Construisons ensemble la médecine du XXIème siècle
Le pharmacien d'officine n'est-il pas le grand absent des discours officiels sur les bénéfices présumés de la télémédecine pour améliorer l'accès aux soins ? On peut le penser. Le Congrès national des pharmaciens, qui vient de se tenir à l'Aréna de Montpellier, a organisé une table ronde autour du thème suivant : quelle devrait être la place du pharmacien d'officine dans les pratiques de télémédecine et de santé connectée au sein d'un territoire de santé ?
Evacuons rapidement l'argument qui ne manquerait pas d'être donné par certains lecteurs de ce billet : le décret de télémédecine d'octobre 2010 ne concerne que les professionnels de santé médicaux, c'est à dire les médecins, les sages femmes et les chirurgiens dentistes et non les autres professions de santé. Dont acte ! Mais ce n'est pas parce qu'en 2010 la place du pharmacien n'avait pas encore été intégrée dans les filières de soin structurées par la télémédecine qu'il ne faut pas en parler à l'orée de 2018, année qui verra probablement une modification du décret de télémédecine ! Toute solution organisationnelle innovante est ouverte à la discussion, comme l'a rappelé la Ministre de la santé. Soyons donc aujourd'hui force de propositions !
Rappelons tout d'abord que la profession de pharmacien ne fait pas partie des professions d'auxiliaires médicaux et que l'usage du terme "profession para-médicale" pour un pharmacien est totalement impropre. Dans le Code de la santé publique, cette profession de santé se situe, avec celle du physicien médical, entre les professions médicales (médecins, sages femmes, chirurgiens dentistes) et les professions d'auxiliaires médicaux (infirmiers, masseurs-kinésithérapeutes, ergothérapeutes, etc.).
L'article R.4235-2 du Code de déontologie des pharmaciens rappelle dans son alinéa 2 que le pharmacien "doit contribuer à l'information et à l'éducation du public en matière sanitaire et sociale. Il contribue notamment à la lutte contre la toxicomanie, les maladies sexuellement transmissibles et le dopage." C'est donc un acteur essentiel de la prévention. Profession soumise, comme les autres professions de santé, au secret professionnel et à l'indépendance dans l'exercice de son art, le pharmacien est le collaborateur naturel et incontournable du professionnel de santé médical dans la dispensation des médicaments prescrits, dans l'éducation et l'accompagnement thérapeutiques des patients et dans la prévention primaire et secondaire.
Comme le rappelle l'art. R.4235-48, le pharmacien doit, par des conseils appropriés et dans le domaine de ses compétences, participer au soutien apporté au patient. Il a le devoir (art.R.4235-61) de protéger le patient d'un risque lié à la prescription d'un médicament : "lorsque l'intérêt de la santé du patient lui paraît l'exiger, le pharmacien doit refuser de dispenser un médicament. Si ce médicament est prescrit sur une ordonnance, le pharmacien doit informer immédiatement le prescripteur de son refus et le mentionner sur l'ordonnance."
Si le pharmacien doit s'abstenir de formuler un diagnostic sur la maladie au traitement de laquelle il est appelé à collaborer (art.R.4235-63), il doit par contre chaque fois que cela lui paraît nécessaire, inciter les patients à consulter un praticien qualifié (art.R.4235-62).
A l'ère des maladies chroniques, les filières de soins intégrent les compétences propres de plusieurs professions de santé. La place du pharmacien, spécialiste du médicament et de son bon usage, au sein de ces filières est évidente. Il a une position robuste. Le médecin traitant doit savoir s'appuyer sur lui pour obtenir la meilleure observance possible des traitements prescrits, en particulier chez les patients atteints de maladies chroniques, lesquels sont souvent fragilisés par leur grand âge et les handicaps associés.
Sans compter que le pharmacien est détenteur, non seulement des données pharmaceutiques propres à la dispensation des médicaments, mais également de données de santé à caractère personnel confiées par le patient lui-même lors des nombreuses rencontres qu'il a avec son pharmacien, notamment des données sur la tolérance des traitements, entre autres, qui mériteraient d'être mieux connues du médecin traitant et qui pourraient ainsi rejoindre le dossier médical du patient ou le DMP lorsqu'il sera accessible à tous. Le pharmacien peut ainsi contribuer à une médecine plus personnalisée chez un patient atteint de maladies chroniques.
La position robuste du pharmacien dans un parcours de soin structuré par la télémédecine et la santé connectée doit être illustrée.
Si le réseau numérique en santé doit améliorer l'accessibilité aux soins, le pharmacien d'officine peut fortement y contribuer. Nous montrons ici quelques exemples et propositions d'évidence....
Dans des régions dites "sous-denses" en médecins et en consultation médicale (moins de 2,5 consultations/an/habitant pour une moyenne en France de 5 consultations/an/habitant) (voir l'analyse du rapport de la DREES dans le billet consacré aux "déserts médicaux/TLM" dans la rubrique "Articles de fond"), l'accessibilité des personnes âgées et/ou handicapées à une consultation médicale pourrait être grandement facilitée si les pharmaciens d'officine pouvaient organiser des téléconsultations avec les médecins traitants concernés dans leur officine, "dernier ilot de santé" dans les régions rurales .
Que le pharmacien, professionnel de santé, soit auprès du patient pendant la téléconsultation ne doit pas soulever de questions particulières, puisqu'il est soumis au respect du secret médical. La psychologue, qui n'est pas une professionnelle de santé, peut assister réglementairement à une téléconsultation de psychiatrie (décret de télémédecine du 19 octobre 2010). Bien évidemment, le consentement libre et éclairé de la personne doit être préalablement obtenu.
Comme le forfait de 28 000 euros/an attribué aux Ehpad par l'arrêté du 10 juillet 2017 pour leur permettre de s'équiper et de réaliser au moins 50 téléconsultations/an, ce même forfait d'équipement pourrait aussi être accordé aux pharmacies d'officine qui accepteraient de réaliser ces téléconsultations programmées de proximité pour les patients âgés et/ou handicapés vivant à domicile. Bien évidemment, il s'agirait d'un protocole d'accord avec les médecins traitants concernés.
L'article R.4235-66 du CSP, qui interdit la réalisation de consultation médicale dans l'officine, devrait être modifié pour permettre l'organisation et la réalisation de ces téléconsultations programmées avec le médecin traitant dans ces pharmacies rurales de proximité, en priorité dans celles situées dans les zones sous-denses en médecins.
La pratique de téléexpertises synchrones ou asynchrones régulières avec le médecin traitant est une autre proposition innovante. Ciblées sur les traitements des patients atteints de maladies chroniques, elles seraient certainement très utiles pour améliorer l'observance à ces traitements de longue durée.
En effet, le pharmacien reçoit régulièrement les confidences des patients sur leur tolérance aux traitements et il les conseille souvent d'en parler à leur médecin, sauf que l'accès immédiat à son médecin traitant est quasi impossible. Les récents accidents sanitaires ont montré que si ce dialogue nécessaire entre le médecin traitant et le pharmacien sur les traitements était mieux reconnu, certains effets iatrogènes pourraient être plus rapidement prévenus ou du moins mieux gérés dans l'intérêt des patients.
Plutôt que d'utiliser le réseau public téléphonique qui ne garantit pas la confidentialité des échanges, comme cela se fait trop couramment aujourd'hui, réaliser ces échanges par écrit au moyen d'une messagerie sécurisée de santé (MSS) permettrait, d'une part de les tracer dans le dossier médical informatisé, d'autre part, de garantir la sécurité et la confidentialité de ces échanges. Toutes les pharmacies ont un équipement informatique de haut niveau pour gérer le dossier pharmaceutique. Ce n'est donc pas un problème de moyens techniques, mais bien de reconnaissance de ce rôle des pharmaciens.
Aujourd'hui, dans le décret de télémédecine, la téléexpertise concerne uniquement les échanges entre professionnels de santé médicaux. Dans la revision prochaine du décret, elle pourrait s'étendre à la téléexpertise entre le professionnel de santé médical et le professionnel de santé "spécialiste du médicament" qu'est le pharmacien.
Une troisième proposition serait d'intégrer le pharmacien à la mission d'accompagnement thérapeutique qui est adossée à la télésurveillance médicale des maladies chroniques complexes (insuffisance cardiaque, insuffisance rénale, insuffisance respiratoire, diabète complexe, surveillance des troubles du rythme cardiaque par DMI) dans le programme ETAPES, dont l'expérimentation organisationnelle et tarifaire est prolongée jusqu'à la LFSS 2022. Bien évidemment, il ne s'agit pas de remettre en question le rôle actuel des infirmiers qui ont acquis une qualification en éducation thérapeutique et qui interviennent dans cet accompagnement thérapeutique obligatoire.
On pourrait ouvrir cette participation à l'accompagnement thérapeutique aux pharmaciens d'officine. Toutes les collaborations sont nécessaires pour contribuer à la réussite du programme ETAPES et à la validation du modèle français de télésurveillance médicale au domicile des maladies chroniques sévères.
Cette participation serait d'autant plus opportune que dans un proche avenir les pharmaciens auront à délivrer des objets connectés et applis mobiles "labellisés", dont la finalité principale sera de contribuer à la prévention primaire et secondaire, ainsi que de surveiller les patients atteints de maladies chroniques à un stade évolutif moins sévère que ceux concernés par le programme ETAPES.
La collaboration entre le médecin prescripteur de la télésurveillance à domicile et le pharmacien d'officine sera utile au patient qui vient renouveler périodiquement son traitement chez le pharmacien. Par exemple, la télésurveillance des patients atteints de diabète de type 2, dont le prescripteur peut être le médecin traitant et non le spécialiste (arrêté du 28 avril 2017), ne peut être que bénéfique aux patients si le pharmacien assure l'accompagnement thérapeutique en collaboration avec le médecin traitant.
De plus, les prestataires de santé qui délivrent le système algorithmique de télésurveillance sont souvent connus des pharmaciens qui ont déjà l'habitude de collaborer avec eux.
Ce billet s'est voulu résolument innovant dans les organisations professionnelles qui vont se mettre en place en 2018 dans les territoires de santé, afin de réaliser des filières de soin de qualité chez les patients atteints de maladies chroniques. Ces organisations innovantes devront être discutées au sein des Communautés Professionnelles Territoriales de Santé (CPTS) et les Plateformes Territoriales d'Appui ont toutes leur place pour conforter ces organisations innovantes.
Le message donné par la Ministre de la santé aux professionnels de santé d'un territoire est clair : "soyez innovants dans votre territoire et l'Etat vous aidera".
23 octobre 2017
Bessemoulin Pierre
25.10.2017 08:42
Article très intéressant, et plein d'espoir pour la filière numérique e-santé.
Pierre Simon
25.10.2017 08:47
Merci pour ce commentaire