Construisons ensemble la médecine du XXIème siècle
Lorsqu'un juge demande une expertise après un accident médical, il y a toujours cette question à laquelle l'expert médical doit s'efforcer de répondre : dire si les soins ont été consciencieux, attentifs et conformes aux règles de l'art et aux données acquises de la science médicale à l'époque où ils ont été dispensés.
Lorsque l'accident médical survient dans une pratique de la télémédecine, que peut répondre le médecin expert a cette question ?
Un accident médical crée un préjudice à une personne malade et le juge souhaite indemniser la victime. Cette indemnisation est assurée soit par la solidarité nationale si l'accident relève d'un aléa thérapeutique ayant créé une IPP d'au moins 25%, soit par l'assurance en responsabilité civile du medecin qui aura commis une faute.
La faute médicale est, soit d'ordre technique lorsque la pratique mise en cause et en lien direct avec l'accident médical s'est éloignée de la pratique habituelle
du plus grand nombre de médecins, considérée alors comme l'état de l'art médical au moment de l'accident, soit d'ordre éthique lorsque le respect des droits du patient à recevoir une information
claire et appropriée sur les bénéfices et risques de la pratique médicale en cause n'a pas été respectée. On considère alors qu'il y a eu une perte de chance puisque la personne n'a pas été
en mesure de donner un consentement éclairé à la pratique médicale en question.
Il est intéressant d'appliquer ce raisonnement juridique à la pratique innovante de la télémédecine.
Confronté à un accident médical en lien direct avec une pratique de la télémédecine, le médecin expert cherchera d'abord l'éventuelle faute éthique, à savoir si l'obligation d'information sur cette nouvelle pratique médicale a bien été respectée, comme le demande le décret de télémédecine du 19 octobre 2010, c'est à dire si l'information a porté à la fois sur les bénéfices et sur les risques de la télémédecine pour le patient concerné. L'obligation d'informer un patient sur un acte médical s'applique à toutes les pratiques de la médecine et pas seulement à la télémédecine. C'est une obligation déontologique (art. R.4127-35 du CSP). Compte tenu de la particularité de la relation entre le médecin et son patient en télémédecine, l'information doit porter aussi sur les conditions technologiques de réalisation de cette pratique. Pour un médecin, l'obligation d'informer est devenue légale depuis la loi Kouchner du 4 mars 2002, rappelée dans une jurisprudence de la Cour de Cassation (1ère civile) du 3 juin 2010.
Donnons quelques exemples pour illustrer ce premier point.
Les plateformes de téléconseil médical personnalisé se développent de plus en plus à l'initiative des complémentaires de santé et des assureurs. La pratique du téléconseil est à haut risque car le médecin doit émettre un conseil ou une orientation sur la base des seules données fournies par l'appelant. Il n'a pas accès à un dossier médical si l'appelant a une maladie chronique. Il ne connait pas l'appelant. Il ne peut l'examiner physiquement. Il ne peut donc qu'évoquer un diagnostic sans pouvoir le confirmer. Et son expérience médicale comptera beaucoup dans le conseil qu'il délivrera. Le risque d'erreur médicale est beaucoup plus élevé que dans une pratique médicale classique. Il est donc important que l'organisateur de cette plateforme fasse une information complète, à la fois sur les bénéfices de cette pratique, aujourd'hui plébiscitée par nos concitoyens, mais également sur les risques d'une erreur médicale. En cas d'accident médical lié à un téléconseil mmédical personnalisé, l'expert médical devra dire au juge si l'information sur les bénéfices et les risques de cette pratique a bien été faite par l'organisateur de la plateforme de téléconseil.
A une période où les médias véhiculent souvent des informations inexactes ou erronées sur les pratiques de la télémédecine, comme par exemple celle qu'une cabine de télémédecine peut remplacer un médecin dans les déserts médicaux, il est important que les bénéficiaires de ces organisations innovantes soient clairement informés des limites de ces nouvelles pratiques. Préciser notamment que l'usage d'une cabine de téléconsultation installée dans une pharmacie ou dans un EHPAD doit être intégré à un parcours de soins décrit dans un projet médical consensuel intégrant ces pratiques nouvelles de télémédecine. Ces cabines peuvent également servir en situation d'urgence (non vitale) au téléconseil médical personnalisé si elles sont reliées à des plateformes dédiées à ce service.
En résumé, toute pratique de télémédecine doit faire l'objet d'une information préalable précisant les bénéfices attendus et les risques possibles, notamment ceux déjà décrits dans la littérature médicale scientifique qui regroupe "les données actuelles de la science médicale".
La recherche d'une faute technique est plus difficile, car la pratique médicale relève d'une obligation de moyens et non de résultats. Cependant, il est possible que la faute technique soit plus souvent reconnue en télémédecine que dans un exercice traditionnel. En effet, l'irruption des dispositifs médicaux communicants, des objets connectés et des applications mobiles de santé dans les pratiques de télémédecine rend possible la faute technique. Donnons quelques exemples.
Dans une pratique de télémédecine, le médecin reste maître de sa prescription. S'il prescrit un objet connecté ou une application mobile dont la fiabilité n'est pas démontrée et qu'un accident médical découle de ce manque de fiabilité, le médecin prescripteur engagera sa responsabilité, même s'il peut se retourner ensuite contre le fabricant de cet objet ou de cette application mobile. L'expert médical cherchera à savoir si l'objet connecté ou l'application mobile en question fait partie "des données acquises de la science médicale" à l'époque où l'accident a eu lieu. Une application mobile qui délivre des doses d'insuline à un patient diabétique peut être dangereuse si la fiabilité de son algorythme n'est pas démontrée. Le médecin a l'obligation de vérifier si un objet connecté ou une application mobile a obtenu le label de "dispositif médical" qui garantit la fiabilité du produit et protège ainsi le médecin prescripteur.
En télédermatologie, il est devenu courant de prendre une photo avec son smartphone et de l'adresser à son dermatologue correspondant. Le risque d'erreur d'interprétation n'est pas nul et les sociétés savantes de dermatologie française et internationale ont défini des conditions de prise de photo dermatologique pour que l'interprétation soit optimale. Si un accident médical était lié à un diagnostic erroné d'une image transmise, l'expert médical chercherait à savoir si la photo a bien été prise dans les conditions recommandées par les sociétés savantes de dermatologie.
La télésurveillance médicale au domicile de patients atteints de maladies chroniques s'appuie sur des services de télémonitoring qui proposent des plateformes de télésuivi dont les algorythmes peuvent être de qualité variable ou ne pas correspondre aux usages et aux attentes des médecins. Il importe là aussi que le médecin impliqué dans une organisation de télésurveillance médicale ait une pleine connaissance des risques éventuels de défaillance des algorythmes, afin qu'il puisse en informer les patients soumis à ce mode de télésurveillance. Si la défaillance d'un algorythme de télémonitoring est à l'origine d'un accident médical, l'expert médical cherchera à savoir si le médecin connaissait bien les limites de cet algorythme et s'il en tenait compte dans sa pratique de télésurveillance, ou s'il a co-construit cet algorythme avec l'industriel qui promeut ce service de télémonitoring. Il pourra bien évidemment se retourner contre l'industriel, mais c'est vers le médecin que la victime de l'accident médical se retournera en premier.
La faute technique peut être aussi secondaire à une pratique défectueuse de la télémédecine. La seule jurisprudence en télémédecine concerne une pratique défectueuse de la téléradiologie qui a été jugée en 2010 par le tribunal administratif de Grenoble. Il s'agissait d'un accident médical ayant entrainé le déces d'un jeune patient. Le neurochirurgien à qui les clichés du scanner cérébral avaient été transmis n'avait pas reçu la totalité des images, dont les dernières montraient l'urgence d'une intervention neurogicale. Le juge a reproché à l'expert neurochirurgien de ne pas avoir réclamé les clichés manquants. L'expert médical, qui a été commis par le juge pour cet accident médical, a eu de plus beaucoup de difficultés à reconstituer les pratiques médicales, car il n'y avait aucune traduction dans le dossier médical du patient des nombreux échanges téléphoniques entre le médecin urgentiste du petit établissement et le neurochirurgien du CHU. Finalement les deux établissements publics ont été condamnés "in solidum".
Qui doit établir les règles de l'art de la télémédecine ?
Le droit définit un cadre réglementaire d'exercice professionnel. C'est le cas pour la télémédecine avec le décret du 19 octobre 2010. Celui-ci n'est pas obsolète, mais doit évoluer en prenant en compte le développement de la télémédecine en 2016 (cf les précédents billets sur ce sujet dans l'onglet "edito de semaine)). L'organisation prévue au 3ème chapitre du décret ne garantit pas que la télémédecine sera pratiquée dans les règles de l'art. C'est à la profession médicale de définir les bonnes pratiques de la télémédecine. Les radiologues l'ont fait dès 2007 à travers leur Conseil National Professionnel de la Téléradiologie (G4) et avec le CNOM. Tous les Conseils Nationaux Professionnels de Spécialités qui ont des applications de télémédecine se doivent de définir les règles de l'art de la télémédecine en s'appuyant sur les données actueles de la science médicale.