée par les éditeurs de logiciels étant financée par le Ségur de la santé.
La Messagerie sécurisée santé (MSS) permet à chaque citoyen d'entrer en relation avec les professionnels de santé qui interviennent dans son parcours de soins. Nul doute que cette communication sécurisée avec le médecin traitant renforcera les liens de confiance, la qualité humaine des relations et permettra d'éviter un nomadisme médical qui génère des dépenses évitables.
L'Agenda prévient les oublis de rendez-vous médicaux, assure un meilleur suivi des patients et prévient ainsi certaines complications et pertes de chance à l'origine d'hospitalisations qui auraient pu être évitées. Chaque année, ce sont 27 millions de rendez-vous médicaux qui ne sont pas honorés, soit l'équivalent d'une activité annuelle de 4000 médecins.(https://www.francetvinfo.fr/sante/soigner/sante-les-medecins-montent-au-creneau-face-a-la-multiplication-des-rendez-vous-non-honores_5243722.html)
Le Catalogue des applis et services numériques référencés par les pouvoirs publics, doit permettre de développer la prévention des facteurs de risques de maladie ou de mieux suivre certaines maladies chroniques (hypertension artérielle, obésité, asthme, addictions, etc.) qui ne font pas partie des référentiels de la télésurveillance médicale. Il faut développer chez nos concitoyens l'autosurveillance de leur santé. De nombreuses applications numériques peuvent y contribuer.
En résumé, si les dépenses de santé, qui représentent en France 12,4% du PIB en 2020 (287 Mds euros), sont parmi les plus élevées de l'OCDE avec l'Allemagne (12,8%), les Etats-Unis (18,6%), le Canada (12,9%), la plupart des autres pays de l'OCDE ont une part de PIB consacrée aux dépenses de santé inférieure de 1 à 2 points, ce qui représente 10 à 20 milliards d'euros de moins, en particulier si on se compare aux pays européens à population comparable (Espagne : 10,7%, Italie : 9,6%, Royaume-Uni : 12%). Une meilleure sobriété dans les dépenses de santé pourrait être un objectif de la Conférence sur la refondation de notre système de santé, la télésanté pouvant contribuer à la sobriété énergétique des transports sanitaires.
Si la France est le 7ème pays parmi les plus riches au Monde en 2021, derrière deux pays européens l'Allemagne (4ème) et le Royaume-Uni (5ème), elle est descendue à
la 28ème place pour la part de PIB par habitant. (https://stats.oecd.org/Index.aspx?ThemeTreeId=9&lang=fr#) (https://www.journaldunet.com/patrimoine/guide-des-finances-personnelles/1209268-classement-pib/#:~:text=Le%20Luxembourg%20reste%20le%20pays,arrivant%20%C3%A0%20la%2028e%20place.) Elle est cependant à la 11ème place dans le dernier classement des systèmes de santé européens (46 critères) publié en mars 2022 par le Health Consumer Powerhouse, devant
l'Allemagne (12ème), le Royaume-Uni (15ème), l'Espagne (19ème), l'Italie (20ème) (Euro Health Consumer Index - Wikipedia), ce qui montre une certaine efficience
de notre système de santé actuel par rapport à des pays plus riches.
1er septembre 2022