Construisons ensemble la médecine du XXIème siècle
Heureux hazard du calendrier, alors que le programme français ETAPES se développe à partir du 1er janvier 2017 sur tout le territoire national (voir sur ce site le billet "programme ETAPES dans la rubrique "On en parle"), l'American Heart Association (AHA) publie dans le 1er numéro 2017 de sa célèbre revue scientifique "Circulation" des recommantations pour la mise en oeuvre de la télémédecine chez les patients atteints de maladies cardio-vasculaires et d'accident vasculaire cérébral. Cette publication est en avant première sur le site web de la revue américaine.
Schwamm LH, Chumbler N, Brown E, Fonarow GC, Berube D, Nystrom K, Suter R, Zavala M, Polsky D, Radhakrishnan K, Lacktman N, Horton K, Malcarney MB, Halamka J, Tiner A. American Heart Association Advocacy Coordinating Committee.C. Recommendations for the Implementation of Telehealth in Cardiovascular and Stroke Care: A Policy Statement From the American Heart Association. Circulation. 2016 Dec 20. pii: CIR.0000000000000475. doi: 10.1161/CIR.0000000000000475. [Epub ahead of print]
Le but de ce travail est de fournir un examen approfondi des preuves scientifiques montrant que l’utilisation de la télémédecine dans les soins de patients atteints de maladies cardiovasculaires chroniques et d'accidents vasculaires cérébraux est fondée. Ce travail a pour but de fournir des recommandations consensuelles sur les actions à mener pour lever certains freins.
Dans ce travail, les auteurs ont évalué l’impact de la télémédecine en matière de progression de la qualité des soins, ont identifié les obstacles juridiques et réglementaires qui entravent l’adoption de la télémédecine par les professionnels de santé américains. Ils proposent des mesures pour surmonter ces freins et identifient les domaines de futures recherches cliniques pour que les pratiques de télémédecine continuent à améliorer la qualité des soins chez les patients touchés par des maladies cardiovasculaires et des accidents vasculaires cérébraux.
Ces recommandations sont conçues pour promouvoir des modèles organisationnels de télémédecine qui garantissent un meilleur accès des patients à des soins de haute qualité tout en assurant la sécurité des patients et la confidentialité des données de santé à caractère personnel.
Pour ces auteurs, la télémédecine, par ses organisations nouvelles, doit améliorer la qualité des soins tout en réduisant les coûts. En aucun cas, la qualité des soins ne doit être sacrifiée à la réduction des coûts. Le rapport rappelle que 85 millions de personnes (26% de la population américaine) souffrent de maladies cardio-vasculaires chroniques et 7 millions (2,2%) sont des survivants d'AVC, générant une dépense annuelle de 320 et 33 milliards de dollars, respectivement. La croissance des dépenses de santé aux USA est de 5,2%/an au cours des cinq dernières années. Les auteurs résument les objectifs d'amélioration de la qualité des soins et de réduction des coûts dans un programme identifié par l'acronyme STEEEP (Safe, Timely, Effective, Efficient, Equitable, Patient-centered).
Sécurité (Safe) : la télémédecine doit contribuer à prévenir les mauvais soins. La surveillance fréquente ou continue des patients qui ont des affections chroniques bien définies peut améliorer la santé de ces patients.
Moment opportun (timely) : la télémédecine doit réduire les obstacles et retards dans l'accès aux soins qui peuvent être nuisibles aux patients. Les interventions de télémédecine en temps réel peuvent améliorer l'accès à des informations entre les visites traditionnelles et permettre ainsi la détection plus précoce des complications.
Efficace (effective) : la télémédecine doit offrir des services reposant sur des connaissances et des preuves scientifiques afin d'éviter les services qui ne seraient pas bénéfiques aux patients. Par rapport aux soins traditionnels, la télémédecine ne doit pas se fonder sur des intuitions ou sur le souhait de récueillir de grandes quantités de données de santé. La recherche clinique en télémédecine est nécessaire pour prouver que les services qu'elle délivre sont au moins aussi efficaces que les soins traditionnels.
Efficient (efficient) : La télémédecine doit éviter le gaspillage. Le remplacement des consultations en face à face par une télésurveillance médicale peut réduire les frais de transports, les heures de travail perdues pour les patients et les soignants, les hospitalisations, etc. La monétisation des économies générées peut aider à réduire les dépenses de santé, les coûts des assurances. L'efficience de la télémédecine se traduit par de nouveaux modèles économiques.
Equitable (equitable) : la télémédecine doit dispenser des soins à tous les patients, en dehors de toutes considérations de sexe, d'origine ethnique, de situation géographique ou de statut médico-économique
Centrée sur le patient (patient-centered) : La télémédecine doit fournir des soins respectueux des droits des patients, en respectant les désirs, les besoins et les valeurs éthiques notamment dans la prise des décisions cliniques et thérapeutiques.
Ce travail s'appuie sur une revue de plus de 140 travaux publiés dans la littérature scientifique médicale. Il est difficile de résumer dans un seul billet un rapport de 22 pages. Aussi, nous avons choisi quelques recommandations "phare" qui peuvent inspirer la mise en place du programme français ETAPES dans le télésuivi des patients atteints de maladies cardiovasculaires chroniques.
Seule la télésurveillance médicale synchrone apporte un SMR aux patients atteints d'affections cardiovasculaires chroniques. Plusieurs études controlées et randomisées, mais pas toutes, ont montré un impact clinique favorable (c'est à dire un service médical rendu aux patients ou SMR) des nouvelles organisations de soins structurées par la télémédecine, tant dans la prévention d'hospitalisations évitables pour décompensation cardiaque, un meilleur suivi des patients porteurs de défibrillateurs implantés, que dans un meilleur contrôle des patients atteints d'hypertension artérielle réfractaire, etc. Cependant, aux USA, seulement 15% des médecins généralistes se sont appropriés les solutions de santé connectée et de télémédecine, notamment pour la télésurveillance médicale des maladies chroniques. Après avoir fait le constat que de grandes études conduites par les médecins spécialistes (TELE-HF, TIM-HF, BEAT-HF), publiées dans des revues scientifiques de renom, n'avaient montré aucun impact sur le taux de rehospitalisations et de mortalité, l'AHA préconise de revoir les organisations de télésuivi pour que les informations transmises par les systèmes de télémonitoring, quels qu'ils soient, soient traitées par les professionnels de santé en temps réel (télésuivi synchrone) et non en temps différé (télésuivi asynchrone).
Ce point est d'autant plus important que des capteurs de pression, positionnés dans les artères pulmonaires et/ou en intracardiaques, se développent (reconnus par la FDA) pour dépister, plusieurs jours avant l'apparition des premiers signes cliniques, les anomalies hémodynamiques qui conduiront in fine à la décompensation cardiaque et à l'hospitalisation. Les premières études font état d'une réduction de 30% des hospitalisations. Plusieurs études sont en cours pour évaluer le coût-efficacité de ces nouvelles solutions de télémonitoring.
L'inégalité d'accès à la thrombolyse à la phase aiguë de l'AVC demeure importante aux USA par insuffisance de développement du téléAVC (téléstroke) dans les zones isolées et les petits hôpitaux dépourvus de neurologues vasculaires. L'AHA recommande aux autorités sanitaires américaines d'intensifier le développement du téléAVC pour réduire les pertes de chance.
Les USA connaissent des freins au développement de la télémédecine dans les domaines juridiques et réglementaires, technologiques et financiers.
La prise en charge financière des pratiques de télémédecine n'est pas uniforme dans tous les Etats américains, que ce soit dans le système Medicare-Medicaid ou chez les assureurs privés. Le principe d'un remboursement existe dans 48 Etats et il n'existe à ce jour aucune initiative politique au plan fédéral pour un niveau de remboursement identique dans tous les Etats, ce que recommande l'AHA.
De même les législations et réglementations sur la santé, différentes entre les Etats, ne favorisent pas la pratique de la télémédecine inter-Etats. Certains Etats exigent le consentement préalable du patient à toute pratique de télémédecine, obtenu lors d'une primo-consultation en face à face, d'autres Etats autorisent la téléconsultation sans consentement préalable et sans primo-consultation. Dans la majorité des Etats, la télémédecine ne peut être pratiquée qu'au sein de l'Etat où patient et médecin résident. Seuls 9 Etats autorisent les médecins à suivre des patients résidant en dehors de l'Etat où exerce le médecin. Un projet fédéral (Congrès américain) d'harmonisation des textes réglementaires de la télémédecine, soutenu par l'AHA, est en cours.
Les pratiques médicales de télémédecine ne sont pas les mêmes d'un Etat à l'autre. L'American Medical Association et l'American Telemedicine Association oeuvrent ensemble pour que les pratiques professionnelles de télémédecine soient homogènes dans tous les Etats. L'AHA appuie cette volonté d'harmoniser les pratiques de télémédecine au niveau fédéral. (on retrouve cette préoccupation en Europe où l'Union européenne s'est donnée l'objectif d'harmoniser les pratiques de télémédecine au niveau des 28 Etats membres d'ici 2020).
Les fournisseurs industriels de systèmes d'information se plaignent d'un développement insuffisant du marché pour assurer une meilleure sécurité et confidentialité des données de santé. Il serait nécessaire d'harmoniser les législations des Etats pour augmenter la taille des systèmes d'information et pouvoir davantage investir dans la sécurité et la confidentialité des données de santé. L'AHA préconise une politique fédérale des SIH.
L'AHA préconise le développement des outils de la santé mobile (smartphone) pour le développement de la télésurveillance des patients atteints de maladies cardiovasculaires chroniques à la condition d'utiliser des messageries sécurisées et de travailler avec des plateformes d'information qui assurent l'hébergement, la sécurité et la confidentialité des données de santé.
Commentaires. Ceux qui pensaient que la télémédecine se développait aux USA sans aucun frein seront probablement surpris par ce rapport 2017 de l'AHA. On rencontre outre-atlantique les mêmes problèmes qu'en Europe, notamment en matière de financement des pratiques de télémédecine. Par contre, la France est probablement en avance avec son cadre juridique et réglementaire que plusieurs pays nous envient ou ont l'intention de copier. Il faut enfin reconnaître que, dans ce paysage international du développement de la télémédecine, la France n'a certainement pas le retard que l'on veut souvent lui faire porter par rapport aux USA. Mais on connait le bashing habituel des français....