Construisons ensemble la médecine du XXIème siècle
Ce troisième et dernier billet complète les deux précédents (https://telemedaction.org/422016875/ata-2023-san-antonio)(https://telemedaction.org/422016875/ata-2023-san-antonio-2). Nous avons choisi de rapporter sur ce site les communications les plus innovantes faites lors du 30ème congrès de l'ATA qui s'est tenu à San Antonio en mars 2023. Ce troisième billet montre comment les Etats-Unis tentent d'empêcher les réhospitalisations (HPE) moins de 30 jours après la sortie de l'hôpital chez les résidents d'établissements pour personnes âgées, comment la téléconsultation a apporté un réel service médical rendu aux patients de Pennsylvanie et du Maryland pendant la pandémie Covid-19, et comment un programme national de la téléconsultation pourrait faire partie des mesures visant à maitriser l'empreinte carbone.
L'apport de la télémédecine pour réduire les hospitalisations potentiellement évitables (HPE) chez les personnes âgées.
REDUCING UNNECESSARY TRANSPORTS THROUGH TECHNOLOGY John Kosmeh, PhD, University of Michigan School of Public Health,
CONTEXTE
Les difficultés que rencontrent les infirmiers des établissements pour personnes âgées pour obtenir une réponse rapide aux demandes de soins primaires (Primary Physician Care) chez les résidents ont longtemps été ignorées aux Etats-Unis. L’impossibilité pour ces infirmiers et infirmières d’obtenir des ordonnances pour les traitements de leurs patients âgés, après la fermeture des cabinet médicaux, en fin de semaine ou les jours fériés, tout cela entraîne une augmentation des transports vers les services d’urgence hospitaliers dans tout le pays. Ces transports inutiles représentent une charge financière énorme pour les autorités sanitaires fédérales, en particulier pour les responsables des établissements de santé pour personnes âgées. Les rapports du Center for Medicare & Medicaid Services montrent que plus de 4,6 milliards de dollars sont dépensés chaque année pour le traitement des patients aux urgences ou en situation de réadmission à l'hôpital moins de 30 jours après leur sortie, dont 3,2 milliards de dépenses sont considérées comme évitables (HPE). Ces rapports montrent également que plus de 80% des transports vers les urgences hospitalières, à partir des établissements de soins pour personnes âgées, entrent dans cette catégorie de dépenses, ce qui entraîne à l'échelle nationale une flambée des coûts à la charge des établissements.
METHODOLOGIE
Etude observationnelle pendant 12 mois
RESULTATS
Avec l’utilisation d’une technologie innovante et d'un programme de télémédecine structuré 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, intégrant l’utilisation de POCUS (Point-of-care Ultrasound), d’électrocardiogramme à 12 dérivations, de CMP (Comprehensive Metabolic Panel), de matériels pour mesurer les signes vitaux, grâce de la technologie Bluetooth, nous avons créé une organisation innovante qui, jusqu’à présent, a permis de réduire de plus de 94% les transports inutiles vers les urgences hospitalières et d’éliminer complètement les réadmissions à 30 jours dans les établissements de soins.
CONCLUSIONS
L’utilisation d’une pratique de télémédecine normalisé avec un équipement sur place qui permet de fournir des soins médicaux aux résidents d'établissements pour personnes âgées peut réduire considérablement le nombre de transports inutiles vers les urgences hospitalières, ainsi que les risques supplémentaires associés aux transports de cette population gériatrique particulièrement vulnérable. Cette organisation permet de créer des économies de coûts importantes à la fois pour les personnes, les établissements de soins et les organismes étatiques et fédéraux (Medicare et Medicaid).
La création d’un programme national pourrait améliorer considérablement la qualité de vie et les soins des résidents des établissements de soins pour personnes âgées à l’échelle de notre pays.
Commentaires. Cette communication illustre un problème rencontré dans la plupart des pays développés : la continuité des soins chez les personnes âgées, en particulier chez les résidents d'établissements pour personnes âgées. En France, la difficulté de joindre un médecin généraliste traitant après la fermeture des cabinets médicaux, aux week-ends, les jours fériés conduit de nombreux soignants des Ehpads à faire appel au centre 15 ou à réadresser leurs résidents aux urgences hospitalières, voire à les réhospitaliser. Ce sont des hospitalisations évitables. A l'instar de ce qui se développe aux Etats-Unis, des projets de télémédecine se développent également en France pour améliorer la continuité des soins chez les résidents des Ehpads dans le cadre de l'article 51 de la LFSS 2018 (https://telemedaction.org/422016875/ehpad-et-t-l-consultation).
L'apport de la télémédecine à la qualité des soins primaires pendant la période Covid-19 en Pennsylvanie et au Maryland (USA).
COMPARISON OF QUALITY PERFORMANCE MEASURES FOR PATIENTS RECEIVING IN‐PERSON VS TELEMEDICINE PRIMARY CARE IN A LARGE INTEGRATED HEALTH SYSTEM Derek Baughman, MD,1,2 Yalda Jabbarpour, MD,2 John Westfall, MD, MPH2. 1WellSpan Health, 2Robert Graham Center.
CONTEXTE
L’adoption rapide de la télémédecine pendant la pandémie Covid-19 a-t-elle eu un impact significatif sur la qualité des soins primaires délivrés aux patients du système ambulatoire de Pennsylvanie et du Maryland ? Il nous apparaît nécessaire de faire cette évaluation.
METHODOLOGIE
Les mesures de qualité HEDIS (Healthcare Effectiveness Data and Information Set) ont été comparées rétrospectivement entre les patients ayant bénéficié de consultations en cabinet uniquement (en présentiel) et par télémédecine (téléconsultations) du 1er mars 2020 au 30 novembre 2021, dans plus de 200 sites de soins primaires ambulatoires de Pennsylvanie et au Maryland. Les tests X2 ont permis de déterminer des différences statistiquement significatives dans les performances de qualité et la régression logistique multivariable a été contrôlée pour évaluer les facteurs sociodémographiques et les comorbidités.
RESULTATS
L’étude a porté sur 526 874 patients (409 732 suivis en présentiel dans les cabinets médicaux, 117 142 suivis par téléconsultations) présentant des données démographiques comparables. Les patients ayant effectué des consultations présentielles seulement au cabinet médical ont obtenu de meilleurs résultats dans la prise en charge des traitements. Pour 3 médicaments sur 5 des différences significatives existaient : patients avec maladie cardiovasculaire (MCV) recevant des antiplaquettaires, patients avec MCV recevant des statines et patients avec insuffisance rénale recevant des antibiotiques. Les différences n'étaient pas significatives pour les deux autres médicaments : patients avec insuffisance cardiaque recevant des β-bloquants et patients diabétiques recevant des statines. Les patients ayant bénéficié de téléconsultations ont obtenu de meilleures performances dans toutes les mesures basées sur les différents tests (patients avec MCV et troubles lipidiques, patients diabétiques pour la valeur de HbA1c et patients avec néphropathie pour le contrôle de la pression artérielle) et dans toutes les mesures basées sur le téléconseil ( pour les pathologies du col de l’utérus, du sein et du côlon, pour le dépistage du cancer, pour les conseils sur l'arrêt du tabac, pour la vaccination contre la grippe, le pneumocoque et pour le dépistage de la dépression).
CONCLUSIONS
Cette étude de cohorte apporte des preuves en faveur d'une association positive avec la téléconsultation pour la qualité des soins primaires pendant la Covid-19. Pour la gestion des maladies chroniques et les soins préventifs, la téléconsultation semble avoir eu une association positive avec la performance de qualité HEDIS (Healthcare Effectiveness Data and Information Set). Cette étude met en évidence une lacune qui existe dans la littérature scientifique médicale : l'impact des soins combinés d'une part par téléconsultation, d'autre part en présentiel au cabinet médical. Pour les décideurs, ces résultats de qualité sont des arguments pour que le financement de la télémédecine aux Etats-Unis soit poursuivi après la fin de la pandémie Covid-19. Pour les pratiques professionnelles et les systèmes de santé, cette étude démontre la valeur de la téléconsultation dans les populations appropriées : augmenter la capacité des soins primaires sans affecter la qualité des soins.
Commentaires. Les résultats de cette étude sont intéressants à commenter pour au moins trois raisons. La première est l'importance de la cohorte observée, plus de 500 000 citoyens américains de Pennsylvanie et du Maryland dont le comportement vis à vis des soins primaires a été étudié pendant la pandémie. Seulement un citoyen sur quatre a utilisé la téléconsultation pour accéder aux pendant cette période. On peut penser qu'il s'agissait surtout de patients qui avaient été contaminés par le Covid-19 (29% pour l'ensemble de la population américaine). La deuxième raison est le constat fait par les auteurs d'une meilleure prise en charge des soins primaires par téléconsultation versus la consultation en présentiel au cabinet médical, en particulier chez les patients atteints de maladies chroniques. Les auteurs s'interrogent sur le bénéfice d'une alternance de téléconsultations et de consultations en présentiel chez ces patients, "sujet peu abordé à ce jour dans la littérature médicale". Enfin la troisième raison est de souligner que les médecins américains de soins primaires font la promotion de l'usage de téléconsultation et de son développement alors que les médecins français de soins primaires ont plutôt la démarche inverse, en faisant pression sur l(Assurance maladie et les autorités sanitaires pour que cette pratique reste limitée à 20% de l'activité globale d'un médecin. Une telle réduction dans l'usage de la télémédecine n'est pas compatible avec la recommandation de la HAS d'alterner la téléconsultation et la consultation en présentiel pour améliorer le parcours de soins des patients atteints de maladies chroniques, ce qui pose un réel problème éthique du "bien agir" vis à vis de ces patients (https://telemedaction.org/423570493/452442936). Un simple calcul montre qu'il faudrait autoriser au moins 40% de l'activité globale en téléconsultation pour que celle-ci soit alternée avec les consultations en présentiel chez les 17 millions de citoyens atteints de maladies chroniques. Les autorités politiques proposaient 40 à 50% lors de la Convention nationale médicale.
La téléconsultation contribue aux Etats-Unis à réduire les gaz à effet de serre (GES)
TELEMEDICINE AND THE ENVIRONMENT: LIFE CYCLE ENVIRONMENTAL EMISSIONS FROM IN‐PERSON AND VIRTUAL CLINIC VISITS Meagan Moyer, MPH, RD,1 Lubna Qureshi, MS,1Cassandra Thiel, PhD,2 1Stanford Health Care, 2NYU Langone Health/Clinically Sustainable Consulting LLC.
CONTEXTE
Les soins de santé émettent près de 10 % des gaz à effet de serre (GES) aux États-Unis, et de plus en plus d’engagements sont pris pour réduire l’empreinte carbone du secteur sanitaire. La télémédecine a été identifiée comme un outil possible pour atteindre ces objectifs en réduisant les déplacements des patients vers les cliniques et autres établissements, lesquels brûlent des combustibles fossiles. À ce jour, la plupart des études portent uniquement sur les GES provenant des déplacements des patients lors de l’évaluation d'une organisation la télémédecine. Le sujet est d'autant plus d'actualité qu'il existe à Stanford Health Care une progression de 13% des consultations en présentiel entre 2019 et 2021. Un plus grand développement de la téléconsultation comme cela a été observée pendant la pandémie Covid-19 pourrait contribuer à réduire les GES.
METHODOLOGIE
Cette étude observationnelle examine l'impact de la télémédecine sur les GES en comparaison avec les consultations en présentiel. Cette étude utilise des méthodes d’analyse environnementale du cycle de vie (ACV), conformes à la norme ISO 14040 et les données de Stanford Health Care (SHC) afin de comparer les consultations en présentiel et les téléconsultations entre 2019 et 2021. L’ACV pour les consultations en présentiel comprenait le transport des patients vers et depuis la clinique ou l'établissement de santé, l’énergie utilisée pour le conditionnement des locaux et l’éclairage de la salle d’examen, les fournitures utilisées et les déchets générés. Pour la téléconsultation, nous incluons l’électricité pour alimenter un téléphone cellulaire ou un logiciel de vidéoconférence et la consommation d’électricité du clinicien. Les analyses de sensibilité des entrées du modèle comprenaient la variation du mode de déplacement des patients, les différences dans la taille de la salle d’examen, l’intensité énergétique du bâtiment et les sources d’énergie. Enfin, nous avons analysé l’effet de différents mélanges de réseaux électriques sur les résultats des consultations en présentiel et à distance.
RESULTATS
Le nombre total de consultations a augmenté de 13 % entre 2019 et 2021, passant de 1 733 020 à 1 961 768. En raison de l’expansion rapide de la téléconsultation pendant la pandémie, SHC (Stanford Health Care) a connu une baisse de 36% de ses émissions de GES provenant des consultations, passant de 40 600 tonnes métriques d’équivalent CO2 à 25 900 tonnes. En 2021, une consultation en présentiel au SHC émettait en moyenne 20 kg d’équivalent CO2, tandis qu’une téléconsultation (téléphone ou en vidéo) n’en émettait que 0,04 kg. Les téléconsultations à SHC ont réduit les émissions de GES de 2021 de près de 17 000 tonnes métriques. C’est l’équivalent de la consommation d’énergie de plus de 2 000 foyers pendant un an ou du CO2 séquestré par 21 000 acres de forêt américaine en un an.
CONCLUSIONS
Cette étude conclut que la réduction de la demande de soins par déplacement au cabinet médical a le plus grand impact sur la réduction des émissions de carbone. Il est probable que l’adoption généralisée de la télémédecine, en particulier de la téléconsultation, entraînera une réduction importante des émissions globales de GES associées à la prestation des soins. Comme c’est le cas pour de nombreux aspects de la médecine, la mise en œuvre d’un nouveau modèle de soins respectueux de l'environnement doit conférer aux patients une facilité, un coût et une efficacité clinique équivalents ou accrus par rapport à la norme traditionnelle des soins par consultation en présentiel. Ces avantages doivent exister à la fois pour le patient, le fournisseur de soins et, maintenant, pour l’environnement.
Commentaires. L'intérêt de la télémédecine pour réduire les émission des gaz à effet de serre est un sujet de plus en plus souvent traité dans la littérature médicale et environnementale (https://telemedaction.org/422016875/une-m-decine-plus-verte-gr-ce-la-t-l-m-decine). Cette communication faite à l'ATA 2023 l'illustre. Comme le soulignent les auteurs, la réduction du nombre de consultations en présentiel ne doit pas desservir les patients : le service médical rendu ne doit pas être inférieur à celui de la consultation en présentiel. Des études de plus en plus nombreuses publiées dans la littérature médicale au décours de la pandémie démontrent que la téléconsultation lorsqu'elle est pratiquée de manière pertinente et en vidéoconférence n'est pas de qualité inférieure à la consultation en présentiel. (The effectiveness of teleconsultations in primary care: systematic review. Carrillo de Albornoz S, Sia KL, Harris A. Fam Pract. 2022 Jan 19;39(1):168-182. doi: 10.1093/fampra/cmab077.PMID: 34278421) (Environmental Considerations for Effective Telehealth Encounters: A Narrative Review and Implications for Best Practice Ja-Nae Duane, Danielle Blanch-Hartigan, Justin J. Sanders, Emma Caponigro, Erryca Robicheaux, Benjamin Bernard, Maxim Podolski, and Jonathan Ericson Telemedicine and e-Health, Published Online : 24 Aug 2021 https://doi.org/10.1089/tmj.2021.0074). Il serait souhaitable que les autorités sanitaires françaises reconsidèrent l'intérêt du développement de la téléconsultation dans le programme de réduction des GES. Comme il existe aujourd'hui des hospitalisations potentiellement évitables (HEP), il faut désormais développer le concept de consultations présentielles évitables (CPE).
8 mai 2023