Construisons ensemble la médecine du XXIème siècle
Qu'est qu'une CPTS ? On trouve la définition suivante sur le site ameli.fr de l'Assurance maladie : "Une communauté professionnelle territoriale de santé (CPTS) est une organisation conçue autour d'un projet de santé et constituée à l'initiative des professionnels de santé sur un territoire donné défini par les professionnels eux-mêmes. Elle est composée notamment de professionnels de santé et d'acteurs médico-sociaux et sociaux."
L'accord conventionnel interprofessionnel signé le 20 juin 2019 entre les syndicats représentatifs des différentes professions de santé et l'Assurance maladie est entré en vigueur le 25 août 2019. Cet accord apporte un soutien financier aux CPTS afin de favoriser la coordination entre professionnels de santé. A la date de rédaction de ce billet, environ 100 CPTS ont été créées et plus de 600 sont en cours de création. L'objectif de la Ministre de la santé est qu'environ 2000 CPTS soient mises en place dans les territoires d'ici 2022.
Les CPTS sont destinées à répondre à plusieurs défis : 1) aider les soins de ville à mieux se structurer pour faire face aux enjeux du virage ambulatoire, de la démographie médicale et de la croissance des maladies chroniques ; 2) lutter contre le sentiment d'isolement de certains professionnels de santé, améliorer l'exercice coordonné insuffisamment développé et défaire le cloisonnement entre les professionnels de santé de ville et l'hôpital.
Concernant la télémédecine, en particulier la téléconsultation, un paragraphe est consacré dans l'avenant 6 de la Convention médicale, publié au JORF le 1er août 2018, aux organisations territoriales dont font partie les CPTS.
Ce paragraphe de l'avenant 6 (article 28.6.1.2) précise que dans le cadre de la mise en place d'organisations territoriales, pour le recours aux téléconsultations sans orientation par le médecin traitant, les organisations territoriales que sont les CPTS, les équipes de soins primaires (ESP), les maisons de santé pluriprofessionnelles (MSP), les centres de santé (CDS) ou toute organisation territoriale qui se propose d'organiser une réponse en télémédecine de manière coordonnée et ouverte à tous les professionnels de santé du territoire, toutes ces organisations territoriales doivent permettre aux patients : 1) d'être pris en charge rapidement compte tenu de leurs besoins en soins ; 2) d'accéder à un médecin, par le biais notamment de la téléconsultation, compte tenu de leur éloignement des offreurs de soins ; 3) d'être en mesure dans un second temps de désigner un médecin traitant pour leur suivi au long cours et réintégrer ainsi le parcours de soins.
Voyons, sur le plan pratico-pratique, comment les pratiques de télémédecine et du télésoin, peuvent être utiles aux missions prioritaires des CPTS. Partons d'un exemple inspiré d'une situation réelle.
Le départ en retraite d'un médecin généraliste qui avait en charge 35 résidents dans un Ehpad
Le médecin généraliste, âgé de 68 ans, part en retraite. Il n'a pas trouvé de remplaçant. Il travaillait dans un cabinet de groupe de 4 médecins, sans projet médical partagé pour l'ensemble de la patientèle du groupe. Outre sa patientèle de ville, ce médecin suivait 35 résidents d'un Ehpad de 100 places dont l'âge moyen est de 87 ans et qui cumulent en moyenne 7 maladies chroniques (troubles cognitifs, hypertension artérielle, insuffisance cardiaque, diabète, BPCO, insuffisance rénale, cancer). Il était également le médecin coordonnateur de cet Ehpad. Le taux d'hospitalisation annuel dans cet établissement est de 45%, soit près d'un résident sur deux qui est hospitalisé chaque année.
La couverture médicale de l'Ehpad est assurée par 13 autres médecins, dont l'un assure également le suivi de 35 résidents et les 12 autres des 30 autres résidents. La direction de l'établissement a demandé aux 13 médecins s'ils acceptaient de se répartir les 35 résidents désormais sans médecin traitant, soit 2 à 3 résidents en plus par médecin. La réponse fut négative au motif que la saturation de leur activité ne leur permettait pas de prendre de nouveaux patients.
La direction de l'Ehpad se retourne alors vers l'ARS et l'institution ordinale (CDOM) du territoire concerné. Le CDOM, sur la base du Code de déontologie en vigueur, ne peut obliger les médecins qui interviennent dans cet Ehpad à se répartir les 35 patients, même si l'institution ordinale pense que ce serait la solution la plus simple et la plus facile à mettre en place. En revanche, sur la base des articles R.4127-9 et R.4127-47 du code de déontologie, l'institution ordinale rappelle aux 13 médecins de cet Ehpad qu'ils ne peuvent refuser de se déplacer si une situation d'urgence leur était signifiée par téléphone par une infirmière de l'établissement, en particulier une situation d'urgence touchant l'un ou l'une des 35 résidents sans médecin traitant. S'ils conseillaient à l'infirmière d'appeler directement le Samu Centre 15, informés qu'ils sont de la situation d'urgence, peut-être vitale, ce serait à eux d'assurer la continuité des soins avec le médecin du Samu jusqu'à l'arrivée du Smur.
L'ARS informe la direction de l'Ehpad qu'une CPTS est en cours de constitution dans le territoire, sur le point de passer convention avec elle et la CPAM de ce territoire. La situation médicale de l'Ehpad relève, selon l'ARS, des missions de cette nouvelle CPTS.
Les missions mises en oeuvre par la nouvelle CPTS
Comment est constituée cette CPTS à sa création ? La représentation médicale au sein de la CPTS est limitée au représentant de l'URPS et à un médecin de l'hôpital du territoire, délégué par la CME de l'établissement. Les autres professions de santé ayant rejoint la communauté sont des pharmaciens, des infirmières libérales, des masseurs-kinésithérapeutes, des aides-soignantes, des sages-femmes, des orthoptistes, des orthophonistes, des opticiens, des diététiciens, des podologues.
Comment la nouvelle CPTS traite-t-elle la demande de l'Ehpad ? C'est pour elle un peu le baptême du feu. Plusieurs solutions, pouvant être complémentaires, sont discutées. La communauté est unanime pour considérer qu'il y a urgence à trouver une solution, car ces 35 résidents sont de grands malades et qu'il est obligatoire de leur porter assistance. Ils ont besoin d'être suivis régulièrement, au moins une fois par mois, pour prévenir les complications à l'origine d'hospitalisations à répétition.
L'évaluation des ressources médicales disponibles sur le territoire est entreprise. Avec l'aide du représentant de l'URPS, trois jeunes médecins récemment installés en MSP, et deux médecins âgés de plus de 60 ans en exercice isolé, sur les 54 médecins généralistes du territoire, disposent d'un temps professionnel leur permettant de prendre en charge quelques résidents de l'Ehpad. Aucun médecin généraliste exerçant dans l'environnement immédiat de l'Ehpad n'a répondu favorablement à la demande du représentant médical de la CPTS.
Les 5 médecins qui acceptent de se partager les 35 résidents exercent à plus de 20 km de l'Ehpad. Généralement, le degré de handicap d'un résident d'Ehpad justifie que le suivi médical se fasse par des visites "au domicile" des résidents (l'Ehpad est un substitut de domicile), plutôt que par des consultations présentielles. Il est en effet difficile de demander à ces 5 médecins volontaires de faire une visite médicale régulière des résidents de l'Ehpad avec un temps de trajet aller-retour d'environ une heure minimum si la circulation est fluide. Difficile également de demander le transport en ambulance, en position allongée sur brancard, au cabinet médical pour une consultation présentielle. De plus, la plupart de ces résidents non autonomes nécessitent l'accompagnement d'un soignant de l'établissement.
Une des missions prioritaires de la CPTS est de faciliter l'accès aux soins au sein du territoire. Trois missions prioritaires figurent dans l'accord conventionnel du 20 juin 2019 : l'amélioration de l'accès aux soins, l'organisation du parcours des patients et le développent de la prévention au sein du territoire.
Pour faciliter l’accès à un médecin traitant, la CPTS fait, en lien avec l’Assurance maladie, le recensement des patients qui n'ont pas de médecin traitant. Elle détermine le degré de priorité du patient au regard de ses besoins de santé. Les professionnels de la CPTS déterminent ensuite qui, au sein de leur communauté, est en capacité d’assurer le suivi de nouveaux patients. Ainsi, les patients sans médecin traitant se tournent vers la CPTS pour être aidés dans leur recherche.
Le problème, comme le montre cette nouvelle CPTS au moment de sa constitution, est le faible engagement des médecins libéraux dans ces communautés territoriales malgré l'invitation de leurs représentants syndicaux. Les médecins hospitaliers, à travers l'engagement de la CME, ont désigné un représentant et veulent contribuer aux missions de la CPTS pour améliorer la continuité des soins entre la ville et l'hôpital. Pour l'Ehpad en difficultés, les 5 médecins libéraux volontaires pour d'intervenir auprès des 35 résidents répondent favorablement à la demande du représentant de l'URPS de rejoindre la communauté professionnelle territoriale.
Une autre mission de la CPTS est l'accès aux soins non programmés. S'agissant des demandes de consultations non programmées pour les résidents d'Ehpad, le rôle de l'infirmier(e) d'Ehpad est essentiel. Il (elle) peut intervenir très en amont d'une situation d'urgence qui généralement nécessite un examen physique et souvent le transfert à l'hôpital. La gestion d'une demande de soins non programmée, en dehors d'une situation d'urgence, peut bénéficier des solutions de télémédecine.
La construction d'un parcours de soins coordonné pour les résidents de l'Ehpad en difficultés avec les moyens de la télémédecine et du télésoin.
Il est évident que la réponse aux besoins des 35 résidents qui n'ont plus de médecin traitant doit être adaptée aux possibilités d'intervention des médecins qui se sont portés volontaires et des infirmiers de l'établissement qui acceptent de revoir leur organisation. Les moyens numériques peuvent aider à construire ce nouveau parcours.
Les besoins programmés et non-programmés sont distingués. La coordination entre trois professions de santé est organisée pour que la solution mise en place devienne pérenne : médecin (libéral traitant, libéral spécialiste, hospitalier spécialiste), pharmacien, infirmier(e)s et cadre d'Ehpad.
En l'absence de médecin coordonnateur, le cadre infirmier de l'Ehpad a un rôle renforcé dans la coordination des soins délivrés aux résidents. L'Ehpad doit permettre aux infirmiers et infirmières d'échanger avec les médecins traitants par messagerie sécurisée de santé (MSS). Les médecins acceptent de recevoir ces messages et d'y répondre dès qu'ils le peuvent dans la journée. Il est précisé qu'un besoin urgent d'avis médical ne doit pas être traité par MSS, mais par téléphone.
Les médecins de l'Ehpad acceptent de pratiquer la téléconsultation programmée, alternativement à des visites en présentiel. Sur la base d'une consultation médicale chaque mois, deux sur trois se feront par téléconsultation, les médecins s'engageant à venir une fois par trimestre en présentiel sur place à l'Ehpad faire une visite médicale à leurs résidents. Le choix du prestataire du service d'e-santé pour une pratique de la téléconsultation au niveau du territoire est discuté au sein de la CPTS, à la lumière du cahier des charges établi en concertation avec les médecins traitants utilisateurs et les représentants de l'Ehpad bénéficiaire.
La prestation technique souhaitée intègre la prise de rendez-vous, la préparation technique de la téléconsultation (vérification de la qualité du réseau numérique), la réalisation de la téléconsultation par videotransmission (obligation légale), l'usage de certains objets connectés (IoT), la possibilité d'accéder pendant la téléconsultation au dossier médical professionnel et à celui de l'établissement lorsqu'il est informatisé, enfin, la procédure de remboursement de l'acte par transfert direct à l’Assurance maladie à la fin de la téléconsultation.
Une procédure opérationnelle simple, mais précise, est validée entre les médecins téléconsultants, le cadre infirmier coordonnateur et les infirmiers(es) de l’Ehpad, le pharmacien qui reçoit la e-prescription. Cette procédure vaut pour le médecin « convention de télémédecine » qu’il fera valider par le CDOM du territoire et par son assurance en responsabilité civile. Les instances de l’Ehpad valident cette procédure opérationnelle pour les infirmiers, les infirmières et le cadre coordonnateur, ainsi que pour la pharmacie qui délivre les médicaments à l’Ehpad.
La demande d'une téléconsultation non programmée en Ehpad est traitée à part. Elle peut concerner les médecins traitants de l'Ehpad grâce au système de rendez-vous différé, lequel permet au médecin, alerté d'une demande, de s'organiser dans la journée ou dans les deux jours pour y répondre, lorsque la MSS ne s'avère pas suffisante pour résoudre le problème médical et qu'il est nécessaire d'échanger directement avec le patient en présence de l'infirmière. Il ne peut s'agir d'une demande d'urgence vitale qui reste la mission du Samu Centre 15.
Elle peut concerner également une plateforme territoriale d'appui (PTA) que la CPTS envisage de mettre en place pour la période de permanence des soins, notamment les week-ends et les jours fériés. Cette plateforme peut servir d'orientation pour la réalisation d'une téléconsultation non programmée, en particulier dans les pharmacies équipées pour la téléconsultation.
Le télésoin est devenu légal par la loi Ma santé 2022, promulgué en août 2019. Il se pratique par videotransmission pour des patients déjà connus du pharmacien ou de l’auxiliaire médical. Les décrets d’application du télésoin sont en attente de publication. Le télésoin s’applique aujourd’hui aux pharmaciens et aux auxiliaires médicaux.
L’intérêt du télésoin en Ehpad viendra en premier lieu des infirmiers et infirmières ayant un DU de plaies chroniques qui pourront intervenir à distance pour conseiller leurs collègues confrontées à des plaies chroniques et complexes chez des résidents d’Ehpad. L'unité territoriale de suivi des plaies chroniques pourra intervenir, soit par téléconsultation (médecin spécialiste), soit par télésoin (infirmière spécialisée en plaie chronique) auprès des résidents de l’Ehpad, soulageant ainsi les interventions du médecin traitant dans ce domaine.
Dans d’autres domaines, comme la neurologie, la néphrologie, la diabétologie, la cardiologie, l’oncologie, des infirmiers et des infirmières en pratiques avancées (IPA) exerçant au sein de l'hôpital du territoire, pourront également intervenir par des actes de télésoin spécialisés.
Pour les bilans visuels et bilans dentaires en Ehpad, des solutions d’e-santé sont en développement. Pour les bilans visuels, des orthoptistes peuvent intervenir au sein même de l’Ehpad et adresser ensuite le bilan visuel à l’ophtalmologiste, ce qui permet de bien cibler la nécessité d'un déplacement chez le spécialiste. Une démarche identique est aujourd'hui pratiquée pour les bilans dentaires, une infirmière pouvant réaliser l'imagerie des dents et l'adresser par MSS au chirurgien-dentiste de l'Ehpad.
Le pharmacien est autorisé à pratiquer le télésoin. Il peut le faire dans le domaine de sa compétence propre, notamment sur le bon usage des médicaments et l’éducation thérapeutique.
Toutes ces interventions de télésoin peuvent à terme soulager la charge de travail des médecins traitants qui interviennent dans les Ehpads et favoriser l’accès aux médecins spécialistes.
En résumé, ce billet écrit à partir d'une situation concrète, illustre le rôle désormais essentiel d'une CPTS pour améliorer l'accès aux soins de premier et de second recours et l'accompagnement du parcours des patients au sein d'un territoire. Bien évidemment, la communauté territoriale ne peut réaliser ses missions que si tous les professionnels de santé du territoire font partie de cette communauté. Les médecins qui sont aujourd'hui surchargés de demandes de soins doivent comprendre qu'une CPTS, fondée sur le principe d'une coordination pluriprofessionnelle qu'ils peuvent animer, ne peut que leur apporter des conditions meilleures d'exercice, qu'ils utilisent ou non la télémédecine.
18 novembre 2019