Construisons ensemble la médecine du XXIème siècle
Lors de la Journée de Consensus sur la Télémédecine, qui s'est tenue le 9 mars 2023 à l'Académie Nationale de Médecine, parmi les questions à débattre (https://telemedaction.org/422016875/questions-d-battre-en-tlm) figurait celle de l'information et du recueil d'un consentement éclairé de l'usager de la santé qui souhaite accéder à une téléconsultation ou à un télésoin.
Pendant la période d'urgence sanitaire liée à la pandémie Covid-19 (du 20 mars 2020 au 31 juillet 2022), les professionnels de santé, médicaux et non médicaux, pouvaient s'affranchir de cette obligation légale (loi du 4 mars 2002) et réglementaire pour la télémédecine (décret du 19 octobre 2010). La plupart des médecins s'en sont effectivement affranchis comme le révèlent les audits cliniques de l'ANDPC sur les pratiques professionnelles de télémédecine pendant la pandémie.
Une question à débattre au cours de la Journée de consensus était celle de savoir si les droits à l'information et au consentement éclairé des usagers de la santé devaient être rappelés dans les pratiques de la téléconsultation et de télésoin post-Covid-19, comme le recommandait la HAS en mai 2019 avant la pandémie (https://telemedaction.org/437100423/427711074) ainsi que l'Assurance maladie et le CNOM (https://telemedaction.org/432098221/452395661) ?
Le dossier numérique de santé, centré sur le patient, Mon Espace Santé ou MES, mis en ligne par les pouvoirs publics pour tous les citoyens en février 2022, peut-il devenir à terme le "sanctuaire" des pratiques de télémédecine et de télésoin (thème de la Journée de Consensus) (https://telemedaction.org/423570493/mes-santuaire-de-la-t-l-sant) et faire ainsi évoluer les droits et devoirs des usagers de la santé vis à vis des pratiques de télémédecine et de télésoin ? (https://telemedaction.org/437100423/451157384)
La Pr. Lina Williatte, avocate et professeure de droit de la santé à l'Université catholique de Lille propose des pistes de réflexion. Nous en faisons ici le résumé, suivi d'un commentaire.
Les obligations dans le droit français des porteurs et acteurs d'un projet de télésanté sont rappelés.
Le porteur de projet (organisateur, coordinateur, responsable) doit garantir l'authentification des professionnels de santé (PS), l'identification du patient, l'accès du PS aux données du patient, et si nécessaire assurer la formation et/ou la préparation à l'utilisation d'un dispositif numérique de télésanté. Le porteur de projet doit également garantir le respect des référentiels de sécurité et de l'interopérabilité pour l'échange des données de santé personnelles.
L'acteur du projet (professionnel de santé médical, pharmacien, auxiliaire médical) a l'obligation d'informer le patient et de recueillir son consentement. Il est chargé de déterminer la pertinence des pratiques ou activités de télésanté. Il a l'obligation d'établir un compte-rendu de l'acte de télémédecine ou de l'activité de télésoin dans le dossier médical ou de soin professionnel (DPI) et du patient (DMP de MES). Pour la télémédecine, il doit faire figurer dans le compte-rendu les actes et prescriptions effectués, son identité et si nécessaire celles des autres PS ayant participé à l'acte, la date et l'heure de l'acte, les éventuels incidents techniques survenus au cours d'un acte pertinent.
Le porteur et l'acteur du projet doivent respecter les droits découlant du RGPD et de la protection des données (https://telemedaction.org/437100423/448216019). Ils ont l'obligation de former les PS à la pratique de la télésanté et à l'utilisation des solutions numériques. Ils doivent garantir le respect du secret professionnel, c'est à dire la sécurisation des échanges entre PS, la sécurisation des échanges entre PS et patients, ainsi que la sécurisation des données générées par les échanges et leur stockage.
Est-ce que la pratique de la télémédecine modifie les droits et devoirs des PS et des patients ?
Pour éclairer cette question, plusieurs constats sont faits par la juriste :
1er constat : les pratiques de télémédecine et d'une activité de télésoin créent de nouvelles obligations juridiques à la charge des PS. Pour autant, le mécanisme des responsabilités juridiques encourues n'est pas modifié en matière de responsabilité civile, pénale et ordinale.
2ème constat : l'usage par le patient d'une pratique de télémédecine ou d'une activité de télésoin n'est pas générateur de nouveaux droits, mais est à l'origine d'une modification de leurs exercices et des garanties. Or, les droits des patients issus de la loi du 4 mars 2002 n'ont pas été rénovés par les derniers textes relatifs aux pratiques de télésanté (décret du 3 juin 2021). Toutefois, les nouvelles modalités d'exercice professionnel à distance doivent garantir le secret professionnel lorsque des solutions numériques proposées par le "tiers technologique" sont utilisées.
3ème constat : la pratique de la télésanté crée-t-elle des droits au profit des soignants ? Le soignant dispose des mêmes droits concernant la protection des données et il peut exiger d'être en situation de sécurité pour exercer la télésanté. Se pose dès lors la question du droit du soignant à accéder au DMP du patient via MES pour exercer l'acte médical ou la pratique de soins lorsqu'il n'a pas accès aux données du dossier professionnel du médecin traitant. Peut-il s'agir de l'émergence d'une obligation pour le patient d'accorder un droit d'accès au télé médecin, notamment lorsque ce dernier n'est pas le médecin traitant et n'a pas accès aux données de santé figurant dans le DPI (https://telemedaction.org/437100423/451157384) ?
La contrepartie serait pour le professionnel de santé une obligation de garantir des soins de qualité, en toute sécurité et pour le patient d'avoir accès à une pratique de télésanté, en particulier lorsqu'il s'adresse à une plateforme de téléconsultation où le télé médecin n'est pas le médecin traitant et n'a donc pas accès aux données de santé qui figurent dans le DPI.
Dans quelle mesure le patient consent-il à l'acte de téléconsultation, son consentement existe-t-il vraiment ?
Depuis la loi Kouchner du 4 mars 2002, existe une obligation d'information et de consentement éclairé, comme le rappelle l'article L.1111-2 du Code de la santé publique (CSP) : "toute personne a le droit d'être informée sur son état de santé. Cette information porte sur les différentes investigations, traitements ou actions de prévention qui sont proposés, leur utilité, leur urgence éventuelle, leurs conséquences, les risques fréquents ou graves normalement prévisibles qu'ils comportent ainsi que sur les autres solutions possibles et sur les conséquences prévisibles en cas de refus".
Or, selon la juriste, "la télésanté n'est ni un état de santé, ni une investigation, ni un traitement : en effet, un soin ou un acte pratiqué à distance faisant usage des TIC n'entre dans aucune de ces catégories" . La juriste lance ainsi le débat sur le fondement de deux nouveaux constats :
1er constat : la suppression de l'obligation spécifique d'information et de recueil de consentement éclairé (dans le décret du 3 juin 2021) a semé le trouble sur l'exercice du droit au consentement éclairé à une pratique de télésanté (acte de télémédecine, activité de télésoin). Le patient est-il vraiment codécideur d'une pratique de télésanté ? Pour que cela soit, la juriste pense qu'il faudrait que le patient comprenne ce qui lui est proposé et ce qu'implique l'utilisation des TIC sur le respect du secret professionnel, le respect de ses droits en tant que patient et le respect de ses droits consacrés par les lois sur la protection des données de santé personnelles. Et si c'était le cas, qu'il puisse consentir ou refuser de manière éclairée.
Et de rappeler le cadre juridique d'un consentement éclairé : est-ce des notes d'informations et de consentement avec ou non la signature ? Est-ce un clic d'acceptation de CGU (conditions générales d'utilisation) comme cela existe lors de l'accès à une plateforme de rendez-vous médical en téléconsultation ou lors d'une pratique de télésoin ? Est-ce un simple accès (volontaire) à un service de téléconsultation ou de télésoin ? Le patient, lorsqu'il a donné un consentement à une pratique de télésanté, peut-il l'imposer au soignant ?
2ème constat : la télésanté est une forme de pratique médicale ou de soin dont la décision de sa pertinence appartient aux professionnels de santé (https://telemedaction.org/437100423/449707641). On peut en déduire qu'il n'appartient pas au patient d'exiger un acte de télésanté. Le consentement du patient ne concernerait alors que l'accès à la téléconsultation et non pas l'acte de téléconsultation.
Quelques pistes de réflexion sont proposées par la juriste : 1) prendre position sur ce qu'est la télémédecine : un acte médical ? Une modalité d'exercice de l'acte médical ? 2) Former les professionnels et les patients à l'usage du numérique en santé, ce qui pourrait faciliter la compréhension des enjeux de part et d'autre, et dès lors sur l'information et le recueil d'un consentement éclairé. 3) Faire de MES la source principale d'information aussi bien pour le patient que pour le professionnel.
Commentaires. La télémédecine n'est-il que la simple modalité technique d'un acte médical à distance ? la loi HPST du 21 juillet 2009 a défini la télémédecine comme une forme de pratique médicale à distance utilisant les TIC qui permet d'établir un diagnostic.... de requérir un avis spécialisé. Dans cette définition, la télémédecine est bien un mode d'investigation qui permet d'aller jusqu'au diagnostic. Le décret du 19 octobre 2010 en définit les 5 actes qui tous utilisent les TIC. En revanche, si le décret du 3 juin 2021 a effectivement semé le trouble, c'est bien par la réunion sous le terme "télésanté" de la télémédecine et du télésoin. Or, le télésoin est une activité de soin et non un acte médical. Le télésoin ne peut être considéré comme une investigation à visée diagnostique. La confusion est peut-être liée au fait qu'on considère que le télésoin est au pharmacien et aux auxiliaires médicaux ce que la téléconsultation est aux médecins (identité de moyens numériques avec la videotransmission) alors que leur propre finalité est différente.
Pour la téléexpertise, le droit d'un patient à être informé des raisons d'une démarche d'un professionnel de santé auprès d'un expert concernant sa santé ne peut être remis en cause puisque le patient a le choix à travers cette information entre un avis spécialisé à distance donné par l'expert et la consultation en présentiel auprès de ce même expert. Un consentement éclairé est donc nécessaire.
L'appli MES est désormais accessible à tous les citoyens français depuis le début 2022. C'est une démarche régalienne de l'Etat qui reconnaît aux citoyens un engagement fort dans la gestion de leur propre santé. Cette démarche est bien dans la continuité de la loi Kouchner du 4 mars 2002 sur les droits des patients, lesquels sont à notre avis renforcés. MES est un dossier numérique de santé centré sur le patient (https://telemedaction.org/422021881/le-patient-acteur-de-sa-sant) et il permettra à un professionnel de santé de réaliser un acte de télésanté de qualité puisqu'il pourra avoir accès aux données de santé du patient dans MES, données nécessaires pour réaliser un acte de télésanté de qualité. Dans de nombreuses situations de télésanté, il ne peut avoir accès aux données de santé qui figurent dans le DPI du médecin traitant. La juriste a raison de proposer que MES soit la source principale d'information aussi bien pour le patient que pour le professionnel de santé.
4 mars 2023