Construisons ensemble la médecine du XXIème siècle
Les Sociétés savantes ont toujours existé depuis plusieurs siècles, dans les domaines de la physique, des lettres et sciences humaines, de l'art, de l'archéologie, de l'architecture, de la médecine, etc. Elles ont souvent accompagné les innovations scientifiques. Comment évoluent-elles à l'ère du numérique ? Nous ciblons dans ce billet l'évolution des sociétés savantes médicales à l'ère du numérique. Quels rôles jouent-elles ou doivent-elle jouer aujourd'hui pour accompagner la transformation numérique du système de santé ?
La structure PariSanté Campus, qui reproduit en France le très réputé Massachusetts Institute of Technology (MIT) de Boston créé en 1865 aux Etats-Unis, serait-elle l'expression nouvelle d'une société savante de la santé numérique au 21ème siècle ou simplement un incubateur public sur le plan technologique ? L'objectif annoncé permet d'évoquer un rôle qui dépasserait celui du simple incubateur, puisque qu'elle souhaite casser les silos et rassembler sous un même toit les différents acteurs et experts de la filière afin qu’ils se rencontrent, échangent, imaginent et créent la santé de demain (Pr Antoine Tesnière, Directeur de PariSanté Campus). Outre les industriels et les meilleures Start Up françaises triées sur le volet, la structure regroupe cinq organismes publics: l’Inserm (Institut de le recherche médicale), l’université PSL (Paris Sciences et Lettres), l’Inria (Institut de recherche en sciences et technologies du numérique), le Health Data Hub, et l’Agence du numérique en santé.
Comment sont apparues les Sociétés savantes au fil des siècles ?
Une société savante est une association qui regroupe les scientifiques d’une discipline. Les sociétés savantes existent dans la plupart des pays développés depuis les XVIIe et XVIIIe siècles, voire avant pour certaines d’entre elles, la plus ancienne en Europe étant l’Académie des jeux floraux fondée en 1323 et reconnue en 1694 comme société savante par Louis XIV. À l’origine, les Sociétés savantes rassemblaient les spécialistes d’un domaine scientifique pour partager les réflexions et résultats des travaux conduits par ses membres.
Elles publiaient très souvent des revues ou des bulletins. C’est en 1834 que François Guizot, alors ministre de l’Instruction publique, crée le Comité des travaux historiques et scientifiques (CTHS) rattaché à l’École nationale des chartes, avec pour objectif de « diriger les recherches et les publications de documents inédits à l’aide de fonds votés au budget de l’État ». Une de ses missions sera d’établir l’annuaire des Sociétés savantes de France et de coordonner leurs travaux. En 2004, on recensait en France 129 sociétés savantes médicales, régionales et nationales.
Aujourd’hui, les Sociétés savantes occupent une place importante dans la gestion des savoirs qu’elles partagent avec d’autres organismes ou institutions (universités, agences, sociétés de communication, autres associations de professionnels). Cette fonction est importante dans une société où la science joue un rôle sans cesse croissant (applications technologiques, découvertes médicales, etc.) et où les décisions politiques doivent s’appuyer sur un état solide des connaissances (santé, environnement, climat, etc.). La qualité et la fiabilité de cette gestion du savoir, à l’heure où la désinformation sait se saisir des possibilités offertes par Internet, représentent un enjeu de société important vis-à-vis duquel les Sociétés savantes ont un rôle à jouer. (Wikipédia)
Que produisent les Sociétés savantes dans les domaines de l'e-santé et de la télésanté ?
La période de la pandémie à la Covid-19 restera dans l'histoire celle de l'accélération du développement de solutions numériques pour permettre la continuité des soins pendant les périodes de confinement. De nombreuses sociétés savantes médicales ont publié à partir de 2020 des guidelines de pratiques de télésanté dans différentes spécialités.
Mais le mouvement avait commencé bien avant la pandémie, avec en particulier les premières recommandations élaborées en 2006 dans une charte de bon usage de la téléradiologie. Ces recommandations furent faites par le Conseil National Professionnel (CNP) de la radiologie, regroupant la Société Française de Radiologie, les deux principaux Syndicats de la profession et le Conseil National de l'Ordre des Médecins. La dernière mise à jour date du 14 avril 2020. https://www.conseil-national.medecin.fr/publications/editions/charte-teleradiologie. S'inspirant du travail du G4, la HAS publiait en juin 2019 un guide de bonnes pratiques de la téléimagerie. https://www.thema-radiologie.fr/actualites/2417/teleimagerie-la-has-elabore-un-guide-de-bonnes-pratiques.html
Les recommandations de la HAS et de la Société Française de Dialyse sur les bonnes pratiques de la télémédecine en dialyse, publiées en janvier 2010. https://www.has-sante.fr/jcms/c_914168/fr/unites-de-dialyse-medicalisees-la-haute-autorite-de-sante-rend-ses-recommandations-sur-les-conditions-de-mise-en-oeuvre-de-la-telemedecine
Une charte de la télécardiologie appliquée à la télésurveillance des stimulateurs et défibrillateurs implantés fut publiée en janvier 2012 par de CNP de cardiologie (CNPC) regroupant la Société Française de Cardiologie, le Syndicat National des Spécialistes des maladies du Coeur et des Vaisseaux et le CNOM. https://www.apmnews.com/freestory/10/221701/les-cardiologues-elaborent-une-charte-pour-la-telesurveillance-des-stimulateurs-et-defibrillateurs. Une nouvelle version actualisée fut publiée en octobre 2019 par le même CNPC. https://www.sfcardio.fr/sites/default/files/2019-11/Guide%20de%20bonnes%20pratiques%20de%20t%C3%A9l%C3%A9surveillance%20des%20dispositifs%20cardiaques%20implantables%20en%20France
Les guidelines de la Société Européenne de Cardiologie pour le suivi des patients atteints d'insuffisance cardiaque ont été publiés en 2019. Nous les avons déjà commentées dans un précédent billet. (http://www.telemedaction.org/452274576)
Clinical practice update on heart failure 2019: pharmacotherapy, procedures, devices and patient management. An expert consensus meeting report of the Heart Failure Association of the European Society of Cardiology. Seferovic PM, Ponikowski P, Anker SD, Bauersachs J, Chioncel O, Cleland JGF, de Boer RA, Drexel H, Ben Gal T, Hill L, Jaarsma T, Jankowska EA, Anker MS, Lainscak M, Lewis BS, McDonagh T, Metra M, Milicic D, Mullens W, Piepoli MF, Rosano G, Ruschitzka F, Volterrani M, Voors AA, Filippatos G, Coats AJS.Eur J Heart Fail. 2019 Oct;21(10):1169-1186. doi: 10.1002/ejhf.1531. Epub 2019 Aug 30.PMID: 31129923.
Les guidelines de l'American Academy of Neurology sur le télé-AVC, précisant son organisation et les bonnes pratiques, publiées en 2016 et que nous avons commentés sur ce site. (http://www.telemedaction.org/431892210)
Wechsler LR, Demaerschalk BM, Schwamm LH, Adeoye OM, Audebert HJ, Fanale CV, Hess DC, Majersik JJ, Nystrom KV, Reeves MJ, Rosamond WD, Switzer JA; American Heart Association Stroke Council; Council on Epidemiology and Prevention; and Council on Quality of Care and Outcomes Research. Telemedicine Quality and Outcomes in Stroke: A Scientific Statement for Healthcare Professionals From the American Heart Association/American Stroke Association. Stroke. 2016 Nov 3. pii: STR.0000000000000114
Enfin, rappelons le travail réalisé par le CNP de la médecine générale (CMG) en France sur les cas d'usage de la téléconsultation, dont nous avons commenté sur ce site l'excellent livre publié en octobre 2021. (http://www.telemedaction.org/451751711)
La période de la pandémie a donné lieu à la publication de plusieurs guidelines dans la littérature internationale. Nous en citons quelques-unes.
Les guidelines américaines pour l'oto-rhino-laryngologie qui précisent le rôle essentiel des assistants chirurgicaux dans l'organisation des téléconsultations par videotransmission.
Guidelines for Resident Participation in Otolaryngology Telehealth Clinics During the COVID-19 Pandemic. Plocienniczak MJ, Noordzij JP, Grillone G, Platt M, Brook C.Otolaryngol Head Neck Surg. 2020 Sep;163(3):498-500. doi: 10.1177/0194599820932133. Epub 2020 Jun.
Les guidelines indiennes sur la télésurveillance des patients atteints de diabète. Des recommandations générales sont d'abord données, telles que le respect de la vie privée, la confidentialité des données de santé, le consentement implicite ou explicite du patient qui sollicite un acte de télémédecine, l'obligation de requérir à une consultation présentielle lorsque la téléconsultation n'est pas pertinente.
Sont précisés ensuite les éléments essentiels qui doivent être recueillis pour connaître les antécédents du patient
diabétique, la manière de réaliser un examen clinique virtuel, en particulier lorsqu'il existe des ulcérations et plaies chroniques ou l'évaluation de troubles neurologiques. Enfin les prescriptions médicales et les
conseils qui doivent être tracés dans le dossier électronique du patient.
Telemedicine for diabetes care in India during COVID19 pandemic and national lockdown period: Guidelines for physicians. Ghosh A, Gupta R, Misra A.Diabetes Metab Syndr. 2020 Jul-Aug;14(4):273-276. doi: 10.1016/j.dsx.2020.04.001. Epub 2020 Apr 4.PMID: 32283497.
Les guidelines pour la télédermatologie en Australie à travers 31 recommandations. Sans les reprendre toutes, on note que la Société australienne de dermatologie demande que seuls les professionnels de santé formés à la télédermatologie pratiquent cette télémédecine.
La confidentialité des données de santé, le respect de la vie privée des personnes, le consentement après une information claire sur les bénéfices et les risques de la télédermatologie sont rappelés. La pertinence ou non de l'examen dermatologique à distance est souligné. Elle relève de la responsabilité du professionnel de santé. Enfin, tout acte médical de dermatologie réalisé à distance doit être tracé dans le dossier électronique du patient.
Practice guidelines for teledermatology in Australia. Abbott LM, Miller R, Janda M, Bennett H, Taylor M, Arnold C, Shumack S, Soyer HP, Caffery LJ.Australas J Dermatol. 2020 Aug;61(3):e293-e302. doi: 10.1111/ajd.13301. Epub 2020 May 3.PMID: 32363572 .
Les guidelines 2022 de la Ligue Européenne contre les Rhumatismes (EULAR). Ces recommandations ont été élaborées par un groupe de 30 experts issus des Sociétés savantes de 14 pays européens.
Une revue systématique de la littérature a été menée pour aider le groupe de travail à formuler des recommandations. Le niveau d’accord entre les membres du groupe de travail a été établi par le vote anonyme en ligne.
Quatre principes généraux et neuf recommandations ont été formulés. L’utilisation de la télésanté doit être adaptée aux besoins et aux préférences du patient. L’équipe de soins doit avoir l’équipement et la formation adéquats, avoir des compétences en télécommunication. La télésanté peut être utilisée dans le dépistage des maladies rhumatismales et musculosquelettiques (RMD) comme première évaluation dans le processus d’orientation des malades, pour la surveillance de la maladie et la régulation des dosages de médicaments et pour certaines interventions non-pharmacologiques. Les personnes atteintes de RMD doivent recevoir une formation sur l’utilisation de la télésanté, et les obstacles être éliminés dans la mesure du possible. Le niveau d’accord pour chaque énoncé variait de 8,5 à 9,8/10.
2022 EULAR points to consider for remote care in rheumatic and musculoskeletal diseases. de Thurah A, Bosch P, Marques A, Meissner Y, Mukhtyar CB, Knitza J, Najm A, Østerås N, Pelle T, Knudsen LR, Šmucrová H, Berenbaum F, Jani M, Geenen R, Krusche M, Pchelnikova P, de Souza S, Badreh S, Wiek D, Piantoni S, Gwinnutt JM, Duftner C, Canhão HM, Quartuccio L, Stoilov N, Prior Y, Bijlsma JW, Zabotti A, Stamm TA, Dejaco C.Ann Rheum Dis. 2022 Apr 25:annrheumdis-2022-222341. doi: 10.1136/annrheumdis-2022-222341.
Quelles perspectives françaises à la sortie de la période pandémique ?
Les Conseils Nationaux Professionnels (CNP) inscrits au Code de la santé publique (CSP) ont pour rôle d'accompagner l'ANDPC dans les programmes de formation continue des professionnels de santé médicaux, des pharmaciens et des auxiliaires médicaux. L'arrêté du 20 août 2019 portant la liste des CNP en a retenus 48 pour les professionnels médicaux et 17 pour les pharmaciens et les 17 professions d'auxiliaires médicaux. (https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000038937721/)
Leur mission est précisée dans le CSP aux articles R4021-1 et suivants. Parmi les missions précisées à l'article D4021-2 figure la mission suivante : les CNP proposent les missions prioritaires de développement professionnel continu (DPC). Force est de constater qu'avant la pandémie, peu de CNP médicaux considéraient la télémédecine comme une priorité de la formation continue. (http://www.telemedaction.org/433143264)
En sera-t-il autrement à la sortie de la pandémie pour aider les professionnels à s'approprier les bonnes pratiques de la télésanté ? ( http://www.telemedaction.org/452026585) On peut l'espérer à l'instar de ce que font d'autres pays qui ont tiré les leçons des pratiques de télésanté pendant la crise Covid-19. (http://www.telemedaction.org/452084332) ( http://www.telemedaction.org/450415051)
Si la HAS a déjà défini avant la pandémie les bonnes pratiques de télémédecine en juin 2019 et les bonnes pratiques de télésoin en juin 2021 (https://www.has-sante.fr/jcms/c_2971632/fr/teleconsultation-et-teleexpertise-guide-de-bonnes-pratiques) (https://www.has-sante.fr/jcms/p_3261198/fr/telesoin-les-bonnes-pratiques#:~:text=Pour%20r%C3%A9aliser%20un%20t%C3%A9l%C3%A9soin%20dans,%C3%A9ventuels%20exercices%20ou%20examens%20pr%C3%A9vus.), il revient aux CNP de définir les cas d'usages des pratiques de télésanté dans chaque spécialité, comme l'ont déjà fait pour la télémédecine il y a quelques années les CNP d'imagerie médicale, de cardiologie et de néphrologie. (http://www.telemedaction.org/450667818)
Quel pourrait être la place de PariSanté Campus au côté des Sociétés savantes ?
L'apparition de cette structure dans le paysage de la santé numérique conduit à s'interroger sur le rôle qu'elle pourrait jouer, non seulement dans l'accompagnement des innovations en solutions d'e-santé, mais aussi dans les pratiques professionnelles innovantes qui utiliseraient ces solutions. PariSanté Campus a l'ambition de créer la santé de demain, mais elle ne peut le faire sans une collaboration étroite avec les Sociétés savantes de santé. Si les innovations technologiques portent indiscutablement cette ambition, les innovations organisationnelles, probablement plus complexes à mettre en oeuvre, ne peuvent être ignorées. (http://www.telemedaction.org/447931078)
C'est le rôle des Sociétés savantes de porter les innovations organisationnelles en santé numérique en précisant les bons usages. Ces nouvelles organisations découlent des besoins en santé publique et des demandes des citoyens. Les technologies innovantes doivent être coconstruites avec les professionnels de santé et les patients pour répondre à ces besoins et demandes. (http://www.telemedaction.org/425553255) (http://www.telemedaction.org/425559007)
C'est donc une alchimie nouvelle qu'il convient de mettre en place, intégrant le fameux trépied gagnant qui réunit les industriels, les patients et les professionnels. PariSanté Campus ne peut se passer des Sociétés savantes et ces dernières doivent travailler avec PariSanté Campus pour créer la santé de demain.
3 mai 2022