3èmes préconisations relatives à la Téléexpertise, ses enjeux et ses pratiques


Le Think Tank Télésanté et Numérique en Sante publie ici ses 3èmes préconisations relatives à la Téléexpertise, ses enjeux et ses pratiques. Les auteurs de ce travail sont les suivants : Dr Jean-Bernard Rottier, ophtalmologue libéral, ancien président du SNOF, M. Patrice Ancillon, ancien CEO d’une plateforme de téléexpertise, Pr. Frédéric Venail, médecin ORL, Professeur à l’université de Montpellier, Mme Christelle Répond, IPA libérale dans la CPTS d’Ariège-Pyrénées, Pre. Lina Williatte, Professeure de droit de la santé à l’Université catholique de Lille, Dr Pierre Simon, néphrologue, Président du Think Tank.


Le lecteur peut retrouver les 1ères préconisations, publiées en octobre 2024, relatives au parcours de santé hybride et aux formes de téléconsultation (https://telemedaction.org/think-tank/1-res-preconisations) et les 2èmes préconisations, publiées en avril 2025, relatives au DMP, son déploiement et son usage.(https://telemedaction.org/think-tank/pr-conisations-dmp).


Introduction


La téléexpertise a été pratiquée pour la première fois en France au début des années 90 dans la région Midi-Pyrénées, à l’initiative du Pr. Louis Lareng, Professeur d’Anesthésie-Réanimation au CHU de Toulouse, fondateur en 1968 du SAMU, pionnier de la télémédecine en France (https://telemedaction.org/423570493/un-visionnaire-de-la-t-l-m-decine-nous-a-quitt-s).

L’objectif de la téléexpertise à l’époque était de mieux maitriser les indications de transfert des patients, hospitalisés dans les hôpitaux périphériques, vers le CHU de Toulouse. Les moyens numériques permettaient déjà aux praticiens hospitaliers spécialistes du CHU de dialoguer en Visio avec les praticiens des CH périphériques de cette grande région (Auch, Albi, Rodez, Cahors, Carcassonne, Castres-Mazamet, Lannemezan, Saint Gaudens, etc.), afin d’évaluer ensemble la pertinence ou non d’un transfert des patients vers les services spécialisés du CHU.
C’est ainsi que cette pratique professionnelle, nouvelle à la fin du 20ème siècle, montra des résultats intéressants et convaincants : une demande de transfert sur deux pouvait être évitée et, une fois sur cinq un transfert était justifié alors qu’il n’était pas envisagé par le praticien requérant. C’était une perte de chance évitée. Cette étude observationnelle conduite sur une période de 7 ans (1994-2000) ne fut jamais publiée dans la littérature médicale scientifique, mais seulement présentée dans de nombreux congrès médicaux à la fin des années 90, Elle est rapportée dans le livre « Télémédecine, enjeux et pratiques » publié en 2015.(https://telemedaction.org/422783742/422886029)


Le Think Tank Télésanté et Numérique en Santé a été créé le 1er décembre 2023 pour réfléchir à la place de la télésanté dans les parcours de soins hybrides alternant les soins distanciels et les soins présentiels. La téléexpertise fait partie de ces soins distanciels aux cotés de la téléconsultation, du télésoin et de la télésurveillance médicale.
Le Think Tank élabore des préconisations à partir des expériences de terrain rapportées dans ses webinaires mensuels et des données de la littérature nationale et internationale.


Nous présentons ici des préconisations sur les enjeux et les pratiques de la téléexpertise, qu’elle soit asynchrone ou synchrone. Le groupe de travail est constitué d’experts dans le domaine : sur la téléexpertise hospitalière depuis 1996 (PS), dans le secteur de la filière visuelle au niveau de l’hexagone et en région ultra-marine (JBR), dans le secteur de la filière auditive (FV), dans le fonctionnement territorial d’une CPTS (CR), dans l’organisation de la téléexpertise synchrone sur une plateforme numérique dédiée (PA), et sur l’expertise juridique en santé numérique (LW).

La méthode de travail a reposé, d’une part sur l’expérience et le dire d’experts, d’autre part sur les mises en œuvre de cet acte sur le terrain (https://telemedaction.org/think-tank/webinaire-25-janvier) , (https://telemedaction.org/think-tank/webinaire-du-29-f-vrier) , (https://telemedaction.org/think-tank/webinaire-du-20-juin)enfin sur l’état des lieux en 2025 de cette pratique en France et à l’étranger.

(https://telemedaction.org/think-tank/etat-des-lieux-de-la-t-l-expertise , https://telemedaction.org/422021881/la-t-l-expertise-pratique-essentielle [https://telemedaction.org/422885857/telemedecine-73 , https://telemedaction.org/422885857/t-l-m-decine-72 , https://telemedaction.org/422885857/soins-distanciels-et-m.chroniques , https://telemedaction.org/422885857/tlm-et-examen-physique , https://telemedaction.org/422885857/telemedecine-77 , https://telemedaction.org/422885857/t-l-m-decine-78 , https://telemedaction.org/422885857/t-l-m-decine-78bis , https://telemedaction.org/422885857/t-l-m-decine-80 , https://telemedaction.org/439245281/tlm-en-asie-du-sud- est)



Les Objectifs de la Téléexpertise


1) Améliorer l’accès des patients aux soins de second recours (spécialistes), notamment dans les déserts médicaux en médecins spécialistes (obligation éthique).


2) Permettre la continuité des soins, notamment chez les patients atteints de maladies chroniques, en alternant des soins distanciels et des soins présentiels de façon personnalisée (Plan Personnalisé de Santé ou PPS ). La téléexpertise fait partie des pratiques combinées de télésanté. La mise en place des soins distanciels nécessite une information préalable des patients sur les bénéfices et les risques d’un parcours hybride personnalisé vis-à-vis duquel ils doivent donner leur consentement éclairé. (Obligation légale)


3) Réduire les pertes de chance lorsque les délais de consultations en présentiel sont trop éloignés (obligation éthique). La téléexpertise peut ainsi suppléer à une consultation présentielle si le patient donne son consentement après avoir reçu l’information sur les bénéfices et les risques de cette pratique distancielle, laquelle peut être complémentaire d’une consultation présentielle différée (obligation légale)


4) Permettre à tous les professionnels de santé requérants de recueillir rapidement un avis spécialisé quand ils estiment que leur compétence est insuffisante pour intervenir dans certaines séquences de soins aux patients. (Obligation déontologique). 


5) Fluidifier et organiser le parcours de soin en permettant aux spécialistes de planifier les consultations présentielles, si elles sont nécessaires, en fonction de leur degré d’urgence, et anticiper les examens complémentaires nécessaires à une consultation de qualité. (Recommandations HAS)


Les 10 Préconisations sur les Enjeux et les Pratiques de la Téléexpertise


La téléexpertise telle que définie dans le décret du 3 juin 2021 a pour objectifs, d’une part d’améliorer l’accès à des soins de qualité, notamment dans les zones de désert médical pour certaines spécialités, d’autre part d’assurer la continuité des soins, notamment au sein des parcours hybrides alternant des soins distanciels et des soins présentiels.

1) Le Think Tank préconise que la téléexpertise fasse partie intégrante d’un parcours de soins hybride aux cotés de la téléconsultation, de la télésurveillance médicale et du télésoin. L’abandon des quotas pour la téléexpertise, dans la nouvelle convention médicale de juin 2024, permet désormais au médecin de développer des parcours personnalisés dans lesquels il dispose des moyens de la télésanté, nécessaires à la réalisation des soins distanciels et selon les attentes du patient.


La téléexpertise entre un professionnel médical et un auxiliaire médicale est la rencontre de deux compétences professionnelles distinctes : d’une part, celle d’un auxiliaire médical diplômé dans un domaine spécifique du soin, d’autre part, celle d’un professionnel médical qui a une compétence particulière susceptible de répondre à la question posée par l’auxiliaire médical requérant.

2) Le Think Tank préconise de revoir la définition actuelle de la téléexpertise dans le CSP avec cette nouvelle formulation:
" La téléexpertise permet à un professionnel médical, un pharmacien ou un auxiliaire médical de solliciter l’avis d’un ou plusieurs professionnels médicaux en raison de leurs formations ou de leurs compétences particulières, sur une situation de santé donnée liées à la prise en charge d’un patient, afin de recueillir, un avis, un diagnostic ou en cas de pertinence, une prescription médicale.
A cette fin, le requérant s’assure que le requis dispose, le cas échéant à sa demande, de la complétude des données de santé garantissant la qualité, la pertinence et la sécurité de la sollicitation ainsi requise. »


Si une prescription au professionnel requérant, à l’intention du patient, est généralement non-recommandée ou non-pratiquée lorsqu’il s’agit d’une téléexpertise entre un médecin traitant qui a en charge la coordination des soins et un médecin spécialiste qui pour seule mission de donner un avis au médecin traitant, il peut en être différemment dans la téléexpertise initiée par un pharmacien ou un auxiliaire médical auprès d’un professionnel médical dont la compétence lui permet de donner l’avis souhaité par le pharmacien ou l’auxiliaire médical. En effet, cet avis relève de la responsabilité pleine et entière du professionnel médical requis qui peut estimer qu’une télé prescription médicale, à l’intention du patient, est nécessaire ou non. Le professionnel médical peut aussi décider de voir préalablement le patient, soit en consultation présentielle, soit en téléconsultation.

3) Le Think Tank préconise que le professionnel médical requis juge en pleine responsabilité la pertinence ou non de faire une télé prescription au patient au décours de la téléexpertise. Il en trace les raisons dans le compte-rendu obligatoire. Il doit en particulier justifier dans ce compte-rendu qu’il a obtenu la complétude des informations de la part du pharmacien ou de l’auxiliaire médical pour réaliser cette télé prescription.


La téléexpertise requise par un auxiliaire médical à un professionnel médical compétent dans le domaine du soin réalisé par l’auxiliaire médical ne peut être considérée comme un exercice illégal de la médecine par l’auxiliaire médical, c’est-à-dire une démarche diagnostique et/ou thérapeutique qui est de la seule compétence du professionnel médical.
Toutefois, la réglementation évolue, comme elle le fait depuis quelques années dans le but d’améliorer le service médical rendu à la population. Elle autorise désormais certaines professions d’auxiliaire médical (personnel infirmier, masseur-kinésithérapeute, orthoptiste,) et les pharmaciens d’officine à réaliser une démarche diagnostique (cystite, angine, lombalgie aigüe, bilan de la vue, etc.) et thérapeutique (vaccination, prescription d’antibiotiques, prescription d’insuline, renouvellement d’ordonnance chez un patient chronique, etc.). Cet élargissement des compétences professionnelles, déjà accordé aux pharmaciens et à certaines professions d’auxiliaire médical, pourrait l’être également à d’autres professions d’auxiliaire médical qui auraient reçu préalablement une formation spécifique en compétence.

4) Le Think Tank préconise pour les territoires où la désertification de spécialités médicales est avérée, tant dans l’hexagone que dans les territoires ultra-marins, que les pharmaciens et les auxiliaires médicaux, après avoir reçu une formation spécifique en compétence, puissent recueillir auprès des patients des données de santé dont la complétude permette au professionnel médical requis de donner non seulement un avis, mais également, lorsqu’il la juge appropriée, de faire une télé prescription au patient. Le Think Tank estime que les nouvelles technologies numériques associées à de l’IA ouvrent de nouvelles perspectives à la téléexpertise en zone de désertification de certaines spécialités médicales.


5) La téléexpertise, comme les autres pratiques de télémédecine, doit apporter au patient un service médical (SMR), tant en matière de continuité que de coordination des soins, notamment chez les patients atteints de maladies chroniques. C’est ainsi qu’une téléexpertise peut éviter une consultation présentielle lorsque le professionnel médical requis estime que cette consultation présentielle peut être évitée. A l’inverse, il relève de la responsabilité du professionnel médical requis de demander une consultation présentielle dont il détermine lui-même la date en fonction des données qu’il aura reçu du professionnel requérant.
Trois exemples pour illustrer le SMR aux patients par la téléexpertise :
Le suivi d’un patient insuffisant cardiaque chronique par le médecin traitant nécessiterait une consultation présentielle auprès du cardiologue correspondant, mais le délai très éloigné du rendez-vous de cette consultation présentielle peut créer une situation de perte de chance. Le médecin traitant, avec le consentement du patient, requiert une téléexpertise auprès du cardiologue qui donne un avis éclairé par une bonne connaissance des données du patient sur l’indication ou non d’une consultation présentielle. Si la consultation présentielle ou la téléconsultation est indiquée, il revient au professionnel médical d’en fixer la date en fonction de l’avis qu’il aura donné au médecin traitant. Le SMR au patient porte sur la maitrise de la continuité des soins cardiaques par le médecin traitant, lui permettant de dire au patient que la perte de chance qui pouvait résulter d’un avis cardiologique en présentiel ou en distanciel trop éloigné a été minimisée.
Le suivi d’un patient diabétique par un IPA spécialisé dans le suivi des maladies chroniques a été prescrit par le médecin traitant dans le cadre d’une équipe de soins primaires ou d’une équipe de soins spécialisés. Le patient a un diabète difficile à équilibrer par insulinothérapie. L’IPA a besoin d’une téléexpertise auprès d’un diabétologue hospitalier qui connait le patient pour l’avoir déjà vu au cours d’une hospitalisation afin de régler le problème. Le patient a un parcours de soins hybride personnalisé dans lequel plusieurs professionnels de santé interviennent : le médecin traitant qui a confié le suivi à l’IPA et qui a convenu de voir le patient en consultation présentielle programmée tous les 6 à 8 mois ou plus tôt éventuellement par téléconsultation si l’IPA le demandait, le diabétologue hospitalier qui demande à revoir le patient chaque année en hôpital de jour, mais qui est prêt à réaliser une téléexpertise avec l’IPA si elle la sollicite, le néphrologue hospitalier qui suit l’insuffisance rénale chronique du patient et qui a recommandé au médecin traitant et à l’IPA de faire en sorte que la tension artérielle soit parfaitement contrôlée en dessous de 130/80 mm Hg, niveau qui assure la protection des reins et ralentit l’évolution de l’insuffisance rénale, le pneumologue qui suit ce patient pour une apnée du sommeil, pathologie fréquente chez les patients diabétiques de type 2 et qui se caractérise souvent par une perte du rythme nycthéméral de la pression artérielle avec le maintien d’une hypertension nocturne, délétère pour la fonction rénale et le risque cardio-vasculaire (AVC), enfin la diététicienne qui doit suivre régulièrement le régime alimentaire de ce patient. L’IPA doit coordonner l’intervention de tous ces professionnels dans le parcours de soins hybride mis en place par le médecin traitant et vérifier auprès du patient l’efficacité de ces différentes interventions professionnelles. La téléexpertise requise par l’IPA est une pratique essentielle pour coordonner le parcours soins hybride et assurer la continuité des soins. Lorsque l’IPA a besoin de recueillir l’avis du médecin traitant, celui du diabétologue, du néphrologue, du pneumologue, de la diététicienne, la téléexpertise est le moyen incontournable et le plus efficient. Sans cette possibilité donnée par la télémédecine la continuité des soins chez un patient chronique ne serait pas correctement assurée.
Le suivi d’un patient ayant fait un AVC nécessite une rééducation par un(e) kinésithérapeute et un(e) orthophoniste dans la cadre d’un parcours coordonné par le médecin traitant. Au cours de la prise en charge, le kinésithérapeute et l’orthophoniste peuvent avoir recours à un avis spécialisé d’un médecin de médecine physique et réadaptation ou d’un ORL pour guider la rééducation ou rechercher des complications telles que des fausses routes, mais également pour contacter le neurologue pour faire part des progrès de la rééducation. En l’absence de téléexpertise, chaque avis nécessiterait une consultation présentielle chez le médecin généraliste traitant uniquement pour demander un avis spécialisé pour chacune des consultations spécialisées dans le cadre du parcours de soin coordonné. Chacune de ces visites nécessiterait de déplacer le patient, éventuellement par transport médicalisé, pour des avis qui auraient pu être donnés à distance avec l’appui des auxiliaires médicaux et le transmission d’examens vidéo et de documents numériques.

5) Le Think Tank préconise que la téléexpertise soit clairement présentée comme un moyen d’améliorer la continuité et la coordination des soins chez les patients, notamment ceux atteints de maladies chroniques, et que son usage soit considéré comme un moyen de réduire les pertes de chance liées à des ruptures dans cette continuité des soins ou à des parcours mal coordonnés.


Une téléexpertise de qualité doit être réalisée sur des plateformes numériques dédiées à cet usage, respectant le cadre réglementaire et conventionnel, dont l’agilité d’usage constitue un atout pour l’organisation professionnelle des parcours de soins hybrides, et dont la sécurité et l’interopérabilité permettent d’assurer la traçabilité de l’acte dans le dossier médical du patient (DPI, DMP) ainsi que le financement des acteurs auprès de l’Assurance maladie.
Le modèle économique de ces plateformes dédiées à la téléexpertise doit être soutenable, notamment lorsqu’elles permettent d’améliorer la relation entre la médecine de ville et celle des établissements de santé publics et privés.
La téléexpertise entre la ville et l’hôpital doit permettre de mieux coordonner les venues aux urgences et les hospitalisations, comme l’illustre le cas d’usage suivant :
Le suivi d’un patient atteint d’une maladie rénale chronique (MRC) nécessite des contacts réguliers entre le médecin traitant et le néphrologue hospitalier. Lorsque le résultat d’un examen biologique ou la tolérance à un traitement pose un problème au médecin traitant, celui-ci doit pouvoir joindre le néphrologue pour assurer la continuité des soins, notamment de savoir si tel problème nécessite ou non une hospitalisation urgente ou différée. L’échange par téléexpertise entre le médecin traitant et le néphrologue hospitalier doit être facilitée à tout moment pour éviter que le médecin traitant adresse le patient aux urgences, alors que le motif n’est pas justifié pour le néphrologue. Dans la relation du médecin traitant avec l’hôpital, la pratique de la téléexpertise ne peut être limitée dans l’intérêt même du patient. L’hôpital a une permanence des soins dans chaque spécialité ce qui permet au médecin traitant ou au médecin de garde en ville de solliciter un avis auprès de l’expert hospitalier à tout moment. De même, cette permanence en soins spécialisés qui peut également exister dans le secteur libéral, doit permettre de développer la téléexpertise de 2ème niveau entre spécialistes.

6) Le Think Tank préconise que tous les établissements de santé, privés et publics, soient équipés d’une plateforme numérique dédiée, entre autres, à la téléexpertise pour faciliter la relation entre la médecine de ville et l’établissement de santé afin de mieux gérer les venues aux urgences et les hospitalisations. Ainsi, la téléexpertise doit être un moyen facilitant les parcours de soins entre la ville et l’hôpital, en particulier au sein des CPTS et des GHT.


La téléexpertise est une pratique de télémédecine qui doit faire partie du parcours de soins hybride alternant les soins distanciels et les soins présentiels. Elle rejoint les autres pratiques de télésanté que sont la téléconsultation et la télésurveillance médicale, ainsi que le télésoin. Dans le cadre d’un parcours de soins hybride personnalisé, notamment chez les patients atteints d’une maladie chronique, la téléexpertise permet de coordonner les interventions professionnelles dans le parcours et d’assurer la continuité des soins lorsque plusieurs professionnels de santé doivent intervenir dans ce parcours.
La personnalisation d’un parcours de soins relève du dialogue entre le médecin traitant et le patient pour obtenir son consentement dans le déroulement d’un parcours de soins hybride alternant des soins distanciels et des soins présentiels. Le médecin traitant, ainsi que le coordinateur du parcours de soins (médecin traitant, voire un IPA) doit pouvoir définir avec le patient l’usage des moyens de télésanté dans la phase distancielle des soins, ainsi que les attentes du patient en matière de soins présentiels.
Ainsi, la téléexpertise doit être considérée dans ce parcours personnalisé comme un moyen de rendre fluide l’intervention des professionnels de santé impliqués dans ce parcours, dont le but sera de recevoir un avis du professionnel médical traitant ou spécialisé, sur la conduite d’un traitement, sur une démarche diagnostique, voire sur l’organisation d’une consultation médicale en présentielle ou à distance.
Le suivi d’un patient atteint d’une MRC fait intervenir plusieurs professionnels de santé médicaux (médecin généraliste traitant, néphrologue, cardiologue, endocrinologue, urologue, neurologue, gériatre, etc.) ou paramédicaux (pharmacien, IDEL, IPA, diététicien, masseur-kinésithérapeute, pédicure-podologue, etc.) Chaque professionnel médical peut intervenir auprès du patient en présentiel ou en distanciel selon le protocole personnalisé des soins auquel le patient a donné son consentement. De, même le pharmacien et les auxiliaires médicaux impliqués dans le parcours peuvent réaliser des soins en présentiel ou en distanciel (télésoin) selon le protocole de soins. La téléexpertise pourra être utilisée par les différents professionnels de santé, médicaux et paramédicaux impliqués dans ce parcours hybride. Il ne peut y avoir de limite à l’utilisation de la téléexpertise puisque son objectif est bien de fluidifier un parcours de soins hybride et complexe chez un patient atteint d’une MRC.

7) Le Think Tank préconise que la téléexpertise soit considérée comme une pratique essentielle dans un parcours de soins hybride d’un patient atteint d’une maladie chronique et que son usage soit facilité dans la mesure où elle est une aide majeure à la coordination et la continuité des soins.


La téléexpertise entre un auxiliaire médical compétent dans la santé visuelle (orthoptiste, opticien) et un ophtalmologue doit permettre de mieux couvrir les besoins de la population en matière de santé visuelle et de corriger les effets de la désertification en ophtalmologue dans certaines régions de l’hexagone et ultra-marines. Un élargissement des compétences des opticiens, après formation, dans la réalisation d’un bilan de la vision adressé à l’ophtalmologue pour avis, et éventuellement suivi d’une télé prescription si le professionnel médical estime disposer de la complétude des données de santé visuelle pour la réaliser, permettrait de couvrir la demande dans plusieurs régions de l’hexagone et ultra-marines.
L’organisation professionnelle appelée « poste avancé d’ophtalmologie » (PAO) devrait être encouragée ou maintenue puisque la téléexpertise, dont le nombre n’est plus limité dans la dernière convention médicale de juin 2024, permet de réaliser une téléexpertise asynchrone dans les déserts ophtalmologiques grâce à des bilans de la santé visuelle transmis pour avis à un ophtalmologue.

8) Le Think Tank préconise une réflexion sur la filière visuelle qui doit à l’avenir s’appuyer sur la téléexpertise et la coopération interprofessionnelle associant les orthoptistes et les opticiens. L’objectif de cette réorganisation est de permettre un accès aux soins oculaires sur tout le territoire hexagonal et ultramarin en construisant des cadres de prises en charge adaptés aux spécificités des territoires et des intermédiations disponibles localement. Les postes avancés en ophtalmologie (PAO) doivent être encouragés.


La téléexpertise entre un auxiliaire médical compétent dans la santé auditive (audioprothésiste) et un spécialiste Otorhinolaryngologiste (ORL) doit permettre de mieux couvrir les besoins de la population en matière de santé auditive et de corriger les effets de la désertification en médecins ORL dans plusieurs régions de l’hexagone et ultra-marines. Un élargissement des compétences des audioprothésistes, après formation, dans la réalisation d’un bilan de l’audition adressé au spécialiste ORL pour avis, et éventuellement suivi d’une télé prescription si le professionnel médical estime disposer de la complétude des données de santé auditive pour la réaliser, permettrait de couvrir la demande dans plusieurs régions de l’hexagone et ultra-marines.

9) Le Think Tank préconise une réflexion sur la filière auditive qui doit à l’avenir s’appuyer sur la téléexpertise et la coopération interprofessionnelle associant les audioprothésistes. L’objectif de cette réorganisation est de permettre un accès aux soins auditifs sur tout le territoire hexagonal et ultramarin en construisant des cadres de prises en charge adaptés aux spécificités des territoires et des intermédiations disponibles localement. Par ailleurs, les échanges par téléexpertise permettront de faciliter la diffusion au prescripteur des comptes-rendus obligatoires d’appareillage afin de pouvoir juger de l’efficacité et de la pertinence de la prise en charge.


La nouvelle Convention médicale de juin 2024 précise que la téléexpertise asynchrone, notamment entre un médecin traitant et un médecin spécialiste, n’est plus limitée en nombre et que le délai de réponse à l’avis demandé au professionnel médical requis ne devait pas dépasser 7 jours. Cette forme de téléexpertise asynchrone utilise essentiellement la messagerie professionnelle sécurisée entre le professionnel de santé médical requis et le professionnel de santé requérant.
La téléexpertise synchrone ou rapide devait être étudiée et évaluée par un groupe de travail désigné par l’Assurance maladie, comme le proposait l’avenant 9 à la précédente Convention médicale en septembre 2021. En fait, elle n’a pas été définie jusqu’à présent dans la nouvelle Convention, alors qu’elle répond à certaines situations d’un parcours de soins hybride, notamment chez les patients atteints de maladies chroniques complexes ou dans certaines situations aiguës ne relevant pas de l’urgence vitale. Chez ces patients, la continuité des soins doit être assurée pour prévenir des pertes de chance et la téléexpertise synchrone peut y contribuer. Nous donnons ici quelques exemples.
Un patient porteur d’une greffe d’organe continue à être suivi par son médecin traitant pour ses problème de santé ne relevant pas des suites de la transplantation. La survenue d’une pathologie aiguë, infectieuse ou non, conduit le médecin traitant à faire une prescription thérapeutique. Cette prescription est-elle compatible avec le traitement antirejet ? Ne va-t-elle pas déséquilibrer le traitement antirejet et être à l’origine d’un rejet subaiguë ? Le médecin traitant doit pouvoir joindre rapidement un spécialiste de la transplantation pour recevoir son avis sur la compatibilité des traitements. Une pathologie aiguë ne peut pas attendre une réponse asynchrone différée de quelques jours. Une consultation immédiate avec le spécialiste n’est pas envisageable dans un délai compatible avec la situation clinique du patient. L’hospitalisation peut être évitée.
De même, un besoin de téléexpertise synchrone peut exister dans le suivi pluriprofessionnel d’un patient atteint d’une pathologie chronique : un résultat d’examen biologique jugé très anormal chez un patient atteint d’une maladie rénale chronique (hyperkaliémie, élévation de la créatininémie, hyponatrémie), une hyperglycémie non contrôlée par le traitement insulinique chez un patient diabétique, une anomalie hématologique chez un patient sous chimiothérapie, etc. De telles anomalies biologiques, le plus souvent sans retentissement clinique, ne justifie pas toujours une hospitalisation immédiate. Le médecin traitant doit pouvoir recueillir l’avis du spécialiste hospitalier pour la conduite à suivre, laquelle peut aller jusqu’à la programmation d’une hospitalisation dans les jours suivants. Dans ces situations, la téléexpertise synchrone permet d’assurer la continuité des soins par le médecin traitant, de réduire le risque de perte de chance, d’éviter l’adressage du patient aux urgences hospitalières et de mieux gérer les hospitalisations.
D’autres situations de téléexpertise synchrone concernent souvent des demandes d’avis très spécialisés de 3ème niveau, c’est-à-dire entre spécialistes, comme le choix d’une antibiothérapie sur la base d’un antibiogramme, l’équilibre d’un anticoagulant chez un patient ayant un trouble du rythme cardiaque, une urgence oncologique, la prise en charge de l’AVC ou d’un problème neurologique à sa phase aiguë. Dans ces 2 derniers cas, la téléexpertise est souvent associée à d’autres actions synchrones de télésanté (téléconsultation, téléassistance ou télésurveillance) rendant nécessaire leur individualisation au sein d’organisations inter-établissements.
La téléexpertise synchrone nécessite des organisations professionnelles innovantes assurant la permanence du soin spécialisé. C’est déjà le cas dans les hôpitaux publics où chaque spécialité médicale ou chirurgicale assure une telle permanence 24h/24. Cette organisation innovante peut exister également dans le secteur non hospitalier. Alors qu’autrefois, avant que les solutions numériques existent, chaque médecin assurant une permanence dans sa spécialité disposait d’un téléphone dédié pour recevoir des appels extérieurs, lesquels pouvaient être très chronophages dans certaines spécialités, Le développement actuelle de plateformes numériques dédiées à la téléexpertise, notamment au niveau des établissements de santé publics et privés vers les médecins traitants, montre que la téléexpertise synchrone correspond à un réel besoin pour assurer la continuité des soins.

10) Le Think Tank préconise que la téléexpertise synchrone soit mieux reconnue par les autorités sanitaires et l’Assurance maladie, afin que les fournisseurs de plateformes numériques et les organisations de santé innovantes dédiées à cette pratique aient un modèle économique soutenable qui prenne en compte les économies générées par une organisation professionnelle qui assure la continuité des soins, notamment chez les patients suivis pour des pathologies chroniques complexes ou rares, que le médecin traitant ne peut assurer que dans une collaboration pluriprofessionnelle organisée.


Conclusions


Le Think Tank télésanté et Numérique en Santé s’est donné comme objectifs de préconiser des évolutions réglementaires et organisationnelles de la télésanté.
Ces préconisations, dédiées spécifiquement à la téléexpertise, illustrent les bénéfices que notre système de santé peut tirer de cette pratique distancielle intégrée au parcours de soins hybride. Nous pensons que la téléexpertise, qu’elle soit asynchrone ou synchrone, peut contribuer à améliorer l’accès des patients à des soins spécialisés, comme dans les filières visuelle et auditive, à mieux coordonner les parcours de soins dans lesquels plusieurs professionnels de santé médicaux et paramédicaux interviennent, et à assurer la continuité des soins chez les patients atteints de maladies chroniques complexes en prévenant les pertes de chance.
Outre son intérêt clinique pour améliorer le service médical rendu aux patients, la téléexpertise contribue avec les autres pratiques de télésanté à une meilleure efficience des soins en réduisant certains coûts de santé, comme ceux liés aux transports sanitaires évitables ou aux hospitalisations par retard de soins. (https://telemedaction.org/422016875/451568650)(https://telemedaction.org/422021881/tlm-et-hpe-hospitalisation-potentiellement-vitable)

Enfin, ces préconisations peuvent constituer une base de discussion dans les futures Assises de la Télémédecine qui se tiendront au deuxième semestre 2025, assises voulues par les autorités sanitaires et l’Assurance maladie, la téléexpertise prenant une place de plus en plus importante aux côtés de la téléconsultation, du télésoin et de la télésurveillance médicale.


15 mai 2025