Construisons ensemble la médecine du XXIème siècle
Faire ici un plaidoyer pour que la télémédecine et la santé connectée fassent partie des programmes de formations reconnus par l'Organisme Gestionnaire du Développement Professionnel Continu (OGDPC) en étonnera plus d'un, tant cela relève du bon sens...
La Société Française de Télémédecine (SFT) est une société savante qui regroupe les professionnels de santé médicaux issus d'une vingtaine de sociètés médicales savantes françaises, ainsi que des professionnels non médicaux impliqués également dans les pratiques de télémédecine et de santé connectée. L'objet principal de la SFT est, entre autres, de former les professionnels de santé aux pratiques de la télémédecine et de la santé connectée, notamment au cours de congrès et workshops annuels. Elle vient d'essuyer successivent deux refus d'enregistrement de son action de formation par l'OGDPC, au motif, notamment, que son indépendance vis à vis des industries du numérique en santé ne serait pas suffisamment assurée. Cette décision a été prise par une Commission scientifique médicale indépendante.
Essayons de comprendre l'incohérence d'une telle décision avec la stratégie actuelle de la Puissance publique qui encourage le développement de la télémédecine et de la santé connectée. (voir le document du Ministère de la santé en date du 4 juillet 2016 sur la "Stratégie nationale e-santé 2020 : http://social-sante.gouv.fr/IMG/pdf/strategie_e-sante_2020.pdf)
Rappelons tout d'abord ce qu'est le DPC voulu par la loi HPST du 21 juillet 2009
Les professionnels de santé doivent satisfaire, chaque année,
à une obligation de DPC. Pour répondre à cette obligation, ils ont deux possibilités ; soit en participant à une action de DPC proposée par des organismes de DPC (ODPC) de leur choix, enrégistrés
par l'OGDPC, soit en participant à une action de DPC organisée au sein de leur établissement de santé.
Dans les 2 cas, l’organisme de DPC ou l’établissement doit être enregistré
auprès de l’organisme gestionnaire et évalué positivement par la Commission scientifique indépendante compétente dans le domaine considéré.
Tous les professionnels de santé médicaux, paramédicaux et assimilés, quel que soit leur statut (libéral, salarié du public, salarié du secteur privé lucratif ou non lucratif) et quel que soit le temps de travail, sont concernés par l’obligation de DPC.
En référence aux méthodes et modalités de DPC préconisées par la Haute
Autorité de Santé (HAS), un programme de DPC doit comporter deux activités : 1) une activité d’analyse de pratiques, 2) une activité d’acquisition
ou d’approfondissement de connaissances ou de compétences. Ces activités peuvent être réalisées en même temps ou successivement. Elles se situent dans le cadre d’une démarche
d’amélioration continue de la qualité et de la sécurité des soins.
Chaque programme de DPC doit répondre à trois critères : 1) être
conforme à une orientation nationale ou régionale définie par le Ministère de la Santé ou par l’Agence Régionale de Santé (ARS) du lieu d’exercice du professionnel, 2) comporter des méthodes et des modalités validées par la Haute Autorité de Santé (HAS), 3)
être mis en oeuvre par un organisme enregistré par l’organisme gestionnaire du DPC (OGDPC) et évalué favorablement par une commission scientifique indépendante.
La télémédecine et la santé connectée entrent t'elles dans le champ des formations "conformes à une orientation nationale ou régionale" ?
La réponse est bien évidemment positive. L'orientation nationale est prise par la Puissance publique depuis juin 2011 (décision en Conseil des ministres de la première stratégie nationale de développement de la télémédecine pour la période quinquennale 2012-2016). Une deuxième étape de la stratégie nationale, jusqu'en 2020, a été présentée le 4 juillet 2016 par la Ministre de la santé, en faveur d'un déploiement plus globale de la télémédecine et de la santé connecté.(voir sur ce site le billet "Tous des e-patients" dans la rubrique Edito de semaine)
Il existe de plus, depuis 2012, une orientation régionale avec les 26 plans régionaux de télémédecine (PRT) pilotés par les Agences Régionales de Santé, PRT qui sont la déclinaison de la stratégie nationale de la Puissance publique au niveau régional.
La formation DPC-télémédecine comporte-t-elle des méthodes et des modalitées validées par la Haute Autorité de Santé ?
La réponse est également positive. Il s'agit tout d'abord d'une activité d'analyse des pratiques professionnelles, première étape obligatoire d'une formation DPC. C'est un point essentiel proné par la HAS et la Société Française de Télémédecine en a fait la priorité de ses formations. Il est en effet urgent d'accompagner les pratiques professionnelles de télémédecine et de la santé connectée, sous peine de voir apparaître des dérives dangereuses, et pour les patients qui peuvent en être les victimes, et pour les professionnels de santé qui verront leur responsabilité professionnelle mise en cause.
De quoi s"agit-il ? Illustrons cette question importante par quelques pratiques que l'on peut observer aujourd'hui couramment sur le terrain, tant dans le secteur ambulatoire que dans les établissements de santé.
L'usage d'un Smartphone personnel pour une activité professionnelle de santé. Il devenait évident, après l'apparition du premier Smartphone sur le marché en 2007, que la santé mobile (Mobile Health) allait se développer, d'autant que le marché des objets connectés et des applications mobiles se développait parallèlement. Confrontés à des difficultés de rendez-vous avec les médecins spécialistes, certains médecins de soins primaires, novateurs et souvent jeunes, n'ont pas hésité à utiliser leur propre smartphone pour adresser des images à leurs correspondants spécialistes, les dermatologues et les cardiologues étant les plus sollicités. De même, certains médecins acceptent de recevoir sur leur Smartphone personnel des informations confidentielles de leurs patients dans le cadre du suivi de leur maladie.
Des données de santé à caractère personnel circulent ainsi depuis déjà plusieurs années dans le domaine public et le risque de violation du secret de telles données confidentielles ne fait que progresser. Ce phénomène existe dans tous les pays, notamment ceux qui sont considérés comme les plus libéraux. Certains ont déjà tiré la sonnette d'alarme sur ces pratiques déviantes considérées comme des pratiques de télémédecine (voir sur ce site le billet "Mobile Health" dans la rubrique Edito de la semaine et "santé connectée (3) dans la rubrique Revues et publications). La Commission scientifique indépendante de l'OGDPC devrait s'en inquiéter !
La Puissance publique a probablement conscience de ces risques puisqu'elle propose aux professionnels de santé l'usage de la Messagerie Sécurité de Santé (MSS) qui peut parfaitement être utilisée sur un Smartphone. Mais ce n'est pas en informant les professionnels de santé par des Newsletters que ces professionnels vont corriger leurs pratiques déviantes. Il faut faire davantage et organiser des formations adaptées à ces nouveaux usages.
L'usage de logiciels webcam téléchargés sur PC ou Smartphone pour réaliser des téléconsultations. Il est aujourd'hui facile d'utiliser une Webcam (skype...) pour son usage privé et correspondre ainsi à distance avec sa famille ou ses amis. Il est également tentant d'utiliser ces logiciels Webcam pour des téléconsultations dans des EHPADs ou à domicile ou des téléexpertises avec les médecins spécialistes. Là encore, ces logiciels commerciaux utilisent des canaux publics non sécurisés et il existe un réel danger de violation de données confidentielles.
De même, faire des téléconsultations avec son téléphone personnel, comme cela se voit déjà dans certains établissements hospitaliers, publics et privés, est une pratique déviante qui menace la confidentialité des échanges et la violation du secret professionnel lorsque le téléphone utilise des canaux publics.
Le deuxième temps d'une activité DPC est une activité d’acquisition ou d’approfondissement de connaissances ou de compétences. C'est le rôle d'une Société savante de faire connaitre l'état de l'art de la pratique de la télémédecine, en attendant que les facultés de médecine s'investissent davantage dans cette mission (voir sur ce site le billet "Que fait donc la Fac" dans la rubrique édito de semaine). La littérature scientifique sur la télémédecine et la santé connectée est aujourd'hui suffisamment riche pour que les professionnels de santé médicaux qui pratiquent la télémédecine et la santé connectée connaissent "les données actuelles de la science médicale ". Il est donc important de les enseigner pour que le professionnel de santé acquière ces nouvelles connaissances et puisse ainsi se défendre si un jour sa responsabilité professionnelle est mise en cause dans un accident médical qui serait directement lié à la pratique de la télémédecine et de la santé connectée.(voir sur ce site le billet "Déontologie du futur" dans la rubrique "On en parle")
Oui, il est vraiment impératif et urgent de développer des formations validantes en télémédecine et en santé connectée et l'OGDPC devrait en prendre conscience. Il est également important que la FHF, dans sa campagne actuelle sur le "déverrouillage financier de la télémédecine" , demande la formation des praticiens hospitaliers dans le cadre du DPC pour les aider à structurer le projet médical partagé du GHT avec la télémédecine.(voir sur ce site le billet "le souffle du GHT" dans la rubrique Edito de semaine)
Enfin, le motif invoqué par la Commission scientifique indépendante de l'OGDPC qu'une Société savante de télémédecine pouvait avoir des liens d'intérêt et donc des conflits possibles avec l'industrie du numérique en santé" dans ses actions de formation nous semble être aujourd'hui un argument dépassé issu de la médecine pharmacologique du XXème siècle. La santé connectée et la télémédecine sont directement dépendantes de cette troisième révolution industrielle qu'est la révolution numérique. Médecins et Ingénieurs doivent travailler ensemble pour offrir aux patients le meilleur de la médecine 5P du XXIème siècle (voir sur ce site le billet consacré à la médecine 5P). La pratique de la télémédecine ne peut relever du e-commerce, mais les services de télémédecine qui relèvent en droit européen des services du système de l'information relèvent d'une législation européenne du e-commerce (voir sur ce site le billet sur le "Patchwork juridique").
12 septembre 2016