Construisons ensemble la médecine du XXIème siècle
Le bilan du programme ETAPES (Expérimentation de Télémédecine pour l'Amélioration des Parcours En Santé), en particulier du financement par l'Assurance maladie d'un mode de suivi à distance de patients atteints de maladies chroniques sévères, lancé en 2017, va être présenté devant le Parlement français dans le cadre du PLFSS 2022. Le financement de la télésurveillance (TS) médicale va-t-il rejoindre les financements de la téléconsultation, du télésoin et de la téléexpertise dans le droit commun de la sécurité sociale à compter de 2022 ? (http://www.telemedaction.org/432585384)
La TS doit-elle demeurer une activité qui engage seulement la responsabilité des professionnels médicaux ou doit-elle être étendue à d'autres professionnels de santé comme les pharmaciens, les infirmiers et infirmières (dont les IPA) dont les rôles propres intègrent des actions de surveillance des soins, surveillance qui peut être réalisée désormais à distance par télésoin ? (http://www.telemedaction.org/442726835)
L'intérêt de la TS est sa réalisation au domicile des patients (l'image du post), ce que les anglosaxons appellent le "homespital". Mais doit-on distinguer une forme de TS médicale qui serait organisée principalement par les médecins spécialistes, comme ce fut le cas dans le programme ETAPES, d'une autre forme de TS médicale à l'initiative du médecin traitant ? La TS médicale doit-elle être toujours caractérisée par l'usage d'un "device" qui fournit des alertes à une plateforme de TS ou peut-on aussi réaliser une TS en utilisant Mon Espace Santé (MES) ou en faisant des téléconsultations et/ou des télésoins programmés, adaptés aux séquences de soins ? (http://www.telemedaction.org/page:3A783076-70F1-4D6F-B2DC-C44D2F9F2C59"text-align: justify; padding: 0px 0px 22px; margin-bottom: 0px; color: rgb(0, 0, 0); font-family: Georgia, serif; font-size: 16px; letter-spacing: 0px; line-height: 1.2; font-weight: normal; font-style: normal; text-decoration: none solid rgb(0, 0, 0); text-shadow: none; text-transform: none; direction: ltr;" class="textnormal">Nous savons maintenant dans quel environnement numérique va prospérer la santé en France. Le dernier webinaire de l'Agence du Numérique en Santé (ANS) est très éclairant à ce sujet et nous engageons le lecteur de ce billet à l'écouter sur You Tube (https://youtu.be/YiC8oBfGan8). Si on voulait décrire le nouveau paysage numérique de notre système de santé, nous pourrions le comparer à une ville nouvelle totalement numérisée, avec une urbanisation bien élaborée, en particulier une fiabilité de toutes les canalisations qui assurent la circulation des données individuelles. Chaque habitant de cette ville nouvelle a accès à partir de son domicile à un certain nombre de services numériques offerts et sécurisés par la gouvernance urbaine (l'Etat-plateforme). Chaque citoyen possède ainsi un espace santé (MES) à côté de l'espace bancaire, de l'espace des impôts, etc. (http://www.telemedaction.org/450202746). Cette nouvelle urbanisation peut-elle aider la mise en place d'une TS médicale autogérée par le patient lui-même sur MES ? Ce modèle ressemblerait alors à celui qui s'est développé dans la plupart des pays du nord de l'Europe.
Sans avoir la prétention de répondre à toutes ces questions, nous tentons dans ce billet d'évoquer les nouvelles formes de suivi à distance de personnes malades, organisations qui découleraient des évolutions récentes liées à la transformation numérique de notre système de santé.
Le cadre juridique de la TS médicale n'a pas changé depuis le décret du 19 octobre 2010.
Dans le décret de télémédecine du 19 octobre 2010 et revisité le 13 septembre 2018, la télésurveillance médicale permet à un professionnel médical d'interpréter à distance des données recueillies sur le lieu de vie du patient. C'est un acte médical à distance comme le sont la téléconsultation et la téléexpertise. Il est inscrit au code de la santé publique (CSP). Comme pour tout acte médical, qu'il soit en présentiel ou à distance, le professionnel médical (médecin, sage-femme, chirurgien-dentiste) engage sa responsabilité pleine et entière. Cette définition peut très bien s'appliquer à un modèle de TS médicale reposant sur MES, le professionnel médical intervenant dans MES à la demande du patient titulaire de l'espace santé.
Les auteurs du décret du 19 octobre 2010, reprenant les données de la littérature médicale de l'époque, ont pensé que la TS médicale devait être une pratique relevant de la responsabilité du professionnel médical. Il faut reconnaître que cette définition fut mal comprise des fournisseurs de "services de télésurveillance" au domicile, lesquels estimaient que la TS médicale ne devait pas faire partie des actes de télémédecine, mais du programme de développement économique de l'e-santé (voir notre post du 18 novembre 2015, http://www.telemedaction.org/422400911).
Il faut aussi souligner que la plupart des organisations de TS médicale, mises en place au cours des dix dernières années, l'ont été à l'initiative d'établissements de santé, publics ou privés, comme la télécardiologie (surveillance des patients porteurs de DMI initiée, entre autres, par les CHU de Bordeaux et de Lille, ou le télésuivi des patients en insuffisance cardiaque chronique initié depuis 2006 par le CHU de Caen (SCAD), ou la télédialyse en unités de dialyse médicalisées (UDM) initiée par les établissements de santé bretons et lorrains au début des années 2000. Le régime de responsabilité était celui des établissements de santé qui acceptaient de développer de telles applications à la sortie d'une hospitalisation.
La TS médicale à l'initiative des établissements de santé.
Le programme ETAPES a concerné très peu de médecins généralistes libéraux (quelques médecins pour la TS du diabète de type 2). La plupart des professionnels médicaux impliqués dans ce programme étaient des médecins spécialistes exerçant au sein d'établissements de santé. Quelques médecins spécialistes libéraux, essentiellement des cardiologues, ont aussi participé à cette expérimentation.
Dans ce programme, les pouvoirs publics ont bien distingué ce qui relevait des pratiques de professionnels de santé (prescription de la TS par un professionnel médical, accompagnement thérapeutique du patient par un professionnel de santé) de ce qui relevait des fournisseurs de services de télésurveillance (industriels du numérique, start-ups).(http://www.telemedaction.org/432585384, http://www.telemedaction.org/424391275)
Des propositions de forfait global des actes de TS, incluant l'acte de prescription par un médecin et l'acte d'accompagnement thérapeutique par un professionnel de santé formé à cette pratique, ont été faites récemment par certains acteurs impliqués dans la délivrance de services de télésurveillance ((http://www.telemedaction.org/page:3A783076-70F1-4D6F-B2DC-C44D2F9F2C59"text-align: justify; padding: 0px 0px 22px; margin-bottom: 0px; color: rgb(0, 0, 0); font-family: Georgia, serif; font-size: 16px; letter-spacing: 0px; line-height: 1.2; font-weight: normal; font-style: normal; text-decoration: none solid rgb(0, 0, 0); text-shadow: none; text-transform: none; direction: ltr;" class="textnormal">Cela préfigure-t-il que les pouvoirs publics vont confier la pratique et l'organisation de la TS à domicile des patients atteints de maladies chroniques à un stade avancé (celles du programme ETAPES) aux établissements de santé ? Un forfait global "gradué" (selon le stade de la maladie chronique) serait attribué à l'établissement de santé qui organise la TS à domicile à la sortie d'une hospitalisation. (http://www.telemedaction.org/448316348)
Si c'était le cas, la responsabilité de la TS (prescription et accompagnement thérapeutique) serait portée par l'établissement de santé dans le cadre d'un contrat de soins avec le patient qui serait prolongé jusqu'à son domicile pendant une période déterminée par les professionnels de santé.
Le programme ETAPES est un modèle de TS par pathologie, ce qui renforce l'implication des médecins spécialistes hospitaliers qui mettent en place la TS à la sortie de l'hôpital pour consolider les acquis de l'hospitalisation. Cette TS, comme dans le programme ETAPES, est de courte durée, la prescription ne pouvant pas dépasser 6 mois mais pouvant être renouvelée. Si cette limitation dans le temps de la TS est adaptée aux pathologies cardiologiques, elle ne l'est pas pour les autres pathologies incluses dans le programme, comme l'insuffisance rénale dialysée, l'insuffisance respiratoire appareillée ou le diabète complexe. Ce qui pourrait expliquer pour une part le manque d'engagement des spécialistes concernés par ce programme, autres que les cardiologues.
La TS médicale à l'initiative du médecin traitant.
Si la LFSS 2022 fait entrer la TS médicale dans le droit commun de la sécurité sociale, comme ce fut le cas pour la téléconsultation et la téléexpertise, c'est bien pour que les médecins libéraux, en particulier les médecins traitants, s'impliquent dans cette nouvelle pratique de télémédecine. Le modèle organisationnel et financier ne pourra cependant pas s'inspirer du programme ETAPES puisque les médecins traitants en ont été exclus.
Nous pensons que MES rénove les pratiques de télésanté en facilitant l'accès des citoyens et des professionnels de santé libéraux à la téléconsultation, la téléexpertise et le télésoin (http://www.telemedaction.org/449536030), ainsi qu'au "store" des différentes applications et services d'e-santé pour la prévention et la surveillance des maladies. La TS médicale organisée par le médecin traitant dans le cadre des parcours de soins qu'il coordonne peut-elle alors reposer sur l'offre de MES ? Nous le pensons puisque le DMP rassemblera les données de santé du titulaire de MES, en particulier les données biologiques et paracliniques qui sont nécessaires à une TS médicale efficace (http://www.telemedaction.org/page:9F7FE934-1130-4BC6-88A9-6DEE8722C024"padding: 0px; text-align: justify; color: rgb(0, 0, 0); font-family: Georgia, serif; font-size: 16px; letter-spacing: 0px; font-weight: normal; font-style: italic; text-decoration: none solid rgb(0, 0, 0); text-shadow: none; text-transform: none; direction: ltr;" class="textnormal">Portavita mis en place aux Pays-Bas à l'initiative des médecins généralistes et qui a obtenu un franc succès. (http://www.telemedaction.org/422886029)
La prescription par le médecin traitant d'une thérapie numérique (digital therapeutic) de TS médicale (http://www.telemedaction.org/444061514) sera facilitée par MES. Si la fiabilité et la sécurité du produit sont garanties par l'Etat plateforme qui aura inclus ce produit dans le store, et s'il relève de la définition d'un dispositif médical connecté remboursé par l'Assurance maladie, la pertinence de sa prescription et de son usage par le patient relève bien de la responsabilité du professionnel médical prescripteur (http://www.telemedaction.org/page:9F7FE934-1130-4BC6-88A9-6DEE8722C024"text-align: justify; padding: 0px 0px 22px; margin-bottom: 0px; color: rgb(0, 0, 0); font-family: Georgia, serif; font-size: 16px; letter-spacing: 0px; line-height: 1.2; font-weight: normal; font-style: normal; text-decoration: none solid rgb(0, 0, 0); text-shadow: none; text-transform: none; direction: ltr;" class="textnormal">Mais qu'en sera-t-il si le service ou l'applis de TS est choisi par le patient lui-même dans son MES ? Le médecin traitant pourrait-il se désengager s'il estimait que le choix du produit ou du service, ainsi que son usage, ne sont pas pertinents pour le patient ? On rappelle que le décret relatif à la télésanté du 3 juin 2021 crée une obligation de pertinence des soins à distance pour le professionnel de santé (http://www.telemedaction.org/449707641).
Le patient est de plus en plus acteur de sa propre santé et les associations représentant les usagers de la santé rappellent régulièrement ce point important des droits des patients. Lorsque le médecin engage sa responsabilité, il attend aussi de la part des patients des devoirs. Si le service d'e-santé choisi par le patient est considéré comme un soin non pertinent par le professionnel de santé, ce dernier a le droit de refuser d'adhérer à ce choix (art. 4127.47 du CSP). Toutefois, si le choix du patient entre dans le cadre d'actions entreprises par les autorités sanitaires en vue de la protection de la santé et de l'éducation sanitaire, le médecin a aussi le devoir d'apporter son concours (art. 4127.12 du CSP).
Le terme même "TS médicale" irrite les représentants des usagers de la santé qui l'assimile à une sorte de "flicage" des patients, c'est à dire la poursuite d'un pouvoir médical tant décrié au 20ème siècle. Aujourd'hui, nous sommes à l'ère du patient "expert", concept qui intègre les droits et devoirs des patients, c'est à dire leur engagement éclairé dans le diagnostic et les traitements proposés par le médecin. Les représentants des usagers préféreraient remplacer ce terme par celui de "télé accompagnement médical". L'"accompagnement" n'est pas synonyme de "surveillance". Si ce nouveau terme devait prospérer à la demande des usagers de la santé, il faudrait le définir pour qu'il soit inscrit dans le code de la santé publique (CSP). Pour l'instant, seul le terme "télésurveillance médicale" a une définition précise.
Dans le cadre d'une pratique combinée de la TS médicale et de la téléconsultation, certains développements à venir pourraient compléter la téléconsultation en livrant en même temps des paramètres cliniques et biologiques saisis par analyse pléthysmographique du visage, permettant au médecin traitant d'évaluer le début d'une complication ou à l'inverse de confirmer la stabilité de la maladie chronique. L'environnement de la téléconsultation est important pour réussir cette pratique combinée (http://www.telemedaction.org/449376350)(http://www.telemedaction.org/450415051). Ainsi, avec MES et l'accès facilité à une téléconsultation, le médecin traitant pourra contribuer activement au télésuivi de ses patients atteints de maladies chroniques.
La TS médicale déléguée à un professionnel de santé non médical.
C'est de plus en plus fréquent et la plupart des études publiées montrent l'intérêt d'une telle délégation. C'est ce qu'on observe en France dans plusieurs organisations de TS médicale, en particulier en cardiologie et en néphrologie où des infirmiers en pratique avancée (IPA) interviennent à la demande des médecins spécialistes et assurent cette TS. C'est notamment le cas dans le télésuivi au domicile des patients insuffisants cardiaques au décours d'une hospitalisation (SCAD, Cardiauvergne). Ce type de télésuivi est organisé par des établissements de santé. Chez les patients diabétiques, l'intérêt d'un "télé accompagnement" par des infirmiers et infirmières est illustré par le programme Sophia de l'Assurance maladie, et plus récemment par l'usage d'une thérapie numérique chez des jeunes diabétiques de type 1 (http://www.telemedaction.org/442385138).
Pendant la période Covid, le programme Covidom initié par l'AP-HP pour le télésuivi des patients suspects ou confirmés Covid-19 a pris en charge plus d'un million de personnes en 2020-21. L'enquête de satisfaction chez 16% des 97 094 personnes interrogées s'est révélée positive (https://en.calameo.com/read/004021827d1c63f92535f), les auteurs estimant que le modèle Covidom pourrait être appliqué à d'autres pathologies. L'Assurance maladie a aussi réalisé des télésuivis chez les patients contacts ou infectés dans le cadre du programme "Tester Alerter Protéger" (TAP2). Dans la région Hauts de France, plus de 5000 IDEL ont participé à ce programme de TS des patients Covid.
10 septembre 2021