Construisons ensemble la médecine du XXIème siècle
La Commission des Affaires Sociales du Sénat a commandé en mars 2024 à la Cour des Comptes un rapport sur l'état de la téléconsultation en France. La Haute Chambre vient de rendre son avis le 8 avril 2025.
Largement repris dans les médias depuis sa parution, l'essentiel de ce rapport mérite d'être publié et commenté sur notre blog consacré à l'actualité en matière de télésanté et de santé numérique.
Peu de personnes, en dehors des initiés, liront la totalité des 148 pages du rapport : https://www.ccomptes.fr/fr/publications/les-teleconsultations
Le résumé en début de rapport donne l'essentiel et nous nous proposons de le publier in integrum et d'en faire quelques commentaires.
Un levier de transformation du système de soins
Les téléconsultations sont une modalité à la main des professionnels médicaux dans le cadre de leur exercice et n’ont pas vocation à se substituer massivement aux consultations au cabinet médical ; elles n’en constituent pas moins un levier pertinent pour répondre aux enjeux du système de santé, principalement en termes d’accès aux soins et d’organisation des parcours de soins pour certains patients et certaines pathologies.
Les prérequis pour son développement
Parmi les prérequis essentiels de cette évolution souhaitée par les pouvoirs publics figurent la définition d’un cadre éthique et sécurisé pour les patients et les professionnels, la maîtrise d’une médecine connectée aux organisations et aux professionnels du soin situés à proximité des patients et l’existence de garanties sur la qualité et la sécurité des diagnostics et des prescriptions médicales à distance.
Les bénéfices pour les patients et les professionnels
Pour les patients, les téléconsultations peuvent favoriser l’accès aux soins, notamment pour ceux qui résident dans les zones caractérisées par une pénurie de professionnels médicaux. En outre, elles peuvent faciliter le suivi de pathologies chroniques et les renouvellements d’ordonnances. Elles contribuent à maintenir des soins dans des contextes sanitaires exceptionnels. Enfin, elles permettent des gains de qualité et de confort, en diminuant les déplacements, en particulier pour l’accès aux médecins spécialistes ou aux centres experts, dans un contexte marqué par une concentration de ces derniers dans les grandes villes. Le bilan carbone associé à la substitution des téléconsultations au déplacement au cabinet médical n’a jamais été étudié précisément mais il est probablement plus faible que celui des actes nécessitant des déplacements.
Pour les professionnels, les téléconsultations permettent d’optimiser le temps médical et soignant. Cet effet attendu s’ajoute à d’autres mesures adoptées par les pouvoirs publics et la Caisse nationale de l’assurance maladie (Cnam) pour libérer du temps médical (recours à des assistants médicaux et enrichissement des missions confiées aux pharmaciens d’officine par exemple). Ces actes sont également censés favoriser les liens entre professionnels dans le cadre de parcours de soins coordonné (ville, hôpital, médico-social) et faciliter la prise en charge pré et post-opératoire des patients.
Les bénéfices pour le système de santé
Enfin, en évitant à certains patients de recourir aux services des urgences pour des demandes de soins qui ne le justifient pas, les téléconsultations peuvent contribuer à désengorger ces services souvent embolisés et à réaliser des économies significatives, le coût d’une prise en charge en téléconsultation étant près de dix fois inférieur à celui d’un passage dans des services d’urgences. L’économie que permettrait l’évitement théorique du passage dans les structures d’urgences hospitalières, selon une hypothèse d’évitement de 10 %, peut être évaluée à 113 M€ par an. Plus largement, le tarif inférieur des téléconsultations par rapport à celui des consultations tout comme la possibilité d’éviter des coûts liés au déplacement de certains patients devraient conduire les pouvoirs publics à envisager ces actes sous l’angle de l’efficience. De manière générale, dans un contexte où les téléconsultations répondent à des besoins ne nécessitant pas un examen clinique, leur meilleure intégration dans l’offre de soins contribuerait à l’efficience du système de santé.
Une contribution modeste à l'offre de soins
Une pratique inférieure à celle d'autres pays européens depuis la fin de la pandémie
Les téléconsultations sont restées en nombre très limité jusqu’à la pandémie de Covid 19. À compter de mars 2020, les confinements sanitaires leur ont donné un rôle essentiel dans la continuité des soins, avec un nombre d’actes passé de moins de 140 000 en 2019 à plus de 18 millions en 2020 (secteurs libéral et hospitalier), soit un niveau supérieur à l’objectif fixé par l’État à la Cnam.
À l’issue de la pandémie de Covid 19, le nombre des téléconsultations est descendu à un niveau inférieur à celui fixé par la convention d’objectifs de gestion passée entre l’État et la Cnam pour la période 2019-2022.
En médecine de ville, ces actes ne représentaient en 2023, respectivement, que 2,2 % et 2,1 % de l’activité de consultation des médecins omnipraticiens et des médecins spécialistes, soit moins d’une consultation sur quarante.
En établissements de santé, cette même année, les téléconsultations représentaient seulement 1,4 % de l’activité de consultation des établissements et 0,3 % de leurs actes et consultations externes.
Ces niveaux sont très inférieurs à ceux constatés dans les pays nordiques, au Royaume-Uni et en Espagne.
L’État a choisi de ne plus fixer d’objectifs quantitatifs à la Cnam dans la convention qui les lie pour la période 2023-2027 ; il n’en demeure pas moins que le nombre de téléconsultations réalisées est insuffisant pour que celles-ci répondent aux attentes associées à leur potentiel.
Une contribution insuffisante à l’accès aux soins dans les zones et pour les publics prioritaires
Un impact faible sur l'accès aux soins des citoyens
Contrairement au principal objectif recherché, les téléconsultations ont jusqu’à présent eu un impact faible sur l’accès aux soins dans les zones d’intervention prioritaire. De manière structurelle, le profil moyen d’un patient qui téléconsulte est jeune et très urbain ; l’Île-de France concentre à elle seule plus de la moitié des téléconsultations réalisées en France.
Un impact très faible dans la population des personnes âgées
Les publics cibles théoriques de la télémédecine ne sont pas davantage des utilisateurs privilégiés des téléconsultations. À ce jour et comme la Cour l’avait déjà constaté en 2021, les personnes âgées et les personnes en situation de handicap résidant dans des établissements sociaux et médico-sociaux bénéficient très insuffisamment de ces actes. L’usage des téléconsultations est également faible pour les patients souffrant de maladies chroniques, en dépit des enjeux associés. Il en va de même pour les personnes placées sous-main de justice, malgré un contrat de transformation signé fin 2020 dans le cadre du Grand plan d’investissement 2018-2022 et resté inappliqué faute d’un réel pilotage.
L'apport des plateformes chez les patients qui n'ont plus de médecin traitant
En revanche, les plateformes peuvent visiblement apporter une réponse à des patients dépourvus de médecin traitant, et, dans une moindre mesure, aux bénéficiaires de la complémentaire santé solidaire.
Une faible intégration des téléconsultations dans les conditions d’exercice des professionnels de santé
Les équipes de soins peu mobilisées pour les soins distanciels, notamment la téléconsultation
Le fonctionnement en équipe de soins est propice au développement des téléconsultations mais, à ce jour, il reste peu mobilisé à cette fin. En effet, ces actes sont peu intégrés dans les dispositifs publics mis en place pour prendre en charge les soins non programmés caractérisés par un degré d’urgence plus ou moins élevé. Les communautés professionnelles territoriales de santé, les maisons de santé pluriprofessionnelles, les équipes de soins primaires ou spécialisés ont un rôle important à jouer pour assurer une disponibilité médicale indispensable à la mise en place d’usages territorialisés de la télémédecine.
Des organisations territoriales du secteur ambulatoire qui ont un rôle marginal
Or, ces organisations jouent un rôle marginal en la matière, alors que la convention médicale requiert leur contribution. En effet, le réseau de l’assurance maladie doit référencer les organisations territoriales coordonnées pouvant gérer les exceptions relatives aux parcours de soins. Ce référencement est censé permettre l’identification de ces structures par les patients et les professionnels de santé. En septembre 2024, seules 37 organisations étaient référencées et près des trois quarts des départements n’avaient aucune organisation référencée permettant de respecter le cadre conventionnel. La définition d’autres priorités (telle, pour les communautés professionnelles de santé, la recherche de médecins traitants pour les patients qui en sont dépourvus) et le caractère imprécis et non prescriptif des textes relatifs au rôle susceptible d’être joué par ces organisations expliquent notamment cette lacune.
Une contribution insuffisante des établissements de proximité et des GHT au développement des téléconsultations
La Cour relève la même absence de contribution des hôpitaux de proximité et des groupements hospitaliers de territoire au développement des téléconsultations, malgré le rôle confié aux premiers d’entre eux par les textes en vigueur.
Des coûts globalement maîtrisés
Des dépenses faibles
À l’échelle des dépenses globales de soins, les coûts liés aux téléconsultations apparaissent faibles, avec 266 M€ de montant remboursé par l’assurance maladie, soit 3 % des montants remboursés au titre de l’ensemble des consultations, des téléconsultations et des visites réalisées par les médecins libéraux, les sage-femmes et les centres de santé (8,1 Md€).
Des montants maîtrisés
Les montants en jeu apparaissent globalement maîtrisés grâce à une différenciation tarifaire convenue entre la Cnam et les syndicats représentatifs des médecins et des sages femmes : les honoraires d’une téléconsultation ont été maintenus à hauteur de 25 €, quand ceux liés à une consultation au cabinet médical ont été portés à 26,50 € (novembre 2023), puis à 30 € pour les médecins généralistes (décembre 2024). En outre, les majorations et les arrêts de travail associés aux téléconsultations réalisées par des plateformes, qui avaient donné lieu à de potentiels abus, sont désormais encadrés, au bénéfice des patients qui n’ont plus à supporter certains restes à charge à l’occasion du recours à ces plateformes.
Une stratégie à clarifier
Une absence de chef de file pour soutenir les téléconsultations
La place que les parties prenantes entendent laisser aux téléconsultations dans l’offre de soins souffre de certaines ambiguïtés. La répartition des compétences entre les acteurs publics impliqués dans la télémédecine apparaît cohérente mais la stratégie poursuivie par le ministère chargé de la santé manque de clarté et la direction générale de l’offre de soins n’exerce pas suffisamment son rôle de chef de file. Les objectifs et les indicateurs associés mériteraient d’être clarifiés, afin de s’assurer que le caractère marginal de ces actes dans l’offre de soins répond aux attentes du Parlement et du ministère chargé de la santé.
Des assises de la télémédecine pour clarifier le rôle attendu des téléconsultations
Des assises de la téléconsultation devraient avoir lieu à l’été 2025, quelques mois avant l’aboutissement de la procédure d’agrément des sociétés de téléconsultation prévu au plus tard pour la fin 2025. Cette échéance doit être mise à profit par le ministère chargé de la santé et la Cnam pour clarifier le rôle attendu des téléconsultations pour conforter l’offre médicale dans les zones caractérisées par une densité médicale insuffisante et en faveur des publics prioritaires.
Surtout, la mise en œuvre des orientations doit être attentivement suivie car l’élaboration de feuilles de route ne suffit pas, en soi, à assurer le développement des téléconsultations. Il en est ainsi notamment pour la politique d’équipement des établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes ou pour les établissements pénitentiaires.
Un développement des téléconsultations à rechercher sous certaines conditions
Au regard de la part marginale que représentent aujourd’hui les téléconsultations dans l’ensemble des consultations et alors que ces actes peuvent constituer un levier d’amélioration de l’offre de soins, la Cour estime souhaitable que certains aménagements soient envisagés pour favoriser leur développement. Ceux-ci concernent les modalités financières, le cadre juridique, ainsi que la qualité et la sécurité des soins.
Des modalités financières à affiner
La Cnam verse à ce jour des aides indiscriminées à l’accompagnement et à l’équipement pour développer les téléconsultations. Au soutien des objectifs de santé publique, ces aides gagneraient à être recentrées sur les zones d’intervention prioritaire, caractérisées par une offre de soins insuffisante.
En outre, en complément de financements mal coordonnés de certaines collectivités territoriales et grâce aux crédits du fonds d’intervention régional, les agences régionales de santé soutiennent des dispositifs parfois coûteux et proches d’expérimentations antérieures, qui n’avaient pas démontré leur pertinence médico-économique. Le ministère chargé de la santé ne connaît pas le montant total de ces aides et n’encadre pas les dispositifs susceptibles d’être financés dans le champ des téléconsultations.
La Cour invite le ministère et les agences régionales de santé à recentrer les expérimentations sur les projets les plus à même de déboucher sur des dispositifs généralisables à coût maîtrisé pour les acteurs publics, administrations publiques locales comprises, au regard des actes susceptibles d’être dispensés.
Par ailleurs, la différenciation des honoraires des téléconsultations par rapport à ceux d’une consultation est uniforme, ce qui appelle deux réserves. D’abord, une meilleure prise en compte des patients pris en charge à distance justifierait d’autoriser la facturation de certaines majorations ou actes techniques aujourd’hui interdits en téléconsultation.
Enfin, si la téléconsultation apparaît adaptée à certains patients, surtout lorsqu’elle est complétée par le recours à des dispositifs médicaux connectés, l’accompagnement à cette modalité par des professionnels de santé reste modeste, en particulier de la part des infirmiers. Les aides pourraient être mieux ciblées géographiquement pour les dispositifs liés aux pharmacies d’officine et la cotation des actes d’accompagnement des infirmiers pourrait être réexaminée.
Un cadre juridique global à stabiliser sous réserve de quelques aménagements
Afin d’encourager les téléconsultations qui permettent de répondre à un certain nombre d’enjeux de santé publique, le ministère chargé de la santé et la Cnam ont élaboré un cadre juridique qui repose sur une médecine ancrée dans les territoires et respectant le parcours de soins coordonné par le médecin traitant.
Assouplir les quotas d'activité en téléconsultation et les conditions d'exceptions au principe de territorialité
La convention organisant les rapports entre les organismes d’assurance maladie et les médecins libéraux, signée le 4 juin 2024, a assoupli le plafond d’activité en télémédecine créé en 2021, selon des orientations qui apparaissent pertinentes pour favoriser le développement de téléconsultations au service des objectifs poursuivis.
De nouveaux assouplissements gagneraient à être examinés. Le plus important d’entre eux consisterait à supprimer, parmi les trois exceptions tenant au principe de territorialité des téléconsultations, la condition cumulative tenant à l’absence de médecin traitant désigné pour les patients résidant dans des zones d’intervention prioritaire, voire la condition tenant à l’absence d’organisation territoriale référencée. La troisième condition relative à la présence des patients dans les zones d’intervention prioritaire serait maintenue. En outre, le plafond d’activité en téléconsultation de 20 % pourrait être revu à la hausse pour les médecins retraités.
Terminer le processus d'agrément des sociétés de téléconsultation en 2025
Par ailleurs, un dispositif d’agrément des sociétés de téléconsultation est en cours de mise en place depuis la fin 2023 pour mettre un terme au dévoiement de l’objet juridique des centres de santé. Après une mise en œuvre marquée par des modifications tardives, ce dispositif devrait entrer en vigueur en 2025 et permettre de mieux encadrer l’activité de ces sociétés en apportant certaines garanties sur la qualité des prises en charge. L’examen rigoureux du respect des conditions de l’agrément à l’issue d’une période biennale doit être mis à profit pour mieux évaluer l’apport des plateformes de téléconsultation salariant des médecins dans l’offre de soins.
Le cadre juridique actuel est pertinent pour atteindre les objectifs de santé publique associés aux téléconsultations. Il doit désormais être stabilisé avant que soient examinées, à moyen terme, la valeur ajoutée et les éventuelles limites de l’agrément, sans préjudice d’ajustements ponctuels à plus court terme comme la régulation de la prescription à distance d’antibiotiques en cas de rupture d’approvisionnement.
Par ailleurs, il est souhaitable de prévoir et développer la possibilité pour les sociétés de téléconsultation d’intervenir à titre subsidiaire pour prendre en charge des demandes de soins non programmés dans le cadre des services d’accès aux soins, comme le ministère l’envisage.
Cette évolution nécessite également que soient formalisés et transposés dans les pratiques et des protocoles locaux les liens nécessaires entre les services d’accès aux soins et les téléconsultations susceptibles d’être proposées par les professionnels médicaux des territoires concernés et, à titre subsidiaire, par les sociétés de téléconsultation. En effet, ces dernières ont un rôle à jouer en second recours pour compenser l’offre de soins insuffisante dans certains territoires et les textes doivent être modifiés en ce sens. Leur récente reconnaissance comme acteur de santé devrait conduire à les intégrer dans les évolutions des téléconsultations, notamment lors des négociations conventionnelles.
La nécessité de mieux connaître et de garantir la qualité des pratiques
Les limites cliniques inhérentes aux téléconsultations appellent une attention accrue de l’ensemble des acteurs pour garantir la qualité et la sécurité des diagnostics et des prescriptions à distance. Pour des raisons principalement techniques, la Cnam et le ministère chargé de la santé ne disposent pas d’éléments robustes permettant de mesurer précisément des phénomènes de surprescription par les plateformes de téléconsultation. Pour autant, l’existence même du phénomène ne fait pas de doute pour les antibiotiques à large spectre, en particulier pour les personnes âgées de plus de trente-cinq ans.
Afin d’approfondir la connaissance du sujet, la Cnam a saisi en octobre 2024 la Haute Autorité de santé pour qu’elle évalue la pertinence des prescriptions d’antibiotiques en téléconsultation sans examen physique du patient. Parallèlement, il convient que les travaux confiés en 2020 à la Fédération des spécialités médicales et au Collège de la médecine générale reprennent et donnent lieu à de nouvelles publications susceptibles d’éclairer les professionnels de santé. Enfin, la qualité des pratiques professionnelles, qui figure parmi les critères de l’agrément des sociétés de téléconsultation, devra faire l’objet d’un examen à l’issue de la première période de délivrance de cet agrément.
COMMENTAIRES. On ne peut être qu'en accord avec le constat fait par la Cour des Comptes, ainsi qu'avec ses préconisations, en particulier pour les Sociétés de téléconsultations. On peut seulement regretter que la Cour n'ait pas recommandé une formation DPC préalable des professionnels médicaux qui veulent pratiquer la télémédecine, en particulier la téléconsultation, dans le but d'améliorer la qualité de ces actes, levier qui peut promouvoir leur développement.
12 avril 2025